Carte des 50 pays où les chrétiens ont subi
les persécutions les plus sévères entre octobre 2021 et octobre 2022 | © Portes Ouvertes
International

La violence envers les chrétiens atteint un nouveau sommet

La violence envers les chrétiens, en particulier en Afrique subsaharienne, et le contrôle sur les Églises se renforcent, dénonce l’ONG Portes Ouvertes. L’autoritarisme croissant et le nationalisme idéologique aggravent cette tendance à la discrimination dont les chrétiens sont largement victimes dans 76 pays.

Plus de 360 millions de chrétiens souffrent aujourd’hui dans le monde d’un niveau «élevé», voire extrême, de persécution et de discrimination en raison de leur foi. Au moins 5’621 d’entre eux ont été tués sur cette base entre le 1er octobre 2021 et le 30 septembre 2022, période que couvre le nouvel Index mondial de persécution 2023 de Portes Ouvertes Internationale.

Cette ONG est au service de l’Église persécutée depuis plus de 65 ans. Présente dans 71 pays -dont la Suisse où ses membres font office de caisse de résonance et de base de mobilisation-, elle établit depuis 30 ans un Index annuel de la persécution des chrétiens.

Une base d’information fiable

L’important réseau de salariés et de bénévoles de l’ONG internationale constitue une base d’observation et de rapports précieux. Les informations qu’elle collecte en provenance du terrain sont ensuite vérifiées et recoupées avec celles provenant d’autres organismes (presse, instituts de recherche, autres ONG, etc.). Or, pour Porte Ouvertes, la situation ne laisse pas de place au doute: la persécution des chrétiens dans le monde a augmenté de façon alarmante ces dernières années.

Ainsi, en 1993, les chrétiens qui étaient exposés à un niveau de persécution «élevé» à «extrême» se concentraient dans 40 pays. Ce chiffre a presque doublé, avec 76 pays en 2023. Un chrétien sur sept dans le monde est gravement exposé à la discrimination en raison de sa foi. Parmi eux un sur cinq vit en Afrique, deux sur cinq en Asie et un sur quinze en Amérique latine.

Le clan Kim, seul Dieu en Corée du Nord

Suite à l’introduction de la nouvelle «loi sur les idées réactionnaires», la Corée du Nord reprend la tête des pays où il ne fait pas bon vivre quand on est chrétien. Davantage d’églises de maison ont été découvertes et de chrétiens arrêtés, donc exécutés ou internés à vie dans un camp pour prisonniers politiques «où les détenus meurent presque de faim, sont torturés et subissent des violences sexuelles», précise dans son rapport Portes Ouvertes.

«Les chrétiens ont toujours été en première ligne des attaques du régime. En Corée du Nord, il ne peut y avoir qu’un seul Dieu, et c’est la famille Kim», explique Timothy Cho, un réfugié nord-coréen.

L’ironique recul de l’Afghanistan

À la suite de la prise de pouvoir par les talibans, qui ont assassiné de nombreux chrétiens à cause de leur foi à partir d’août 2021 et poussé quelques milliers d’autres à fuir, l’Afghanistan avait pris la première place de l’Index 2022. Mais au cours de l’année dernière, les talibans se sont plutôt concentrés sur l’exécution de ceux qui avaient des liens avec l’ancien régime. De plus, le pays dépendant fortement de la présence étrangère pour faire fonctionner ses infrastructures, l’appartenance religieuse des étrangers n’est pas aussi étroitement surveillée par les talibans, ce qui a un impact sur l’évaluation de l’indice de persécution. 

Enfin, explique Portes Ouvertes, il n’a généralement pas été possible pour l’Index 2023 de savoir si les talibans ont assassiné des chrétiens en raison de leur appartenance ethnique, de leur collaboration avec les forces armées et les ONG occidentales ou en raison de leur foi. C’est pourquoi le nombre d’actes de violence documentés est resté faible.

La catastrophe subsaharienne

La vague de violence religieuse, qui a pris naissance au Nigeria (6e pays du classement) avec les militants islamistes, continue de déferler sur l’Afrique subsaharienne et prend pour cible les populations chrétiennes du Burkina Faso, du Cameroun, du Mali et du Niger à une échelle alarmante. Toute la région est déstabilisée.

L’État de Kaduna est considéré comme «l’épicentre» des attaques anti-chrétiennes | © US Africa Command/Flickr/CC BY 2.0

«Ce niveau de persécution religieuse en hausse indique la mauvaise santé démocratique des États de la région, leur faiblesse, leur faillite ou leur virage autoritaire, souligne Portes Ouvertes. Lorsque la liberté religieuse s’éteint, les autres droits, en effet, la suivent généralement.»

Cette fragilité générale a favorisé l’expansion du djihadisme, 26 pays de la région affichant un niveau de persécution très élevé. Ainsi, le Mozambique, la République démocratique du Congo et d’autres pays présentent des signes évidents de propagation du djihadisme.

«Lorsque la liberté religieuse s’éteint, les autres droits, en effet, la suivent généralement.»

Cette fragilisation des États est prise comme prétexte par des juntes militaires pour fomenter des soulèvements politiques, comme au Mali et au Burkina Faso. Une entreprise en particulier, le groupe Wagner, fournisseur de soldats mercenaires ayant des liens avec le Kremlin, cause d’énormes souffrances aux civils de Libye, de République Centrafricaine, du Mali et du Mozambique, rapportait le New York Times en août 2022. Les chercheurs de Portes Ouvertes dans ces pays sont limités dans les informations qu’ils peuvent obtenir sur la réalité des chrétiens, eux-mêmes soumis à des pressions pour ne pas dénoncer les méfaits de Wagner.

Un dangereux déni

«Toute la région se dirige vers une catastrophe», explique Frans Veerman, directeur du département de recherche de Portes Ouvertes. «L’objectif de l’État Islamique et des groupes qui lui sont liés est, à terme, d’établir un califat islamique sur tout le continent. Ils sont soutenus par d’autres islamistes qui misent sur une islamisation systémique et non violente. Ce ne sont pas seulement les gouvernements africains qui refusent de faire face à la véritable nature de cette épuration à caractère religieux, mais tous les gouvernements. Le prix de ce refus est incalculable, pas seulement pour l’Afrique, mais pour le monde entier.»

La violence religieuse en Afrique subsaharienne reste néanmoins la plus extrême au Nigeria, où les combattants Peuls, de Boko Haram, de l’État Islamique en Afrique de l’Ouest (ISWAP) et d’autres groupes islamistes attaquent, tuent, mutilent, violent et enlèvent des membres des communautés chrétiennes pour les rançonner ou les réduire en esclavage sexuel. Le nombre d’homicides motivés par la religion au Nigeria est passé de 4’650 en 2021 à 5’014 en 2022, soit 89% du total mondial.

Le contrôle des Églises par les régimes autoritaires

«Les régimes autocratiques comme la Chine (16e place du palmarès) misent sur un contrôle total de toute vie ecclésiale, qu’ils veulent étouffer par des lois strictes et un nationalisme idéologique», peut-on lire dans l’Index 2023. Une loi de mars 2022 n’autorise que les Églises et les ONG disposant d’une licence, et donc se conformant à l’idéologie en place, à diffuser des contenus religieux sur Internet. L’accès aux services religieux en ligne, qui se sont multipliés depuis la pandémie, ainsi qu’au matériel pédagogique chrétien et à la Bible, est ainsi interdit à de nombreux chrétiens. Les contrevenants sont passibles de lourdes peines de prison.

«Les régimes autocratiques comme la Chine misent sur un contrôle total de toute vie ecclésiale, qu’ils veulent étouffer par des lois strictes et un nationalisme idéologique»

En Inde (11e place), les chrétiens sont soumis à des arrestations arbitraires et risquent jusqu’à 10 ans de prison, en raison de lois anti-conversion appliquées actuellement dans 12 États. Au cours de la période de référence, plus de 1’700 chrétiens ont été emprisonnés pour ce motif.

La simple existence des communautés chrétiennes est une épine dans le pied des régimes autoritaires. Sous couvert de promotion de la «stabilité» et de la «sécurité», les autocrates exercent une pression immense sur les responsables d’Églises en réponse à leur appel persistant à respecter les droits de l’homme, à offrir une libre participation de la société civile, à l’État de droit et à la transparence des élections. Ceux qui refusent de soutenir le parti au pouvoir peuvent être qualifiés de «fauteurs de troubles», de «perturbateurs de la paix», voire de «terroristes», et peuvent donc être arrêtés.

Dégradation en Amérique latine

Portes Ouvertes observe aussi avec inquiétude l’autoritarisme croissant de plusieurs gouvernements d’Amérique latine, associé à une attitude de plus en plus hostile envers les Églises. Pour la première fois le Nicaragua se retrouve sur l’Index mondial de persécution. Les responsables d’Églises y subissent des pressions et sont arrêtés, la surveillance est renforcée, les bâtiments d’Églises sont confisqués.

Mgr Rolando Alvarez, évêque de Matagalpa (Nicaragua), retenu par le gouvernement à la fin août 2022
| © AP Photo/Moises Castillo, File/Keystone

D’autres pays encore sont montés dans l’échelle de classement de l’Index: la Colombie et le Mexique. Le crime organisé met en danger les chrétiens. La corruption et l’inefficacité des gouvernements ont permis aux groupes criminels et aux chefs ethniques d’émerger, de se renforcer et de devenir des vecteurs de persécution, en particulier dans les zones rurales.

Les incidents violents documentés par l’unité de recherche de Portes Ouvertes indiquent des attaques ciblées de chrétiens, avec des signes de cruauté. Les chrétiens qui s’opposent à la criminalité sont particulièrement en danger dans les régions où les groupes criminels s’affrontent pour le contrôle du territoire.

La lutte pour l’existence de l’Église au Moyen-Orient

La présence des chrétiens au Moyen-Orient continue inexorablement à se réduire, bien que le nombre de chrétiens tués ait diminué ces dernières années. Sauf en Syrie, où les chrétiens du nord-est du pays sont confrontés aux attaques turques contre leurs villages. Des dizaines d’églises, de cimetières chrétiens, d’écoles et d’autres bâtiments importants ont été gravement endommagés, ce qui pousse de nombreux croyants à quitter la région.

«Le quotidien, fait de discrimination et de pauvreté, est trop difficile à supporter, surtout pour les jeunes qui ne voient pas d’avenir ici en tant que croyants», explique Rami Abed Al-Masih, responsable régional du plaidoyer pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord de l’ONG. Et lorsque l’émigration augmente, les communautés ecclésiastiques s’en trouvent affaiblies, privées de la prochaine génération de dirigeants et de familles. Elles deviennent ainsi des cibles plus faciles de marginalisation. (cath.ch/portesouvertes/lb)

Carte des 50 pays où les chrétiens ont subi les persécutions les plus sévères entre octobre 2021 et octobre 2022 | © Portes Ouvertes
15 janvier 2023 | 17:00
par Lucienne Bittar
Temps de lecture : env. 7  min.
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