L'Abbaye de Saint-Maurice au cœur de l'histoire valaisanne
Saint-Maurice, 18 avril 2015 (Apic) Au cours de ses 1500 ans d’histoire, l’Abbaye de Saint-Maurice a connu de nombreuses vicissitudes. Et le XIXe siècle a été celui de tous les dangers comme l’a démontré le colloque organisé le 18 avril 2015 par la Société d’histoire du Valais romand. Ballotée entre les intérêts de l’Etat du Valais, du diocèse de Sion, du Saint-Siège et des évêques suisses, l’Abbaye a réussi à assurer son existence notamment en se basant sur l’éducation.
En 1800, l’Abbaye ne compte plus que 8 chanoines. Ella a perdu les 5/6 de ses revenus. En 1832, le gouvernement valaisan veut lui retirer l’enseignement. En 1848, elle perd tous ses biens. Après un répit, son Abbé est contraint à l’exil en 1931. Son statut d’abbaye territoriale est remis en cause de même que la présence de son Abbé au sein de la Conférence des évêques suisses. C’est finalement autour de son collège que l’Abbaye a consolidé sa pérennité. Le survol des deux cents dernières années de son histoire, de la Révolution au Concile Vatican II, a captivé les quelque 250 participants au colloque, par les retournements de situations, les changements d’alliances ou la personnalité de certains de ses Abbés.
ll reste 8 chanoines en 1800
Delphine Debons a ouvert le récit avec la chute de l’Ancien régime et la création de l’Etat du Valais, en 1798. Outre la sécularisation des biens ecclésiastiques, c’est surtout la présence des troupes françaises et confédérées qui met à mal la survie de l’Abbaye. A certaines périodes, l’Abbaye est contrainte d’héberger jusqu’à 1’000 soldats. En 1800, elle est exsangue, elle ne compte plus que 8 religieux et n’a plus de ressources. Elle joue alors son atout de l’enseignement que l’Etat valaisan, faute de moyens, lui a délégué. En 1806, elle obtient l’ouverture d’un collège-pensionnat chargé de former les élites.
Nouveau coup dur en 1810, Napoléon – le Valais est alors incorporé à l’empire français – décide d’incorporer l’Abbaye de Saint-Maurice à la congrégation des chanoines du Grand-Saint-Bernard. Vive opposition des deux côtés, jusqu’en en décembre 1813 ou l’empereur, pressé de toute part par ses ennemis, laisse tomber l’affaire.
Le «clan libéral»
La Restauration de 1815 et l’entrée du Valais dans la Confédération apportent un peu de répit. Mais dans les années 1820, un «clan libéral» se forme parmi les enseignants de l’Abbaye. Rappels à l’ordre, intervention de l’Etat, querelles internes, renvois, la situation est tendue. L’abbé réussit alors un bon coup. Il obtient de Rome son élévation à l’épiscopat avec le titre d’évêque de Bethléem. L’évêque de Sion n’apprécie que modérément la manœuvre. Mais il évite la confrontation, car l’ennemi est à nouveau extérieur. C’est l’Etat fédéral qui entend remettre au pas les cantons catholiques unis au sein du Sonderbund. Après la défaite de l’alliance séparée en 1847, les radicaux se déchaînent contre l’Eglise et l’Abbaye qui perd ses possessions, tout en en gardant une part de la jouissance. Le collège est rattaché à l’Etat. L’Abbaye évite une nouvelle fois le pire.
En 1857, le retour des conservateurs au gouvernement permet à l’Eglise de récupérer partiellement au moins ses droits. Mais il faut attendre les années 1870 pour retrouver la prospérité. Face au Kulturkampf qui sévit dans une partie de la Suisse le Valais affirme sa catholicité avec par exemple un grand pèlerinage national à Saint Maurice en 1872. Avec son collège dont la réputation est faite, Saint Maurice ambitionne alors de devenir le foyer du catholicisme romand mais c’est Fribourg qui passera devant avec la fondation de l’Université des catholiques suisses en 1889.
L’affaire Mariétan
Le nouveau siècle qui s’ouvre connaîtra aussi son lot de luttes de pouvoir. L’historienne Stéphanie Roulin s’est surtout arrêtée sur l’affaire Mariétan. En 1914, le chanoine Joseph Mariétan est élu Abbé. Personnage brillant, lié au néo-thomisme, tenant du catholicisme social, il fait figure de progressiste. Mais par ses méthodes autoritaires et brutales, il s’aliène la considération non seulement de sa communauté, mais aussi du diocèse de Sion, des autorités politiques et des membres de la conférence des évêques suisses.
Des plaintes partent à Rome. Les premières n’ont pas d’effet, mais la 4e supplique en 1928 provoque la venue d’un visiteur apostolique. Et la 5e, envoyée par les chanoines eux-mêmes sera décisive. Le visiteur recommande la démission de l’Abbé et son éloignement le plus lointain possible. En 1931, Mgr Mariétan quitte saint Maurice pour Annecy où il terminera sa vie dans l’amertume. Au-delà d’une certaine historiographie qui voit en Mariétan un progressiste poursuivi par la vindicte des conservateurs, il faut reconnaître qu’il a contribué à mettre en place un corps professoral remarquable qui fera beaucoup pour la réputation de Saint-Maurice
L’affaire jurassienne s’invite à Saint-Maurice
Après la normalisation de la situation, une nouvelle attaque a lieu en 1952. On conteste alors le droit à l’abbé de St-Maurice de siéger au sein de la Conférence des évêques suisses. La raison est semble-t-il politique. Mgr Von Streng, évêque de Bâle, verrait d’un mauvais œil l’influence des chanoines, qui ont la responsabilité du collège de Porrentruy depuis 1925, dans la question jurassienne ! En 1954, Rome tranche en faveur de l’Abbé de St-Maurice.
«On nous change la religion !»
C’est à Mgr Joseph Roduit, Abbé démissionnaire de Saint Maurice, qu’il est revenu de parler du concile Vatican II, dont il a été le témoin comme séminariste, et de la période postérieure. Les jeunes étudiants avaient été plutôt déçus de l’élection de Jean XXIII, jusqu’à ce qu’il lance le projet du Concile Vatican II ouvert en octobre 1962.
La nouvelle vision du monde et de l’Eglise qu’il impose ne sera pas toujours reçue avec facilité, particulièrement en Valais. Mgr Adam, évêque de Sion, avait mal vécu et mal reçu les premières sessions du Concile avant d’y adhérer progressivement. Jeune prêtre, Joseph Roduit organise dans sa région une dizaine de conférences sur le thème «On nous change la religion!»
L’abbaye jouera aussi un rôle significatif pour le développement de la liturgie et de la musique sacrée en français. Depuis 1940 déjà, c’est de la basilique que sont transmises les messes radios.
Autre aspect décisif du Concile, l’œcuménisme avec notamment les coptes et les orthodoxes grecs et russes ou encore ou encore le dialogue interreligieux.
Face au déferlement du sécularisme contemporain, Mgr Roduit parle de l’Evangile comme une parole qui demeure. La foi n’est jamais facile mais elle est un engagement de toutes les époques, conclut-il (apic/mp)