La polygamie est une réalité dans certains pays du centre et de l'ouest de l'Afrique | photo d'illustration © Rod Waddington/Flickr/CC BY-SA 2.0
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La polygamie, défi pour un droit canon «interculturel»

Des solutions pastorales doivent être trouvées à la polygamie, a soulevé le professeur centrafricain Nike Onongo lors d’un récent débat à l’Université de Munich. Un défi pour le caractère universel de l’Église, alors que le droit canonique est étroitement lié à la culture et à la théologie européennes.

Francesco Papagni pour kath.ch/ traduction et adapatation: Raphaël Zbinden

«Droit canonique interculturel», tel était le titre de la table ronde organisée le 22 novembre 2024 à l’Université Ludwig-Maximilian de Munich. L’événement était organisée par la revue NomoK@non, un webjournal sur la religion et le droit basé dans l’université.

La question est en effet centrale pour l’Église catholique aujourd’hui: comment cette institution unique, avec son droit universel, peut-elle tenir compte de la diversité des situations dans le monde? Cette question de la pluralité culturelle a gagné en visibilité à l’occasion du Synode sur la synodalité, dont la dernière phase s’est déroulée à Rome en octobre 2024. On y a notamment vu des femmes européennes se heurter à des représentants africains ou asiatiques qui portaient des thématiques différentes et une autre manière d’argumenter.

Une théologie catholique ancrée dans l’Europe

Deux experts reconnus en ont discuté à Munich: les professeurs Matthias Pulte (de l’Université Johannis-Gutenberg de Mayence) et Nike Ongono (de l’Université Ludwig-Maximilian de Munich). Le premier est un connaisseur du droit missionnaire, cette partie du droit ecclésiastique élaborée au début de l’ère moderne pour les territoires coloniaux. Le second, originaire de la République centrafricaine, apporte une expertise pour l’Afrique, tout en étant professeur de gouvernance globale de l’Église.

Les deux hommes se sont accordés sur le fait que la théologie catholique, et notamment le droit canonique, était profondément imbriquée dans la culture européenne. Le droit canonique s’est en effet d’abord référé au droit romain, puis germanique. Cela n’a pas été reconnu comme un problème tant que le clergé était originaire d’Europe. Mais aujourd’hui, les Églises d’Amérique du Sud, d’Afrique et d’Asie sont autonomes et développent leurs propres approches.

La polygamie, une réalité en Afrique

Nike Ongono a utilisé, en référence à cette ecclésiologie africaine, le terme de «Famille de Dieu», dont la grande famille africaine est le modèle, la «famille» englobant dans ce cas le monde entier. Les rôles de l’homme et de la femme y sont prédéfinis; le mariage, qui doit être défendu contre le consumérisme et l’individualisme, constitue la base de cette grande famille, a estimé le Centrafricain. La famille est le lieu originel de l’évangélisation, où les enfants jouent un rôle particulier, a souligné Nike Ongono. Une petite pique, peut-être, à l’Europe, où l’on enregistre de moins en moins de naissances.

«L’exemple de la polygamie illustre toute la problématique du rapport entre le droit canon universel et la diversité des cultures»

Mais de quelle structure familiale s’agit-il? Le professeur de Munich a fait remarquer que la polygamie, le mariage d’un homme avec plusieurs femmes, faisait partie de la culture en Afrique de l’Ouest et du Centre. Une forme familiale non compatible avec le droit canon, a relevé Matthias Pulte. Étant donné que le mariage d’une femme avec un homme est fondé dans l’Église non seulement sur le plan juridique, mais aussi théologique, le professeur de Mayence n’a guère pu considérer de marge de manœuvre en la matière. Nike Ongono, en revanche, a insisté sur le fait que la polygamie était une réalité et a appelé au développement de solutions pastorales adaptées.

Quelle marge d’adaptation pour le droit canon?

Le professeur Burkhard Berkmann, rédacteur de NomoK@non et organisateur de l’événement, s’est demandé si «l’idée d’une adaptation du droit canonique n’était pas une forme d’imposture». Une autre question brûlante s’en est suivi: quelle est la position de l’Église face à des cultures qui ne connaissent pas ou n’acceptent pas l’égalité entre les hommes et les femmes? Dans l’exemple africain cité, il n’existe en effet pas de réciprocité, c’est-à-dire qu’une femme ne peut pas épouser plusieurs hommes.

L’exemple de la polygamie illustre toute la problématique du rapport entre le droit canon universel et la diversité des cultures. Certes, le droit canonique est (partiellement) flexible et reconnaît aujourd’hui déjà une marge de manœuvre pour les diocèses. Mais la plupart des évêques – les canonistes présents à la table ronde étaient d’accord sur ce point – n’exploitent pas du tout ces possibilités. Tout discours sur la flexibilité et l’interprétation du droit ne doit cependant pas omettre que le droit et les conditions locales sont souvent difficiles à concilier –  une réalité qui vaut également pour l’Europe.

Amorcer un dialogue

Finalement, l’Église vient apporter le Christ, non pas une culture ou une ethnie, a-t-il été rappelé. Les Européens doivent d’abord se rendre compte à quel point la forme actuelle du droit canon et de la théologie est étroitement liée à leur propre culture. C’est un tel dialogue que la discussion entre spécialistes à Munich a permis d’amorcer. Les participants ont espéré que le fil du dialogue ne soit pas rompu. En conclusion, Burkhard Bergmann a cité l’évangile de Matthieu, selon lequel nous voyons la paille dans l’œil de notre prochain, mais pas la poutre dans le nôtre. (cath.ch/fp/kath/rz)

La polygamie est une réalité dans certains pays du centre et de l'ouest de l'Afrique | photo d'illustration © Rod Waddington/Flickr/CC BY-SA 2.0
2 décembre 2024 | 11:44
par Rédaction
Temps de lecture : env. 4  min.
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