Vive polémique entre le patriarche œcuménique et l’Eglise uniate
La question des uniates reste un obstacle aux relations entre orthodoxes et catholiques
Varsovie\Genève, 8 février 2000 (APIC) Un conflit de longue date entre l’Eglise orthodoxe et les Eglises grecques catholiques ou «uniates», fidèles à Rome tout en conservant le rite oriental, menace d’aggraver les tensions œcuméniques. Cela au moment même où le Vatican et l’Eglise orthodoxe s’apprêtent à reprendre les conversations bilatérales, indique l’Agence œcuménique ENI. Les propos sont vifs, pour ne pas dire davantage, entre les grecs-catholiques et le patriarche Bartholomée de Constantinople.
Les responsables des Eglises grecques-catholiques ont vivement critiqué le patriarche oecuménique Bartholomée de Constantinople, considéré comme primus inter pares – le premier parmi ses pairs – au sein de l’Eglise orthodoxe. Celui-ci réside au Phanar, à Istanbul, et exerce son autorité sur des millions d’orthodoxes en Europe occidentale, en Amérique du Nord et du Sud, dans une grande partie de l’Asie, en Australie et en Nouvelle-Zélande.
L’archimandrite Benedict Ioannou, nommé récemment représentant du patriarche oecuménique auprès du Conseil oecuménique des Eglises (COE), à Genève, s’est dit choqué par les remarques des responsables uniates, qu’il juge fort «offensantes» pour le patriarche.
L’existence même des Eglises grecques-catholiques, notamment en Ukraine et dans la région avoisinante, est peut-être le point qui envenime le plus les relations entre orthodoxes et catholiques. Les uniates sont en pleine communion avec Rome mais, comme les orthodoxes, ont des pratiques liturgiques et canoniques orientales.
Aux yeux des Eglises orthodoxes, les Eglises uniates représentent un cheval de Troie envoyé par Rome pour attirer les fidèles orthodoxes vers une Eglise qui, à de nombreux égards, ressemble à la leur. Pour le Vatican, par contre, les Eglises catholiques orientales, qui s’offusquent du terme «uniates», sont une expression légitime de la foi catholique et, peut-être, une passerelle entre Rome et les orthodoxes.
Avant Baltimore
La question est devenue plus épineuse dans les années 90, car la chute du communisme a signifié la fin de l’interdiction gouvernementale qui frappait les Eglises uniates. Au cours des dix dernières années, de nouveaux conflits ont éclaté en Europe orientale à propos de propriétés d’églises que les autorités communistes avaient confisquées aux uniates pour les donner aux orthodoxes.
La dernière crise survient bien fâcheusement au moment où catholiques et orthodoxes sont sur le point de se rencontrer en juin à Baltimore, aux Etats-Unis, pour reprendre les travaux de la Commission mixte internationale pour le dialogue théologique entre l’Eglise catholique romaine et l’Eglise orthodoxe. Cette commission, créée en 1979, a suspendu ses séances en 1989 à la suite de désaccords. La décision de la reconvoquer a été confirmée en juillet 1998 par le cardinal William Keeler de Baltimore, qui avait accueilli – conjointement avec les orthodoxes – le patriarche oecuménique Bartholomée, lorsque celui-ci s’est rendu aux Etats-Unis en 1997.
Ce qui a ranimé le conflit, ce sont les paroles prononcées par le patriarche oecuménique lors d’une conférence de presse donnée à Varsovie le mois dernier, à l’occasion de sa visite au parlement polonais. Il a en substance déclaré que les agissements des Eglises uniates en Slovaquie et en Ukraine occidentale allaient entraver la reprise des travaux de la Commission. Ajoutant que les autorités ukrainiennes avaient refusé un permis de construire à l’évêque Augustyn de Lviv-Drobybicz, responsable d’une Eglise orthodoxe en Ukraine occidentale.
Questions plus importantes…
Le patriarche Bartholomée a cependant décrit en termes chaleureux les relations avec Rome et a fait observer qu’il était partisan de «liens personnels étroits» avec les responsables catholiques romains. Il a également exprimé l’espoir d’effectuer une seconde visite au Vatican pour rencontrer le pape Jean Paul II «dès que l’occasion s’en présentera». Il a toutefois ajouté que la question des Eglises uniates avait malheureusement dominé les discussions entre les deux Eglises et prendrait une place importante dans l’ordre du jour des nouvelles réunions de la Commission. «Il y a des questions plus importantes à débattre, y compris le statut de l’évêque de Rome», avait encore déclaré le patriarche.
Avant de conclure que «l’uniatisme est un phénomène artificiel créé à des fins de prosélytisme. Sa renaissance depuis la chute du communisme a envenimé les relations catholiques-orthodoxes». La presse polonaise a laissé entendre que le patriarche avait parléé de «fausses» Eglises en évoquant les uniates, mais son bureau de Phanar à Istanbul maintient qu’il a utilisé le mot grec qui signifie «artificielles».
Les remarques ont irrité les responsables des Eglises grecques-catholiques d’Ukraine et de Pologne. «Les propos du patriarche me surprennent. Je croyais que c’était une personne éclairée et à l’esprit ouvert», a déclaré l’évêque Julian Gbur, secrétaire du synode grec-catholique en Ukraine. «De faux phénomènes ne sauraient survivre à 400 ans d’épreuves et d’adversité. Je pense qu’il cherche des faux-fuyants pour éviter d’aborder les questions qui comptent vraiment.»
A propos du refus de permis de construire une église orthodoxe en Ukraine, dont s’est plaint le patriarche, l’évêque Gbur précise aujourd’hui que l’Eglise grecque-catholique n’avait aucunement influencé la décision du conseil municipal. Selon lui, le patriarche fait erreur. «Il est complètement faux de dire que les liens sont tendus. Qu’ils viennent le prouver. Les relations ont été difficiles i y a quelques années, à propos de la propriété des églises, mais aujourd’hui, il n’existe pas le moindre point de conflit dans notre archidiocèse de Lviv».
L’archevêque Jan Martyniak de Premysl et Varsovie, responsable de la minorité grecque-catholique de Pologne, a indiqué que tous les évêques grecs-catholiques ont maintenant pris connaissance des propos du patriarche. Et de souligner que l’Eglise orthodoxe de Pologne n’avait pas encore rendu aux paroisses grecques-catholiques 23 églises qui leur appartenaient.
Termes blessants
«Comment peut-on parler en termes aussi blessants d’une Eglise dont le passé a été autant marqué par la persécution? Ce sont les orthodoxes qui ont détruit notre Eglise tant ici qu’en Ukraine et qui se sont engagés dans une campagne de prosélytisme éhonté en nous enlevant nos lieux du culte.» L’archevêque Martyniak a déclaré que les remarques du patriarche à propos des Eglises grecques-catholiques étaient «erronées et inconsidérées».
L’évêque Gbur a pour sa part confié à ENI que les propos du patriarche Bartholomée l’amenaient à penser que les dirigeants orthodoxes «n’accepteraient jamais» son Eglise. «Comment, pour l’amour de Dieu, peut-il voir en nous un obstacle aux relations interconfessionnelles, alors que 60 % des Ukrainiens ne sont même pas baptisés?» (apic/eni/pr)