La Nativité de Jésus et l'attente messianique
Seuls les évangélistes Matthieu et Luc, dans ce qu’on appelle les «Evangiles de l’enfance», parlent explicitement de la conception, de la naissance et de l’enfance de Jésus de Nazareth. Ni Marc ni Jean n’offrent de récit lié à la Nativité, confie la bibliste Isabelle Donegani, qui nous reçoit dans le cadre enchanteur de La Pelouse sur Bex.
Jacques Berset
C’est à la lumière de Pâques qu’il convient de lire ce que les évangélistes nous disent de cette naissance. Matthieu et Luc ne le font pas de la même manière (ils utilisent des sources autres et s’adressent à des communautés autres) et fournissent ainsi des éclairages différents sur l’événement de la Nativité.
Avant Noël, mémorial de la naissance de Jésus, c’est bien Pâques, où est célébrée la résurrection du Christ, qui est au cœur de la foi chrétienne, précise la religieuse de la congrégation des Sœurs de Saint Maurice.
«Et cette annonce se fait sur fond de difficile reconnaissance, comme lorsque deux disciples, sur le chemin d’Emmaüs, ont de la peine à reconnaître en l’étranger qui marche à leurs côtés la personne de leur maître, Jésus». Ils ne peuvent croire à la résurrection et sont en plein désarroi, car la mort de Jésus a détruit leur espoir de délivrance pour Israël. Le récit de la naissance d’un Sauveur à Bethléem, dans l’étable d’une hôtellerie, est une œuvre plus tardive que celle des récits de résurrection.
La première allusion dans les années 50-51
C’est l’apôtre Paul qui fait, le premier, une simple allusion à la naissance de Jésus, dans l’Epître aux Galates: «Dieu a envoyé son Fils, né d’une femme et soumis à la loi de Moïse». A cette époque – on est dans les années 50-51, soit une vingtaine d’années après la crucifixion de Jésus –, on peut penser que la liturgie célébrant la naissance du Christ n’en est qu’à ses premiers balbutiements, assure Sœur Isabelle Donegani. Elle semble être alors d’abord centrée sur le mystère de Pâques, sommet du salut donné au monde en la personne du Christ Jésus.
Dans l’Epître aux Galates (4, 4 7), note la bibliste, on trouve chez saint Paul la plus ancienne allusion à ce que l’on pourrait appeler la Nativité. Il est vrai que les premiers chrétiens ont su ensuite interpréter l’événement de la Nativité comme accomplissant les oracles prophétiques de l’Ancien Testament, notamment celui d’lsaïe (7,13). Le prophète y annonce la venue d’un Messie: «C’est pourquoi le Seigneur lui-même vous donnera un signe: Voici que la Vierge a conçu, et elle enfante un fils, et on lui donne le nom d’Emmanuel». «Ici, le Messie est attendu comme un roi venant délivrer les petits, redonner espoir à un peuple soumis à des pouvoirs iniques», assure-t-elle.
Espérance messianique chez Isaïe et Jérémie
«Cette espérance messianique se lit aussi chez Jérémie (23,5-8): «Voici venir des jours, déclare le Seigneur, où je donnerai à David un Germe juste: il régnera en vrai roi, il agira avec intelligence, il exercera dans le pays le droit et la justice». On retrouve encore ce type de parole messianique notamment chez le prophète Zacharie (9, 9-10).
Ce n’est donc que plus tard, dans les années 70-80, soit vingt à trente ans après l’Epître aux Galates, que Matthieu et Luc écrivent ces «récits de l’enfance». Il s’agit des deux premiers chapitres de leur «Evangile de l’enfance». «Il n’y a pas chez eux de bœuf ou d’âne gris autour de la crèche.
Dans les «apocryphes»
Ces ajouts proviennent non des Evangiles ‘canoniques’, mais des Evangiles dits ‘apocryphes’ (*), écrits non reconnus comme inspirés par les Eglises chrétiennes, et donc non retenus dans le Canon des écrits bibliques».
La naissance comme la petite enfance de Jésus ont la part belle en plusieurs «apocryphes», comme dans l’Evangile du Pseudo-Thomas, où l’on voit un Jésus bénéficiaire de multiples dons miraculeux. Ainsi, à cinq ans, Jésus modèle-t-il des moineaux avec de la terre glaise, puis, dénoncé par un juif d’avoir agi un jour de sabbat, Joseph son père le gronde, mais Jésus, frappant dans ses mains cria aux oiseaux de partir, et ceux-ci déployèrent leurs ailes et s’envolèrent en pépiant (1,2). Dans l’Evangile arabe de l’Enfance, Jésus aide son père, charpentier, en imposant les mains sur les planches pour qu’elles se mettent à la bonne longueur!
Les Evangiles de l’enfance selon Luc et Matthieu
Dans l’Evangile selon Luc (2,1-18), on lit : «En ce temps-là parut un édit de César Auguste, ordonnant un recensement de toute la terre. (…) Tous allaient se faire inscrire, chacun dans sa ville. Joseph aussi monta de la Galilée, de la ville de Nazareth, pour se rendre en Judée, dans la ville de David, appelée Bethléem, parce qu’il était de la maison et de la famille de David, afin de se faire inscrire avec Marie, sa fiancée, qui était enceinte».
Luc poursuit ainsi: «Marie enfanta son fils premier-né, elle l’emmaillota et le coucha dans une mangeoire, parce qu’il n’y avait pas de place pour eux dans l’hôtellerie» (2,7). «Joseph, qui était là, et les bergers qui gardaient leurs troupeaux dans les champs, avertis de l’événement par l’Ange du Seigneur, sont les premiers témoins de la naissance», selon l’évangéliste Luc. On ne parle pas chez Luc d’autres témoins: «Il n’y a que les bergers, seulement d’humbles bergers, l’une des catégories sociales les plus méprisées à l’époque. Ces gens peu respectés ont pourtant été chargés d’une grande mission: annoncer la naissance du Sauveur. Chez Luc, il n’est pas fait mention de la présence de mages ni même d’étoile au-dessus du lieu de la naissance».
Le songe de Joseph
Dans son Evangile, Matthieu (1,18-25 et 2,1-13) donne à lire un récit différent de celui de Luc: il évoque le songe dont Joseph est bénéficiare, lui qui voulait rompre secrètement avec Marie, sa fiancée, qui se trouve enceinte avant qu’ils aient habité ensemble. «Un ange du Seigneur lui apparut en songe, et dit: Joseph, fils de David, ne crains pas de prendre avec toi Marie, ta femme, car l’enfant qu’elle a conçu vient du Saint Esprit; elle enfantera un fils, et tu lui donneras le nom de Jésus; c’est lui qui sauvera son peuple de ses péchés».
Des mages venus d’Orient
Matthieu évoque l’arrivée à Bethléem de mages venus d’Orient, guidés par l’étoile. «Ils entrèrent dans la maison, virent le petit enfant avec Marie, sa mère, se prosternèrent et l’adorèrent; ils ouvrirent ensuite leurs trésors, et lui offrirent en présent de l’or, de l’encens et de la myrrhe» (2,11). A ce moment du récit, Matthieu n’évoque ni ange ni bergers. Il ne parle pas de rois-mages, mais de mages seulement, censés symboliser les nations païennes. Il n’indique pas leur nombre, ni les noms de ces sages, leur nomination en tant que Gaspard, Melchior et Balthazar n’apparaissant pour la première fois qu’au cours du VIIIe siècle, commente Sœur Isabelle Donegani.
Le bœuf et l’âne, des rajouts tardifs
C’est tout ce que l’on trouve dans les Evangiles, note Sœur Isabelle Donegani. La présentation traditionnelle de l’Enfant Jésus dans une crèche, réchauffé par le souffle d’un bœuf et d’un âne, sont des rajouts tardifs.
«Ils ont été popularisés dans la mise en scène de la crèche vivante par saint François d’Assise, en décembre 1223, à Greccio, en Italie centrale. C’est une manière très incarnée et touchante de représenter la Nativité, avec l’âne et le bœuf, un troupeau de moutons et des bergers. C’est l’humanité du Fils de Dieu venu dans la chair qui est ainsi valorisée. Et c’est bien ce à quoi un récit comme celui de la Nativité nous invite: non pas d’abord croire en Dieu, mais croire en l’homme, en sa valeur inaliénable et sa haute dignité».
C’est aussi ce que souligne le Prologue de l’Evangile selon saint Jean (1,1-18), proclamé dans la liturgie du jour de Noël. Si la Loi a été donnée par Moïse, la grâce et la vérité, elles, sont venues par Jésus Christ, car «Dieu, personne ne l’a jamais vu; un Dieu, Fils unique qui est dans le sein du Père, Celui-là l’a fait connaître». Littéralement: il en est l’exégète, il nous raconte Dieu. Pour connaître Dieu, il faut regarder, contempler et écouter le Verbe fait chair, et cela dans la lecture des Evangiles notamment. (cath.ch/be)
(*) Quatre Evangiles sont reconnus comme canoniques par les Eglises chrétiennes: les Evangiles selon Matthieu, Marc, Luc et Jean. Ils forment la partie la plus longue du Nouveau Testament. Les autres Evangiles, non reconnus, sont dits apocryphes (»apókryphos», c’est-à-dire «cachés»).
Isabelle Donegani, de basketteuse à théologienne
Après une carrière sportive – Isabelle Donegani a joué au basketball en ligue A à Fribourg, lorsqu’elle étudiait la théologie à l’Université – elle obtiendra à Fribourg un doctorat en 1995 avec une thèse intitulée «Le témoignage selon l’Apocalypse de Jean». Elle fréquentera également l’Université catholique de Lyon (UCLy).
Isabelle Donegani, née en 1961, entre le 12 avril 1987, jour des Rameaux, dans la communauté des Sœurs de Saint Maurice, qui a sa Maison-Mère à La Pelouse, au-dessus de Bex. La communauté compte actuellement 55 religieuses en Suisse et autant de religieuses malgaches, à Madagascar. JB
L’évangile de l’enfance avec Marie-Christine Varone
La bibliste Marie-Christine Varone a donné sur cath.ch un cours vidéo sur les évangiles de l’enfance:
[Série de l'Avent] La naissance de Jésus est fêtée à Noël, au terme des quatre semaines de l'Avent, symbole de l'attente de cette naissance. Dans nos existences, l'attente d'un enfant peut parfois se prolonger indéfiniment. Comment la Bible met-elle en scène les naissances et le temps qui les précèdent? Cette année, cath.ch s'est intéressé à ce que ces "naissances bibliques" inspirent aux femmes et aux hommes d'aujourd'hui.