Mgr Martin Happe entouré de confirmands alors qu'il était évêque de Nouakchott (Mauritanie) | © ACN
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«La République islamique de Mauritanie respecte l’Église catholique»

Militant pour le respect envers les autres religions, Mgr Martin Happe, ancien évêque de Nouakchott (Mauritanie) bat en brèche la méfiance envers l’islam distillée par certains milieux politiques et médiatiques. Mgr Happe est connu pour son engagement social, son attitude sans préjugé vis-à-vis de l’islam et son travail auprès des migrants.

Jacques Berset, pour cath.ch

Mgr Happe, membre de la Société des Missionnaires d’Afrique, les «Pères Blancs», fêtera ses 79 ans le 15 novembre prochain. Il a été, de novembre 1995 à avril 2024, évêque de Nouakchott, ville que l’évêque désormais retraité ne va plus quitter, fidèle à l’adage qui dit que celui qui supporte le pays plus de trois semaines ne veut plus en repartir. Il est de passage en Suisse à l’invitation de l’œuvre d’entraide catholique Aide à l’Église en Détresse (ACN), qui finance de nombreux projets de l’Église catholique dans la République islamique de Mauritanie.

Le diocèse de Nouakchott est composé de la paroisse cathédrale Saint Joseph à Nouakchott, ville peuplée de populations négro-africaines – Soninkés, Toucouleurs et Wolofs – ainsi que de Maures qui parlent le «Hassanya» (dialecte arabe). La paroisse Notre-Dame de Mauritanie à Nouadhibou, sur la façade atlantique, est la deuxième paroisse du diocèse avec une communauté chrétienne de migrants qui est en transit ou finit par s’installer et exercer des métiers informels. BE

Près de deux décennies: c’est dire que l’évêque missionnaire sait bien ce que signifie vivre dans cette République islamique où 99,5% des gens sont de confession musulmane sunnite. Tout prosélytisme y est strictement interdit et l’apostasie est passible de la peine de mort. «Pas question donc pour l’Église catholique de convertir des musulmans! Notre mission ici n’est pas seulement de servir la petite minorité catholique de quelque 4’000 fidèles – tous sont des non Mauritaniens -, mais avant tout de rendre visible, palpable, l’amour de Dieu pour tous et pour chacun».

Des relations empreintes de respect

Ainsi, précise l’évêque missionnaire, nos relations avec les musulmans sont empreintes de respect, et c’est réciproque. «En Mauritanie, pour l’Église catholique, c’est ‘Sésame ouvre-toi!’, c’est-à-dire que les portes s’ouvrent. Ils savent que nous ne faisons pas de prosélytisme, mais que nous sommes actifs au plan social, et ils nous apprécient pour notre travail.»

Mgr Martin Happe a été évêque de Nouakchott (Mauritanie) de 1995 à 2024 | © Jacques Berset

En 2016, après des années de discussions, le Saint-Siège et l’État Mauritanien ont établi des relations diplomatiques, et le 23 octobre 2018, le premier nonce apostolique du Saint Siège auprès de la République Islamique de Mauritanie a présenté ses lettres de créance au chef de l’État mauritanien.

Le fondamentalisme islamique inquiète dans ce pays de tradition soufie

Si la présence catholique est bien acceptée, les autorités ont par contre des inquiétudes concernant l’influence grandissante du fondamentalisme islamique. Dans ce pays de tradition soufie, confirme Mgr Happe, «de nombreux leaders musulmans ont pris conscience du danger qu’il représente». 

Les autorités mauritaniennes, à la tête de ce pays de 5 millions d’habitants, 25 fois plus vaste que la Suisse, totalement désertique dans sa partie nord et sahélienne dans sa partie sud, craignent la déstabilisation de la région par les djihadistes actifs dans la région. Pays stable, la Mauritanie est en effet frontalière du Sénégal, de l’Algérie, du Sahara occidental, mais surtout du Mali. Dans ce dernier pays sévit le Groupe de soutien de l’islam et des musulmans (GSIM) ou Jamaat Nusrat al-Islam wal-Muslimin (JNIM), affilié à Al-Qaïda, concurrencé par l’État islamique dans le grand Sahara (EIGS).

«30% de la communauté catholique se renouvelle chaque année»

La branche nationale des Frères Musulmans dispose d’un parti islamiste, le Tawassoul, qui n’a que peu d’influence au plan national. A Dar Naïm, dans une banlieue de Nouakchott, la commune est dirigée par un maire appartenant au Tawassoul. «C’est pourtant la seule commune qui a une convention avec la Caritas. Ce sont eux qui l’ont demandée!»

La Caritas invitée à Dar Naïm, commune dirigée par les Frères Musulmans

Dans la prison centrale, située également à Dar Naïm, ce sont des collaborateurs de la Caritas qui assurent l’animation sociale, avec notamment le concours d’une religieuse. Caritas Mauritanie, une ONG de droit mauritanien fondée en 1972, dispose de 80 employés. Sa directrice est une religieuse indienne, son directeur financier un chrétien malien et un collaborateur de ses ateliers de formation professionnelle un autre chrétien. Mais tous les autres employés sont des musulmans. «Ils ne disent pas qu’ils travaillent à Caritas, ils affirment: nous sommes Caritas Mauritanie !», constate Mgr Happe.

La Mauritanie, un pays de transit pour les migrants

Caritas Mauritanie fait un travail remarquable pour et avec les populations démunies et vulnérables en termes de formation, de sécurité alimentaire, d’accès à l’eau potable et aux activités génératrices de revenus.

«Des villages entiers se dépeuplent, leur base d’existence ayant disparu»

Face à la forte vague d’immigration clandestine, le diocèse, particulièrement avec la paroisse de Nouadhibou et sa Caritas paroissiale, ainsi que la paroisse de Nouakchott via sa cellule Accueil-Ecoute, s’investit énormément dans soutien et la formation des migrants. Actuellement, Mgr Happe relève la présence de près de 200’000 Maliens, le pays accueillant également des dizaines de milliers d’autres migrants africains, ainsi que des Syriens. La Mauritanie est pour la plupart d’entre eux un pays de transit.

«C’est un va-et-vient continuel. 30% de la communauté catholique se renouvelle chaque année, c’est même 50% à Nouadhibou, où beaucoup de migrants qui cherchent à partir vers l’Europe sont coincés, car la surveillance maritime de Frontex, avec ses vedettes et ses hélicoptères, en refoule beaucoup».

Les eaux pillées par les grands pays

«Certains de ces migrants étaient à la messe la veille, et le lendemain ou le surlendemain, on a retrouvé leur cadavre sur la plage. Parmi eux, de nombreux Sénégalais qui viennent des villages de pêcheurs, où l’on ne trouve quasiment plus de poissons, car de grands navires de pêche du monde entier, des bateaux-usines – de Chine, d’Europe, de Corée… – assèchent les bancs de poissons au largue du Sénégal et de la Mauritanie.»

Des villages entiers se dépeuplent, leur base d’existence ayant disparu. Ces pêcheurs sans avenir tentent d’atteindre l’Europe à bord d’embarcations de fortune à partir des côtes mauritaniennes, une aventure périlleuse de plus de 800 kilomètres jusqu’aux îles Canaries. «Peut-être la moitié périssent en mer… C’est une véritable hécatombe! Les gouvernements étrangers sont responsables. La Mauritanie n’a qu’un seul bateau pour contrôler ces navires de pêche». C’est en raison de cette tragédie sans fin que Mgr Happe s’engage pour une libéralisation de la politique d’immigration de l’Union Européenne. 

«Ceux qui sont refoulés par Frontex [l’agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes, chargée du contrôle et de la gestion des frontières extérieures de l’espace Schengen] ou qui ont survécu au naufrage au large des côtes restent sur place, travaillent dans le secteur informel, fondent une famille…» L’Église catholique se tient à leurs côtés. «Nous sommes très peu nombreux, mais avec nos équipes, nous mettons en action de nombreuses activités, et la population nous en est reconnaissante!» (cath.ch/be)

Un «Père Blanc» en Afrique


Mgr Martin Happe bénit les nouveaux locaux de l’Aide à l’Église en détresse (ACN), le 27 septembre 2024 à Lausanne | © Jacques Berset

Martin Happe a rejoint les Missionnaires d’Afrique, les «Pères Blancs», et a été ordonné prêtre le 2 juin 1973 en Allemagne. Il a ensuite travaillé comme missionnaire dans le diocèse de Mopti, au Mali, dès 1973, avant d’en être nommé administrateur apostolique en 1988. Le pape Jean Paul II l’a nommé évêque de Nouakchott en 1995. Il avait donné sa démission à l’âge de 75 ans, comme le prescrit le droit canonique, mais le nonce avait demandé qu’il reste, en attendant que le Vatican ait trouvé un successeur. Le pape François a finalement accepté sa démission en février dernier alors qu’il avait 78 ans. Le nouvel évêque de Nouakchott est un Sénégalais, Mgr Victor Ndione, jusqu’alors vicaire général à Nouakchott, né le 1er avril 1973 à Thiès, dans l’Ouest du Sénégal.

Mgr Martin Happe était présent à Lausanne le 27 septembre 2024 pour l’inauguration officielle des nouveaux bureaux de l’antenne romande de l’Aide à l’Église en Détresse (ACN) sis à la rue du Valentin 9. Partenaire de projets de longue date d’ACN, l’évêque allemand – il est originaire du Münsterland, en Rhénanie-du-Nord-Westphalie – a présidé à cette occasion la messe à la basilique Notre-Dame à Lausanne, en présence notamment du président d’ACN Suisse, Jean de Skowronski, et du responsable d’ACN pour la Suisse romande Thomas de la Barre et de sa collaboratrice Claire Leal. BE

Mgr Martin Happe entouré de confirmands alors qu'il était évêque de Nouakchott (Mauritanie) | © ACN
30 septembre 2024 | 17:00
par Rédaction
Temps de lecture : env. 6  min.
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