«La prévention des abus en Église doit être l'affaire de tous»
Le diocèse de Lausanne, Genève et Fribourg (LGF) publiera d’ici la fin de l’année 2024 son code de conduite francophone destiné à ses agents pastoraux. Ce guide entend surtout rappeler que la prévention des abus dans l’Église est l’affaire de tous, relèvent Mari-Carmen Avila et Laure-Christine Grandjean.
Pour la représentante de l’évêque pour la prévention et pour la chancelière ad interim, la prévention est une des maillons essentiels de la chaîne de la lutte contre les abus. Il faut faire de l’Église une maison sûre. Dans le même temps, la gestion des prêtres mis en cause dans des affaires d’abus est une question très complexe, pendant et après les procédures civiles et canoniques.Un sujet de travail important pour le conseil prévention du diocèse.
Comment ce code de conduite sur le point d’être diffusé à tous les agents pastoraux a-t-il été élaboré?
Mari-Carmen Avila (MCA): La partie germanophone du diocèse de LGF a déjà adopté un code de conduite repris et adapté de celui du diocèse de Coire. Pour la partie francophone, nous avions commencé par traduire celui de Coire, mais le retour des agents pastoraux consultés a été négatif. Le langage était beaucoup trop direct, plutôt propre au monde de l’entreprise et pas assez évangélique.
«Il s’agit d’être attentif aux attitudes qui évitent des dérapages et des abus.»
Nous avons donc remis l’ouvrage sur le métier en partant des attitudes fondamentales dans une relation pastorale. Il ne s’agit pas d’abord de dresser un catalogue de comportements prohibés, mais plutôt d’être attentif aux attitudes qui évitent des dérapages et des abus, d’ailleurs pas uniquement sexuels, mais aussi de pouvoir ou d’emprise spirituelle et qui favorisent une culture de la bientraitance dans l’Église diocésaine.
Précisément quelles sont ces attitudes que vous mettez en avant?
MCA: Le point de départ est la dignité intrinsèque de chaque personne considérée dans sa qualité d’enfant de Dieu. Cela signifie le respect de son intégrité physique et morale. Il s’agit de souligner que nous sommes au service de l’Évangile et non pas de nos besoins, voire de nos pulsions. Nous avons listé huit attitudes qui sont à l’origine des comportements que toute personne engagée avec une mission canonique , est invitée à vivre dans son ministère.
La première est celle d’avoir conscience de sa position d’autorité et donc de sa responsabilité. La deuxième consiste à adopter un comportement en adéquation avec notre fonction. L’ajustement de la proximité émotionnelle aux diverses situations constitue la troisième attitude. Une posture d’autorité ›humble’ est la suivante. L’accueil inconditionnel de l’autre sera la cinquième attitude. La liste souligne ensuite l’importance et la place de la ›correction fraternelle’. La clarification des objectifs pastoraux et d’accompagnement sera aussi un outil utile de prévention des abus. Enfin la 8e attitude recommande un exercice du pouvoir en communion.
Comment prévoyez-vous de l’implanter dans le diocèse?
Laure-Christine Grandjean (LCG): Nous avons prévu une lettre de présentation de l’évêque pour l’Avent 2024, mais il n’ y aura pas de lancement formel de ce code de conduite. Nous passerons par une implantation progressive dans les divers secteurs de la pastorale avec des séances d’information dans les cantons. L’idée n’est pas celle d’une contrainte, mais de proposer un outil pour accompagner le ministère des agents pastoraux.
«Le code parle de situations que nous vivons tous les jours et nous aide à comprendre les enjeux.»
Dans d’autres diocèses ce genre de démarches n’ont pas forcément été toujours bien reçues par les agents pastoraux.
MCA: Je pense que l’accueil sera favorable, le code parle de situations que nous vivons tous les jours et nous aide à comprendre les enjeux auxquels on doit faire face. Nous avons mené une assez large consultation (y compris des gens à l’extérieur de l’Église). Mais je suis bien consciente qu’il peut y avoir aussi des résistances, c’est humain. Il n’est pas facile de sortir des logiques habituelles pour adopter quelque chose qui peut sembler imposé d’en haut et c’est pour ça que le dialogue s’instaurera pour permettre à tout le monde de comprendre ce qui est attendu de qui travaille au sein de l’Église
On reproche très souvent à l’Église son omerta sur les abus.
MCA: On a souvent mis la dissimulation des abus sur la volonté de protéger l’institution et c’est vrai, mais il faut aussi tenir compte d’autres éléments comme la surcharge de travail et le manque de suivi des dossiers qui ralentissent le processus et qui font que des affaires finissent par tomber dans l’oubli. Aujourd’hui on ne peut pas se le permettre. C’est pourquoi la prévention est un défi constant. Il faut instaurer une culture du respect tout en se rappelant que l’Eglise est composée de pécheurs en chemin, d’où l’importance d’avoir des repères communs de comportement.
L’Eglise en Suisse a récemment conclu un accord avec les Centres cantonaux LAVI (loi fédérale sur l’aide aux victimes) pour l’accueil des personnes touchées par des abus.
LCG: Depuis 2016 déjà, nous avons eu des collaborations régulières avec les centres LAVI cantonaux vers lesquels nous avons pu orienter des victimes. Nous avons développé d’excellents contacts. Formaliser cette collaboration est une bonne chose, mais cela ne nous exonère pas de notre propre responsabilité. La justice et les institutions civiles ne peuvent pas se substituer au travail que l’Église doit faire, notamment dans le suivi de prêtres fautifs.
«Si un prêtre est accusé à tort, nous avons le devoir de rétablir sa réputation.»
MCA: L’Église ne se débarrasse pas des victimes en les envoyant aux centres LAVI. Nous souhaitons un dialogue avec la LAVI, justement parce que nous ne voulons pas nous décharger mais nous sommes contents que des professionnels aident pour l’accueil des victimes
Le traitement des prêtres mis en cause dans des affaires d’abus est un des problèmes difficiles auxquels l’autorité est confrontée.
MCA: C’est une question à laquelle il n’a pas été répondu de façon satisfaisante Le problème est d’une grande complexité et mérite une étude approfondie qui sera un des thèmes à traiter par le conseil prévention du diocèse.
Quelle est la procédure en cas de signalement?
MCA: Selon la procédure en vigueur en Suisse, nous sommes obligés de signaler le cas au procureur général du canton qui ouvrira une enquête civile que nous devons pas entraver. De notre côté nous avons aussi l’enquête canonique qui présuppose que le prêtre soit retiré de son ministère le temps de l’enquête. Cette mesure provisionnelle, qui est une protection pour la communauté et le prêtre lui-même, n’est pas une suspension. Mais comment communiquer pour que cette mesure n’apparaisse pas comme une sanction en respectant la présomption innocence?
LCG: L’opinion publique, et souvent les médias, ne font aucune différence entre les deux choses. C’est une situation très difficile à discerner et à gérer.
«La question de la prescription dépasse le cadre de l’Église et concerne la société entière.»
En effet, on rappelle toujours la présomption d’innocence, mais comment la respecter concrètement?
MCA: Le risque est grand que tout le monde en sorte plus blessé qu’avant: la victime qui a l’impression qu’on ne l’écoute pas, le prêtre dont on oublie qu’il est présumé innocent et la communauté qui ne comprend pas pourquoi on lui retire son prêtre. Nous sommes en train de réfléchir à quelques critères de jugement, ou au moins à des jalons.
Si un prêtre est accusé à tort, nous avons le devoir de rétablir sa réputation. Mais une fois que le doute a été semé, il est presque impossible de revenir en arrière. C’est le fameux exemple de saint Philippe Neri qui envoie une personne coupable de médisance au sommet d’une tour pour éventrer un oreiller rempli de plumes et lui ordonne ensuite d’aller les ramasser au sol une à une. Il est quasi-impossible de toutes les récupérer. Un prêtre m’a dit un jour qu’il envisageait de quitter la prêtrise parce qu’avec cette tache sur sa réputation il ne pourrait plus exercer son ministère.
Dans les affaires d’abus, la prescription est souvent très discutée.
LCG: La question se complique encore lorsqu’il y a une décision de non entrée en matière de la justice civile pour raison de prescription. Que doit faire la justice de l’Église? Elle a la possibilité de lever la prescription et de prendre des sanctions. Mais c’est une démarche délicate. En fait, la question de la prescription dépasse le cadre de l’Église et concerne la société entière.
«Je crains la tentation de devenir une Église de parfaits où le péché et surtout la rédemption n’ont plus leur place.»
L’Eglise peut-elle envisager de réintégrer un prêtre qui a fauté mais qui est repentant?
MCA: En droit pénal, lorsqu’une personne a été condamnée et a accompli sa peine, elle réintègre la société. Dans l’Église, nous sommes moins favorables à réintégrer un prêtre qui a commis un abus, même s’il a fait un chemin de demande de pardon, de pénitence et s’engage pour le futur à ne plus avoir de comportements inappropriés. Je crains la tentation de devenir une Église de parfaits où le péché et surtout la rédemption n’ont plus leur place. J’appartiens à une Église pécheresse dans laquelle nous cheminons tous. Quelle pourrait-être alors la démarche ecclésiale pour réintégrer le pécheur lorsqu’il est possible de le faire ?
Dans les premiers siècles de l’Église, il y avait la notion de péché public. Le pécheur, qui était excommunié, devait faire un acte de pénitence devant toute la communauté pour être réintégré. Outre l’agression, la composante la plus grave est le scandale envers la communauté. Il y a peut-être là des pistes de réflexion. Mais pour l’heure, nous n’avons pas de réponse. Je pense qu’il ne peut pas y avoir de règle générale, mais qu’il faut voir au cas par cas.
LCG: Un agent pastoral qui a commis des abus, même s’ils n’étaient pas d’ordre pénal, a commis une sorte trahison envers la communauté. C’est difficile de le réparer. Mais le bannissement à vie d’une personne n’est pas une solution pour l’Église. Un évêque reste responsable de ses prêtres au-delà des circonstances, même si la société peine à l’admettre.
Certains auteurs d’abus restent dans le déni ou la minimisation.
MCA: Selon mon expérience, un prédateur ou un pédophile pathologique ne reconnaît pas les abus, car cela est lié à un dysfonctionnement de sa personnalité. Et là, il n’y pas de demande de pardon possible. Dans ces cas-là, il est absolument évident qu’aucune réintégration dans le ministère n’est envisageable.
Une des spécificités de la religion chrétienne est le pardon. ‘Il n’est pas de péché sans rémission’ dit l’adage biblique. Comment le mettre en oeuvre?
MCA: Tout le monde n’est pas prêt ou capable de pardonner. Et il faut le respecter. Lorsque je rencontre une victime avec l’évêque, la première chose que nous faisons toujours est de lui demander pardon en tant que membres de l’Église. Le pardon reste l’idéal, mais ce n’est toujours la réalité. Pour la victime il est très important de la reconnaître comme telle mais en faisant attention à ne pas l’enfermer dans ce statut, elle est beaucoup plus qu’une victime. Le pardon reste un gros chantier qu’aucun diocèse au monde n’a résolu. (cath.ch/mp)
Formation à la prévention à Paris
Mari-Carmen Avila en tant que représentante pour la prévention a demandé à 20 membres du diocèse de suivre le Diplôme Universitaire ›Abus et Bientraitance dans l’Église’ mis en œuvre un partenariat avec l’Institut catholique de Paris. Laure Christine Grandjean a participé au début du mois d’octobre 2024 à la première session de formation organisée à l’Institut catholique de Paris.
Cette formation fait partie de la feuille de route du conseil de prévention du diocèse de LGF. Elle s’adresse d’abord aux divers responsables dans chacune des régions diocésaines. Une vingtaine de personnes de LGF, dont l’évêque Charles Morerod, y ont pris part. Le cycle de formation dure deux jours par mois jusqu’en mai 2025. La formation comprend des cours, des témoignages et des ateliers. Elle se conclut avec un diplôme. L’année prochaine, certains curés modérateurs seront invités à y participer.
La mise en commun des expériences et des questionnements doit permettre d’arriver à une réponse approfondie et consensuelle. «Il s’agit de passer de la réactivité à une vraie prévention, afin que l’Eglise soit une maison sûre pour tous», relève Mari-Carmen Avila. Le rapport de la Ciase en France ou celui de l’université de Zurich pour la Suisse ne sont que des points de départ. Il faut mettre les choses en route selon leurs recommandations.
L’approche est systémique. Le regard n’est pas seulement fixé sur l’abus proprement dit, mais aussi sur le fonctionnement de la communauté, les rapports de pouvoir ou la formation des agents pastoraux.
«A Paris, nous avons rencontré un large panel de personnes de divers diocèses, agents pastoraux, prêtres et laïcs, religieux et religieuses, accompagnateurs spirituels, mais aussi des psychologues ou encore une pasteure protestante. Ce mélange était très enrichissant. Il y a une réelle prise de conscience que nous devons nous entraider» conclut Laure-Christine Grandjean. MP