La Serbie voit ses forces vives chercher ailleurs un avenir meilleur, affirme Mgr Nemet

Face à un chômage qui touche un quart de la population de la Serbie (*), les jeunes, surtout ceux qui ont étudié et ont une bonne formation, quittent en masse le pays à la recherche d’un avenir meilleur. Interview de Mgr Ladislav Nemet, évêque catholique de Zrenjanin, de passage en Suisse à l’invitation de l’œuvre d’entraide catholique «Aide à l’Eglise en Détresse» (AED).

«Ce sont les forces vives qui partent, les jeunes, mais également des gens dans la force de l’âge, entre 40 et 50 ans. Cela pose un gros problème, aussi bien à l’Eglise qu’à l’Etat…», confie à cath.ch Mgr Nemet, évêque de Zrenjanin, une ville de Serbie située dans la province autonome de Voïvodine. D’après les indications de la Banque mondiale, le pays a perdu environ 300’000 habitants au cours des dix dernières années.

Les jeunes de Serbie se sentent européens

Contrairement aux plus âgés, qui craignent les réformes économiques exigées pour entrer dans l’Union européenne (UE), les jeunes de Serbie se sentent européens et souhaitent que leur pays rejoigne l’UE.

«Si notre pays n’appartient pas à l’espace Schengen, nos jeunes peuvent aller travailler dans l’UE sans difficulté. Ils ne sont pas illégaux, car ils possèdent un deuxième passeport – hongrois, roumain, croate, slovaque, tchèque, etc., ce que permet la Serbie», explique l’évêque, qui appartient lui-même à la minorité nationale hongroise de Serbie.

Dans sa région autonome de Voïvodine, la composition ethnique est en effet très diversifiée. Le Banat serbe, séparé du Banat de Roumanie suite au Traité de Trianon de 1920, a une forte minorité catholique. L’Eglise de cette région utilise 5 langues différentes pour sa liturgie. La Voïvodine a connu de grands bouleversements démographiques dans l’histoire. Occupée par les Ottomans au milieu du XVIe siècle, elle était presque vide de chrétiens jusqu’à sa reconquête par les Habsbourg en 1717. La région, recolonisée par diverses nationalités, comptait quelque 230’000 catholiques en 1944.

Près de 70% des catholiques en Serbie sont d’origine hongroise

Lors de la libération de l’occupation nazie, relève Mgr Nemet, des bandes de partisans s’en sont pris à la population allemande présente dans la région depuis près de deux siècles. La moitié des Allemands du Banat parvint à s’enfuir en Croatie ou en Autriche, mais l’autre moitié est restée. Nombre d’entre eux furent tués, 30’000 mis dans des camps, déportés vers les goulags de Sibérie; seize de leurs églises furent détruites. «Entre 1944 et 1945, près de 500’000 Allemands ont disparu de la région, dont beaucoup de catholiques… Aujourd’hui, près de 70% des catholiques en Serbie sont d’origine hongroise».

Durant la guerre qui a déchiré les Balkans dans les années 1990, nombre de jeunes catholiques de Voïvodine, estimant que ce n’était pas «leur» guerre, sont partis à l’étranger pour éviter d’être mobilisés. Mais outre les coûts, pour l’économie serbe, du financement de la guerre et les longues années de sanctions internationales, ce sont les violents bombardements de l’OTAN en 1999 visant les installations industrielles et les infrastructures de transport qui ont définitivement ruiné le pays.

La situation économique et financière ne s’est pas rétablie depuis la crise de 2008 et le PIB serbe se situe actuellement à 10 % en-dessous de son niveau de 2008.

Du point de vue économique, le pays est retombé au niveau des années 1970

«C’est un fait, la Serbie, du point de vue économique, est retombée au niveau des années 1970…», lâche l’évêque de Zrenjanin. Le prélat, qui est également président de la Conférence épiscopale  internationale des saints Cyrille et Méthode, rassemblant les communautés catholiques de rite latin de Serbie, du Monténégro, de la Macédoine et du Kosovo, pointe d’autres défis.

Outre les conséquences toujours présentes de la guerre, des destructions et des sanctions – qui ont entraîné la perte de marchés qui ne peuvent plus être récupérés – Mgr Nemet mentionne également le manque d’investissements productifs et le problème représenté par les réfugiés serbes chassés de Croatie (notamment de la Krajina et de la Slavonie), de la Bosnie et du Kosovo. Ils sont plus de 200’000 à avoir tout perdu.

L’Eglise vit aujourd’hui en totale liberté

Au plan pastoral, l’Eglise vit aujourd’hui en totale liberté, note l’évêque. Elle en avait déjà bien plus à l’époque de la Yougoslavie de Tito que dans les pays voisins qui connaissaient des régimes de ‘démocratie populaire’ où l’Eglise était persécutée. En Serbie, l’Eglise peut ouvrir des écoles, des cliniques, des crèches ou des homes pour personnes âgées. En 1966 déjà, Tito avait établi des relations diplomatiques avec le Saint-Siège.

Mais aujourd’hui, outre l’émigration des forces vives (son diocèse, qui comptait encore 99’000 fidèles en 1991, n’en regroupe aujourd’hui plus que 65’000), la principale difficulté que connaît la communauté catholique est la dispersion. Les catholiques sont de fait une petite minorité vivant en diaspora.

«Il est difficile de mener une vie communautaire dans les villages, quand les catholiques ne sont qu’une poignée. De plus, la moitié des couples de mon diocèse sont des couples mixtes. Deux de mes trois sœurs sont mariées avec des Serbes orthodoxes. Ce n’est pas un problème, car on vit bien ensemble. Les couples mixtes viennent communier dans nos églises. Nous ne l’interdisons pas, mais ce n’est pas réciproque: les orthodoxes ne l’acceptent pas par principe. Avec la hiérarchie orthodoxe, je dirais que les relations pourraient être meilleures!  Avec les protestants, les relations sont bonnes et nous avons une collaboration œcuménique».

Les traumatismes causés par la guerre n’ont pas encore été tous surmontés

La persistance, dans les familles, des traumatismes causés par la guerre et qui n’ont pas encore été tous surmontés, préoccupe Mgr Nemet: «Il y a beaucoup de violence dans les familles, aussi parce qu’il y a encore beaucoup d’armes en circulation…»

Sans la solidarité extérieure, en raison notamment de l’émigration des forces vives de sa communauté, l’Eglise catholique ne pourrait pas maintenir ses services aux fidèles et à la population en général, relève encore l’évêque de Zrenjanin. Il y a certes un aide gouvernementale à hauteur de 5% du budget de l’Eglise, mais elle reste proportionnelle au nombre de catholiques, et ne va pas augmenter.

L’aide apportée par des organisations comme Renovabis, organisme de la Conférence épiscopale allemande, Aide à l’Eglise en Détresse (AED), la Conférence épiscopale italienne ou encore la Conférence des évêques catholiques des Etats-Unis, est donc vitale.

(*) Les données officielles parlent de 21% de chômeurs


Missionnaire de Steyl

Né en 1956 dans une famille hongroise d’Odzaci, une localité de Voïvodine où la plupart des 8’000 catholiques sont d’origine allemande, Ladislav Nemet étudie la philosophie et la théologie en Pologne, avant d’obtenir un doctorat à l’Université grégorienne à Rome. Après trois années passées aux Philippines comme missionnaire de Steyl (Société du Verbe-Divin SVD), il travaille dès 1994 en Autriche comme professeur de théologie systématique puis dès 2000 comme collaborateur de la représentation permanente du Saint-Siège auprès des organisations internationales à Vienne. Il est élu à la tête de la province hongroise des Missionnaires de Steyl en 2004, en étant en même temps, dès août 2006, secrétaire général de la Conférence des évêques catholiques de Hongrie. Le pape Benoît XVI le nommera évêque de Zrenjanin, en Serbie, le 23 avril 2008.


5,6 % de catholiques en Serbie

La Serbie compte quelque 7,1 millions d’habitants, à 85% de religion orthodoxe. Les catholiques sont 5,6 % de la population, soit environ 360’000, suivis des musulmans, des protestants (luthériens et calvinistes), des juifs, et d’autres minorités.

En Serbie, les identités religieuse et nationale sont étroitement liées. Les catholiques romains appartiennent en majorité aux ethnies hongroise et croate et se trouvent principalement dans la partie nord de la Voïvodine. On trouve en outre parmi les catholiques de petits groupes d’Allemands, de Slovènes, de Tchèques, de Polonais, de Slovaques, de Bunjevci (apparentés aux Croates) et de Roms.

L’Eglise catholique romaine en Serbie compte quelque 200 paroisses dans quatre diocèses: l’archidiocèse de Belgrade et les diocèses de Subotica, Zrenjanin et Srijem (Syrmie). A cela s’ajoute l’exarchat apostolique de Serbie pour les catholiques de rite byzantin, qui est sous juridiction immédiate du Saint-Siège.


La Serbie, issue de l’éclatement de la Yougoslavie

L’actuelle République de Serbie est issue de l’éclatement de la Yougoslavie en 1991 et de la séparation avec le Monténégro en 2006. Succédant en 1992 à la République fédérative socialiste de Yougoslavie (amputée de la Bosnie-Herzégovine, de la Croatie, de la Macédoine et de la Slovénie), devenue République Fédérale de Yougoslavie (1992-2003) et Communauté d’Etats de Serbie-et-Monténégro (2003-2006), la Serbie dispose depuis 2006 de sa propre Constitution, la première depuis 1918 à définir la Serbie comme un pays indépendant. Elle a pris acte à cette date de de l’indépendance du Monténégro (3 juin 2006).

Le Kosovo en majorité peuplé de populations albanaises, qui s’est détaché de la Serbie suite à la guerre de 1998-1999 et aux bombardements de la Serbie par l’OTAN, a déclaré son indépendance le 17 février 2008. Cette indépendance reconnue par une partie de la communauté internationale, ne l’est pas par les autorités serbes, qui l’appellent toujours Kosovo-et-Métochie. (cath.ch-apic/be)

 

Mgr Ladislav Nemet, évêque de Zrenjanin, en Voïvodine
14 avril 2016 | 09:55
par Jacques Berset
Temps de lecture : env. 6  min.
AED (95), Ladislav Nemet (2), Serbie (25), Voïvodine (1)
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