France: 15e Journées d’Etudes François de Sales à Annecy

La presse catholique a-t-elle encore un avenir?

Annecy, 30 janvier 2011 (Apic) Les 15e Journées d’Etudes François de Sales ont eu lieu, les 27 et 28 janvier 2011, à Annecy en France. 220 éditeurs, journalistes ou observateurs de la presse catholique – le plus grand nombre jamais atteint – sont venus de France, Suisse, Belgique, Vatican, Canada et Afrique du Sud, pour réfléchir sur «Le rôle de la presse catholique dans la société et dans l’Eglise». Une presse catholique franc-tireur et anticonformiste? Une presse qui se médiatise? A-t-elle un avenir comme «presse laïque»?

Avec le développement toujours croissant du numérique et des journaux gratuits, la presse rencontre des inquiétudes quant à son avenir. La presse catholique n’échappe pas à ces mutations culturelles, a rappelé René Poujol (*) lors de l’introduction du thème des 15e Journées d’Etudes François de Sales. Aux mutations culturelles s’ajoutent des difficultés spécifiques, dues au rétrécissement du «vivier» catholique et à la perte d’influence de l’Eglise catholique dans la société. Le but des 15e Journées d’Etudes est donc de solliciter la créativité des différents protagonistes du monde catholique face à la crise de la presse écrite, et de s’interroger sur nos origines et nos raisons d’être. Car, a insisté René Poujol, c’est «en creusant nos identités propres que nous assoirons nos originalités et notre plus-value». Les participants ont tenté d’y répondre, en s’interrogeant sur «Quel regard sur la presse catholique»? Ils ont pris le risque d’un regard extérieur: «L’image de la presse catholique et les attentes des Français» (sondage TNS-Sofes pour la FFPC) et son rôle «dans la société» et «dans l’Eglise» (deux tables rondes). Le 28 janvier, ils ont échangé autour des «sept défis de la presse catholique» qui conditionnent son avenir et son développement, s’arrêtant surtout sur «Le défi des publics» et du «numérique».

Les journées sont placées sous l’égide de la Fédération Française de la Presse Catholique (FFPC), en partenariat avec l’Union des établissements d’enseignement supérieur catholique (UDESCA) et le diocèse d’Annecy.

La presse catholique: «une presse laïque»

«Nous vivons dans la dictature de la norme. Qui n’y est pas, est exclu», a affirmé Jean-Paul Delevoye (**). La vraie question est de savoir quelle est l’attente de notre société? A ses yeux, la presse catholique a un avenir comme «presse laïque».

De par ses mandats politiques, Jean-Paul Delevoye a constaté l’usure psychique de la France. «Nous sommes dans une société des mots, qui ne réagit qu’à des mots». D’autre part, jamais la violence n’a atteint un tel degré. Un nouveau rapport entre le collectif et l’individuel se développe. Aujourd’hui, la société demande au citoyen de choisir à quelles appartenances il veut adhérer. Faut-il désormais guider la société ou la suivre?, s’est-il interrogé. Nous assistons également à un nouveau rapport à l’autorité, qui est toujours plus contestée. Selon lui, il ne faut pas obliger, mais «aimer à»: aimer à lire, à travailler… Car la peur de l’autre appelle un renforcement des lois et l’instauration d’une morale collective. «Il faut alors se protéger contre, au détriment de l’envie de partager avec». Le citoyen devient dès lors un consommateur de la République. «On préfère le confort des réponses à l’inconfort de la question», a-t-il lancé.

Aussi, a affirmé Jean-Paul Delevoye, il est urgent de s’occuper de l’essentiel, de ne pas quitter les convictions pour le champ des émotions. L’individu ne ferait que glisser de l’insatisfaction à la frustration. Or aujourd’hui, «l’homme vaut plus pour ce qu’il dépense que pour ce qu’il pense». Il rencontre de moins en moins d’empathie et il sombre toujours plus dans l’isolement. Je m’étonne, a constaté le président de Conseil Economique, Social et Environnemental, qu’il n’y ait «aucun indicateur de croissance sur le bien vivre»?

Si la génération précédente souffrait de la morale, la génération montante souffre dans son identité: «de quoi suis-je capable?» Or justement, la question de l’identité permet de créer des solidarités de proximité et d’engagement, a défendu Jean-Paul Delevoye. Invitant même à se battre pour une laïcité impliquant la connaissance de l’autre; «La quête du sens de la vie et de la vie avec l’autre». La bataille de demain sera désormais celle des causes, a-t-il conclu, et non plus celle des intérêts.

«La presse militante est par définition une presse de la fragilité»

Le sort de l’Eglise catholique et de la presse catholique m’intéresse, a déclaré André Comte-Sponville (***), car il y a un enjeu de la société. La presse catholique mène un combat spécifique. «On attend d’elle autre chose que de dire ce que tout le monde dit». Le philosophe a mis en garde les participants: ne soyez pas «une presse militante, qui est par définition une presse de la fragilité» (prendre position sur le préservatif, c’est devenir militant). La presse est là pour respecter la liberté, mais non pour répéter une ligne. On lit un journal pour être surpris, et non pour y retrouver ses idées.

Le rôle de la presse catholique est, selon André Comte-Sponville, de maintenir la Tradition chrétienne. Il conçoit l’Eglise comme communion-communiante, qu’il distingue de la hiérarchie. Pourquoi la presse catholique est-elle meilleure?, s’est interrogé cet ’athée fidèle’, comme il se définit. Elle l’est, «car elle est moins racoleuse, démagogue, commerciale, soumise à l’audimat». Pour preuve, Régis Debray s’est désabonné du Monde pour La Croix, a-t-il révélé. Elle l’est également par son indépendance: indépendante financièrement (une communauté religieuse offre plus de liberté), de l’audimat, des partis politiques. «Cette indépendance est un reflet de notre dépendance, comme Dieu n’est ni de droite ni de gauche», a-t-il déclaré.

Il a encore affirmé sa fatigue envers le «politiquement correct, qui devient insupportable». «Nous sommes menacés par la violence des conflits, les bons sentiments et le politiquement correct». Toutefois, a-t-il conclu en provoquant l’assemblée, ce n’est pas à l’Etat de défendre les valeurs de l’Evangile. Il s’est appuyé sur l’exemple des Roms, invitant les catholiques à les accueillir chez eux.

«Se profiler comme une presse alternative»

Le problème de la presse d’aujourd’hui est «celui du contenu», a déclaré Jean-Claude Guillebaud (****).»Le conformisme généralisé de la presse, «cette maladie de la vache folle» (la recopie permanente), est un véritable désastre». Les écrivains ne se lisent pas entre eux, ils se surveillent. Alors que la presse devrait viser deux objectifs: l’indépendance à l’égard des institutions et de l’argent. Malheureusement, s’est indigné le journaliste, la presse est trop inféodée. Par chance, la presse catholique n’est pas son vassal.

L’essayiste a rendu attentif aux journaux qui voient le jour. Comment se fait-il qu’ils connaissent du succès? C’est, a-t-il répondu, parce qu’»ils s’intéressent à ce que lisent les gens», s’appuyant sur l’exemple du Courrier international ou de Revue 21 (on aurait pu citer le mensuel gratuit catholique l’1visible). Ces journaux sont hors institutions. Leur démarche commune est de jeter les études de marketing et de prendre le contre-pied de l’idéologie dominante. On se donne du temps, du recul, on investit dans des articles de fond (30’000 signes), on réhabilite les photographies et le reportage. La formule séduit. On propose quelque chose qui vient d’ailleurs, de frais, dont le détail est soigné.

La presse catholique devrait plus profiter de ses atouts, a ajouté Jean-Claude Guillebaud. Elle est hors système. Sa pérennité est assurée par les ordres religieux, qui ne connaissent pas les problèmes de partager le capital familial. «La presse catholique doit se profiler comme une presse alternative», a-t-il défendu. Car «la société est en quête de voix alternatives, qui viennent d’ailleurs et qui proposent du neuf». Mais, a-t-il mis en garde, elle doit être joyeuse et plus libre. Cette objection est une chance à saisir, qui engage les journalistes à plus de professionnalisme (soigner l’écriture, la documentation…). Il a conclu en invitant les participants à devenir des partisans «d’un optimisme stratégique»: «ceux qui s’inquiètent de l’essoufflement du christianisme ne seront pas sauvés par des essoufflés».

«Redonner d’urgence du christianisme à la chrétienté»

A l’encontre d’André Comte-Sponville, Jean-Claude Guillebaud a défendu que «la politique relève de la solidarité, qui implique une convergence d’intérêts». Autrement, comment lutter contre un risque de pression, voire de dictature des bons sentiments. A quoi André Comte-Sponville a répondu: «La dictature des bons sentiments, c’est justement de dire à la politique ce qu’elle doit faire». Au contraire, comme l’a rappelé Sören Kierkegaard (philosophe et théologien danois du 19e siècle), il faudrait «redonner d’urgence du christianisme à la chrétienté».

Si tous ont reconnu la légitimité de la presse catholique, ils divergent entre eux quant à sa réalisation. Pour Jean-Paul Delevoye, la presse catholique est là pour mettre le politique dans l’inconfort du questionnement et l’obliger à prendre une position. Elle peut réintroduire le sens des valeurs, dans une société tiraillée entre le respect de sa conscience et le respect du citoyen. Pour le cardinal Philippe Barbarin (*****), la presse catholique doit réveiller. C’est rendre service à l’Eglise que de la réformer. En lisant la presse catholique, a-t-il ajouté, on doit pouvoir «entrevoir la lumière du Royaume», qui est une lumière différente. Jean-Marie Guénois (******) a défendu une presse qui épouse son public et donne un ton. Il a encouragé une diffusion directe et rapide auprès du particulier, grâce au net, court-circuitant ainsi la hiérarchie et se médiatisant elle-même. Selon Guy Aurenche (*******), cette presse doit «renforcer notre capacité à un engagement convictionnel», c’est-à-dire rejoindre les hommes et les femmes au rendez-vous d’humanité. Le Père Laurent Villemin (********), dans sa relecture de la journée, a rappelé l’importance de «se maintenir dans des conditions d’ouverture à l’altérité». Car nous sommes dans une situation de captivité et de fragilité. Il y a, a-t-il estimé, péril en la demeure. L’éclatement social va obliger la presse catholique à «jouer un rôle d’identifiant fort». Elle devra «maintenir le débat, tout en recherchant ensemble la vérité, dans la diversité de l’Esprit». «Réveillez-vous, a-t-il invité l’assemblée, c’est aujourd’hui le jour de l’Homme». Les participants ont pu y goûter les prémices lors de la messe présidée par Mgr Yves Boivineau, évêque d’Annecy.

(*) René Poujol est diplômé de droit. Après un bref passage à l’ORTF (Office de radiodiffusion-télévision française), il a fait sa carrière auprès du groupe Bayard. Aujourd’hui retraité, il est chargé de mission pour la coordination du programme des Journées d’Etudes François de Sales.

(**) Jean-Paul Delevoye est président du Conseil Economique, Social et Environnemental depuis le 16 novembre 2010. Il continue à assumer la mission de Médiateur de la République – poste qu’il a occupé depuis avril 2004 –, jusqu’à la nomination de son successeur.

(***) André Comte-Sponville est un ancien élève de l’Ecole Normale Supérieure et agrégé de philosophie. Il a démissionné de son poste de maître de conférences à l’Université Paris-1 (Panthéon-Sorbonne), pour se consacrer à l’écriture et aux conférences. Il est membre du Comité Consultatif National d’Ethique.

(****) Jean-Claude Guillebaud est journaliste, éditeur, essayiste. Il est titulaire d’un doctorat en droit privé et en sciences criminelles. Il a longtemps été grand reporter et correspondant de guerre pour Sud-Ouest, Le Monde et le Nouvel Observateur. Il est directeur littéraire aux éditions du Seuil depuis 1982. Il appartient également au Conseil de surveillance du groupe Bayard.

(*****) Mgr Philippe Barbarin est archevêque de Lyon. Il détient une maîtrise en philosophie et une maîtrise en théologie. Ordonné prêtre en 1977, il a été évêque de Moulins (1998-2002), puis archevêque de Lyon depuis 2002. Il est créé cardinal le 21 octobre 2003 par le pape Jean Paul II. Il est membre de la Congrégation pour le culte divin et la discipline des sacrements et membre de la Congrégation pour les instituts de vie consacrée et les sociétés de vie apostolique.

(******) Jean-Marie Guénois est rédacteur en chef adjoint au Figaro, chargé des questions religieuses. De 1998 à 2008, il a été chef du service «religion» au journal La Croix. Il a fondé en 1991 l’agence de presse I.MEDIA, spécialisée sur le Vatican, à Rome.

(*******) Guy Aurenche a été avocat à la Cour d’Appel de Paris, de 1967 à 2007. Il est spécialiste de droit civil, droit pénal et des droits humains. Depuis janvier 2009, il est président du CCFD-Terre solidaire (Comité catholique contre la faim et pour le développement), après avoir été président de l’ACAT-France (Action des chrétiens pour l’abolition de la torture) et président de la Fédération internationale de l’ACAT (FI.ACAT).

(********) Laurent Villemin est prêtre du diocèse de Verdun. Il est professeur d’ecclésiologie et de théologie œcuménique à l’Institut Catholique de Paris (ICP). Il dirige également le second cycle de théologie au Theologicum (faculté de théologie et de sciences religieuses). Il est directeur adjoint à la recherche pour l’ICP. Il est aussi membre du Comité français de dialogue avec les Baptistes et membre du Groupe des Dombes. (apic/com/ggc)

30 janvier 2011 | 15:12
par webmaster@kath.ch
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