Le pape François accueilli par le patriarche Néophyte le 5 mai 2019 à Sofia |© Patriarcat orthodoxe de Bulgarie
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La petite Eglise catholique en Bulgarie, un lieu d’espérance

Si la Bulgarie est le pays le plus pauvre de l’Union européenne, dont elle est membre depuis 2007, «elle a des potentialités et ne peut se résumer à ces indicateurs économiques», note le Père Jaroslaw Bartkiewicz. Le religieux franciscain polonais, missionnaire en Bulgarie depuis 2005, est en Suisse à l’invitation de l’œuvre d’entraide catholique «Aide à l’Eglise en Détresse ACN».

Jacques Berset, pour cath.ch

Dans sa jeunesse, le Père Jaroslaw Bartkiewicz voulait être missionnaire en Asie ou en Afrique, mais le destin en a voulu autrement. C’est, à l’époque du séminaire, une rencontre avec des religieux travaillant en Bulgarie qui l’a aiguillé vers ce pays majoritairement de confession orthodoxe (76 % de la population), avec une importante minorité musulmane (10 %). Sur quelque 7 millions de Bulgares, les catholiques (de rite latin et de rite gréco-catholique byzantin) représentent à peine le 1% de la population, soit moins de 70’000 fidèles.  

Le Père franciscain polonais Jaroslaw Bartkiewicz, en tournée dans les paroisses des Grisons en janvier 2021 | © Lucia Wicky ACN Lucerne

«Le plan de Dieu»

Le futur prêtre originaire de la ville polonaise d’Ostrów Mazowiecka fit, en 2003, une petite expérience dans ce pays, où il s’installera après son ordination sacerdotale en 2005. Jaroslaw Bartkiewicz, âgé de 44 ans, dit aujourd’hui que c’était certainement là «le plan de Dieu».

Le missionnaire polonais vit dans le couvent franciscain de Pleven, entre les montagnes des Balkans et le Danube, qui fait frontière avec la Roumanie. Il est recteur du nouveau sanctuaire marial Notre-Dame de Fatima, érigé en 2016 grâce notamment au soutien financier d’ACN. Il est également curé de la paroisse du même nom, qui dépend du diocèse latin de Nicopoli, dont le siège est à Ruse, sur le Danube.

Reconstruire la communauté

Quand Jaroslaw Bartkiewicz arrive à Pleven, une ville de plus de 100’000 habitants au passé communiste marqué, il habite d’abord durant deux ans dans un petit appartement austère. C’est au pied de son immeuble, dans un ancien bar, qu’est installée la première chapelle, car la ville n’a pas d’église. Il faut presque repartir de zéro après plus de quatre décennies de régime communiste.

Des catholiques des villages alentours étaient venus travailler dans les usines de la ville, et il fallait désormais les réunir. Les anciens communistes en poste faisaient tout, auprès des autorités, pour retarder l’autorisation de construire une église.

Dès le début, «Aide à l’Eglise en Détresse ACN» a accompagné les franciscains dans la construction de leur paroisse. «D’abord, on priait dans les maisons des particuliers, parfois on célébrait la messe dans la cave d’un immeuble résidentiel, presque comme au temps de la clandestinité», rappelle de son côté Magda Kaczmarek, responsable de l’œuvre d’entraide catholique pour cette région d’Europe de l’Est.

L’habitude de la tolérance

Sanctuaire marial Notre-Dame de Fatima, érigé en 2016 au nord de la Bulgarie | DR

La Bulgarie, sous domination ottomane depuis le XIVe siècle jusqu’à la guerre russo-turque de 1877-1878, a été un corridor par où sont passés différents peuples, explique le Père Bartkiewicz. «De par son histoire, la Bulgarie connaît différents peuples et une diversité de langues. Pour les Bulgares, la différence est normale: ils sont tolérants. Depuis seize ans que je vis dans ce pays, en tant que membre d’une confession minoritaire, il n’y a jamais eu d’incidents. Je travaille avec les gens, je n’ai jamais eu de problèmes de nationalités».

Les groupes nationalistes, dont certains sont ouvertement antisémites ou nostalgiques du temps où la Bulgarie était l’alliée de l’Allemagne nazie, «sont très minoritaires», affirme-t-il.

Entente cordiale entre catholiques  

Entre catholiques latins et byzantins, l’entente est cordiale. L’Eglise catholique de Bulgarie est organisée en trois diocèses: le diocèse de Sofia et Plovdiv, et celui de Nicopoli, tous deux de rite latin, et le diocèse de Sofia, de rite byzantin. « On célèbre ensemble, on travaille ensemble au plan pastoral, avec les jeunes, les familles… Nous sommes une seule Eglise catholique, même si nous avons deux calendriers : le calendrier grégorien pour les latins, le calendrier julien pour les gréco-catholiques. A Noël, nous célébrons ensemble, mais pas à Pâques».

Bonnes relations interreligieuses

Avec les orthodoxes, l’entente est également bonne, tient-il à souligner, en rappelant la venue du pape François en Bulgarie en mai 2019, deuxième pontife à visiter le pays après Jean Paul II en 2002. Le pape argentin y avait rencontré le patriarche Néophyte, chef de l’Eglise orthodoxe bulgare. Le 27 février 2020, le pape François a fait remettre au patriarche des reliques de saint Clément, pape et martyr, et de saint Potit, martyr. Selon une antique tradition, saint Clément et saint Potit sont liés à Sardique, ancien nom de Sofia, Saint Clément étant considéré comme le premier évêque de cette ville.

Le Père Bartkiewicz relève encore que le 17 janvier 2021, lors de l’ordination épiscopale de Mgr Rumen Ivanov Stanev, évêque auxiliaire de Sofia-Plovdiv, le patriarcat orthodoxe avait envoyé une délégation. Les protestants et les musulmans avaient fait de même. «Chacun connaît les différences entre les diverses confessions et religions, les relations entre elles sont en général bonnes!» 

Difficile situation économique

Plus de 2, 4 millions de Bulgares, soit un tiers de la population, vivent en dessous du seuil de pauvreté qui est d’environ 145 euros par mois, selon les derniers chiffres de la Confédération des syndicats indépendants de Bulgarie (KNSB). Ce sont les retraités qui souffrent le plus, plus de la moitié d’entre eux font face à la pauvreté.

Scène de rue courante en Bulgarie | © ACN Lucerne

«C’est vrai, constate le missionnaire franciscain, le pays n’est pas riche, mais il y a tout de même des perspectives pour les jeunes formés, notamment avec le travail à distance. Ils sont moins tentés qu’il y a une dizaine d’années par le rêve de l’émigration vers les pays de l’Ouest européen».

A Pleven, beaucoup de jeunes veulent rester au pays, souligne le Père Bartkiewicz. L’Eglise fait tout son possible face aux difficultés sociales que connaît le pays, notamment dans les paroisses, qui organisent des distributions de nourriture pour les personnes sans beaucoup de ressources, ainsi qu’une assistance médicale. «A Ruse, nous avons également un home pour les sans-abris», note-t-il.

Du matérialisme dialectique au matérialisme pratique

Si à la chute du communisme, avec la réouverture des églises, les gens redécouvraient la liberté religieuse, il relève aussi que désormais, dans la société bulgare tout comme en Occident, le matérialisme est devenu de plus en plus prégnant. «Nombre de personnes cherchent avant tout une meilleure vie et mettent l’accès aux biens de consommation à la première place, avant les valeurs religieuses». 

Sans le soutien d’«Aide à l’Eglise en Détresse ACN», insiste-t-il, «il serait très difficile pour notre Eglise de faire tout ce que nous faisons!». Même si la pandémie du Covid-19 – qui a déjà fait près de 9’000 morts dans le pays au 25 janvier 2021 – fait planer de lourdes inconnues, le Père Jaroslaw Bartkiewicz préfère voir «le verre à moitié plein plutôt qu’à moitié vide!» (cath.ch/jb)

Le souvenir de la persécution
Sous le régime communiste en Bulgarie, les prêtres catholiques ont été accusés de suivre les ordres du Vatican pour mener des activités antisocialistes et aider les partis d’opposition. En 1949, les prêtres étrangers ont été interdits de prêcher et le nonce apostolique a été interdit de revenir en Bulgarie. Les relations entre le Vatican et la Bulgarie ont été rompues à cette époque. Au début des années 1950, les biens des paroisses catholiques ont été confisqués, toutes les écoles, collèges et clubs catholiques ont été fermés, et l’Eglise catholique a été privée de son statut légal.
En 1951-1952, au cours du procès intenté contre les membres de l’Eglise catholique en Bulgarie, des dizaines de prêtres diocésains, ainsi que des religieux capucins et assomptionnistes, des religieuses et des laïcs, furent condamnés, selon l’accusation, «pour avoir travaillé pour des agences de renseignement occidentales et avoir collecté des renseignements politiques, économiques et militaires pour l’Occident».
A la suite d’un procès truqué dans la pure tradition stalinienne, furent fusillés dans une cour de la prison centrale de Sofia le 11 novembre 1952: Mgr Evgueni Bossilkov, passioniste et évêque de Nicopoli (béatifié par Jean Paul II le 15 mars 1998),  et les Père Kamen Vitchev, Pavel Djidjov et Josaphat Chichkov. Ces trois prêtres assomptionnistes ont été béatifiés par Jean Paul II le 26 mai 2002 à Plovdiv. JB

Le pape François accueilli par le patriarche Néophyte le 5 mai 2019 à Sofia |© Patriarcat orthodoxe de Bulgarie
26 janvier 2021 | 11:47
par Jacques Berset
Temps de lecture : env. 6  min.
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