La solidarité de l'Eglise roule sur trois roues au Tessin
Le Covid-19 a imposé une interruption soudaine de la vie quotidienne au Tessin. Mais le virus n’a pas stoppé la générosité. «L’APE del cuore» (l’abeille du cœur) est l’une des initiatives originales qui le démontrent. D’un moyen de transport pour la pastorale jeunesse, le célèbre véhicule à trois roues s’est changé en un «livreur de la providence».
catt.ch/Laura Quadri/Federico Anzini; traduction et adaptation Davide Pesenti
«’Un cuore a tre ruote’ (Un cœur à trois roues) est le symbole d’une action beaucoup plus large en faveur des familles dans le besoin. Une invitation concrète, adressée à tous, à faire quelque chose pour les autres, durant ce temps de Carême, et au-delà», assure don Carlo Vassalli, l’un des prêtres tessinois responsables de cette initiative solidaire.
Qui ne connaît pas l’APE, le petit véhicule de livraison de la marque italienne Piaggio devenu presque mythique au sud des Alpes? La paroisse de Lugano en avait un à disposition pour son activité pastorale destinée aux enfants. En 2019, elle a décidé de réorienter son emploi à des fins solidaires, en lançant le projet «Un coeur à trois roues«.
Spontanée et efficace
L’initiative est très simple: le petit véhicule est garé, avec son coffre ouvert, sur une place public ou devant un magasin. Les personnes sont appelées à y déposer de la nourriture, des produits d’hygiène, ou d’autres articles ménagers, emballés, neufs et de préférence avec une longue durée de conservation.
«Tout est né de l’idée d’un enfant qui a fréquenté l’Oratorio ici à Lugano.»
Don Emanuele Di Marco
Le responsable de la paroisse où le véhicule est garé fait le tri de la marchandise offerte. Ensuite, en collaboration avec les Conférences Saint-Vincent de Paul de la région, ou des services sociaux communaux, il identifie les familles les plus nécessiteuses auxquelles il apportera les biens.
Élan solidaire des enfants
«Tout est né de l’idée d’un enfant qui a fréquenté l’Oratorio ici à Lugano», explique don Emanuele Di Marco. Il est responsable de ce lieu d’accueil pour les enfants et les jeunes, actuellement fermé au public en raison de la pandémie de coronavirus.
«Au début, nous utilisions l’APE pour amener des choses à la déchetterie, ou pour distribuer des collations. Mais j’ai expliqué aux enfants de la paroisse la fonction que l’APE a assumé durant l’Après-guerre: aider à transporter le matériel pour la reconstruction. Après avoir entendu cela, l’un des enfants a suggéré que ce véhicule puisse aider les personnes en difficulté dans notre ville», raconte le vicaire de Lugano, promoteur de l’initiative solidaire. «La suggestion est donc venue directement des enfants, ce qui en fait une initiative très particulière».
Solidarité inspirante
Depuis la création en 2019 de l’association inspirée par l’Evangile et visant à soutenir les familles dans le besoin, l’initiative a pu déjà aider plus de 200 ménages en difficultés financières.
Mais c’est durant la période actuelle de confinement général que «l’Ape del cuore» s’avère particulièrement nécessaire. Et cela a inspiré d’autres projets du même type.
«Pendant ce temps de Carême très particulier, nous avons aussi lancé «PORTAapeRTA» (Porte ouverte), un autre projet d’Eglise qui consiste à acheter et à livrer des produits alimentaires aux familles les plus démunies. Nous avons déjà récolté 15’000 francs», note don Emanuele. Car l’état d’urgence provoqué par le coronavirus met à rude épreuve de nombreuses familles qui vivaient déjà dans la précarité. Le projet vise donc à faire face à cette nouvelle situation et à être davantage présent sur le terrain pour soutenir ces personnes. Les 15’000 francs récoltés seront intégralement utilisés pour l’achat et la livraison des denrées alimentaires de première nécessité.
Le jeune prêtre souligne que le projet est très regardant sur les mesures de sécurité. «De la livraison à la collecte, tout se fait selon les directives cantonales en matière de prévention de propagation du COVID-19. Nous n’acceptons en particulier pas les volontaires de plus de 60 ans, pour ne pas les exposer à la contagion».
Une aide supplémentaire
«L’APE del cuore» connaît un grand succès au Tessin, le canton actuellement le plus touché par la pandémie. «Ici, quand nous ouvrons le coffre de notre ‘abeille’, le mercredi, et à la fin de la journée, nous le trouvons toujours plein!» raconte don Marco Notari, curé de la paroisse de Balerna. «La distribution a lieu dans toute notre région, même en dehors des frontières de Balerna, car nous voulons que la fourgonnette soit ‘chez elle’ dans tout le Mendrisiotto».
Les demandes d’aide ou les offres de soutien à l’initiative peuvent être adressées directement au prêtre tessinois. L’aide des Conférences Saint Vincent de Paul de la région reste cependant essentielle pour le bon déroulement du projet. «Elles nous donnent une image des besoins réels de la population, précise don Marco. Nous fournissons les moyens et elles fournissent les noms. L’idée fondamentale de ce projet avec les APE est d’intégrer les ‘réseaux de solidarité’ qui existent déjà sur notre territoire, et de si possible les renforcer». Alors que l’état d’urgence dû au coronavirus est encore loin d’être levé, le nombre de familles aidées par initiative locale est déjà très élevé.
«Vague de solidarité touchante»
Le projet «APE del cuore» est une réponse concrète à une situation sanitaire et sociale toujours plus délicate au sud des Alpes. «Nous avons dû fermer temporairement la cantine sociale du Centre Bethléem à Lugano et réduire drastiquement les heures d’ouverture de la Casa Martini à Locarno», précise frère Martino Dotta, en première ligne dans la lutte contre la précarité et la pauvreté au Tessin.
«Nous avons dû prendre ces décisions, car nous n’avions pas les conditions pour garantir les mesures de protection suffisantes, tant pour les personnes prises en charge que pour nos employés». Une profonde inquiétude résonne dans les mots du capucin. «Nous avons immédiatement agi avec les autorités de la ville et les services sociaux compétents pour savoir comment répondre aux besoins de la population dans cette nouvelle situation».
La consigne de rester à la maison a considérablement réduit le nombre de visiteurs dans les cantines. Mais les besoins ne manquent pas: «J’ai été sollicité par de nombreuses personnes qui vivent dans des situations difficiles, qui ne peuvent pas faire face à toutes leurs dépenses».
«Guidés et protégés par Dieu»
Mais ce qui inquiète le plus frère Martino est l’avenir. «Avec la fermeture de nombreuses entreprises, les gens ont peur du chômage ou des réductions de salaires. Il est inévitable qu’à moyen terme, le nombre de personnes dans le besoin augmente encore».
Le capucin estime nécessaire de réaliser une «cartographie» de la nouvelle situation, en prenant en compte non seulement les personnes âgées, mais aussi les familles précaires. «Je pense qu’il est également important de structurer au mieux la vague de solidarité en mouvement dans la population tessinoise. Mais la situation d’urgence sera prolongée. Il faudra donc maintenir un niveau de soutien et de solidarité à moyen et long terme aussi bien organisé que possible», explique-t-il.
«Dieu nous demande d’être des signes de Sa présence, même dans cette situation de confusion, de désarroi et d’urgence sanitaire.»
Frère Martino Dotta
«Lorsque la solitude est choisie, elle devient une ressource, tant sur le plan humain que spirituel. Mais si elle est imposée par l’âge, la santé ou les besoins actuels de limiter les contacts sociaux, elle peut devenir un fardeau ou même un drame», affirme frère Martino, pour qui il est essentiel de développer d’autres canaux de partage et d’attention aux autres.
«Il me semble nécessaire de lever les yeux pour découvrir ou redécouvrir les personnes qui vivent autour de nous, afin d’expérimenter que les besoins de l’autre peuvent être une opportunité de croissance au niveau humain, spirituel, mais aussi communautaire. Personnellement, j’essaie de ne pas me laisser prendre par la peur et la panique, dans la conscience que nous sommes guidés et protégés par Dieu. Car il nous demande d’être des signes de Sa présence, même dans cette situation de confusion, de désarroi et d’urgence sanitaire», conclut frère Martino Dotta. (catt.ch/dp)