La mosquée centrale de Cologne: sous l'influence grandissante du régime d'Ankara
L’inauguration en grande pompe de la mosquée centrale de Cologne, samedi 29 septembre 2018, à laquelle a participé le président turc Recep Tayyip Erdogan, laissera des traces dans les relations interreligieuses en Allemagne.
L’autocrate d’Ankara a été le seul autorisé à prendre la parole – uniquement en turc. Nombre de soutiens allemands à ce projet datant de 2001 n’ont même pas été invités à la cérémonie. Dans son discours, Erdogan s’est adressé aux quelque trois millions de Turcs vivant en Allemagne, en dénonçant les groupes de «putschistes» et les séparatistes kurdes.
Une des plus imposantes mosquées d’Europe
La mosquée, une des plus imposantes d’Europe, est dotée de minarets de 55 mètres de haut et d’une grande coupole de 36 mètres. D’un coût estimé à 34 millions d’euros, elle a été notamment financée par l’Union turco-islamique des affaires religieuses, le Diyanet İşleri Türk İslam Birliği (DITIB), une branche des autorités des affaires religieuses du gouvernement turc. Elle a reçu une participation financière de la paroisse catholique Saint-Théodore de Cologne.
Sous la pression d’Ankara, la mosquée de Cologne, qui devait être un symbole d’intégration, s’est cependant de plus en plus refermée sur elle-même, déplore Josef Wirges, maire de l’arrondissement d’Ehrenfeld.
Des absences de marque
Le cardinal Rainer Maria Woelki, archevêque de Cologne, qui avait soutenu le projet en disant «Ici, croyants musulmans, juifs et chrétiens ne se laissent pas diviser… Celui qui dit ‘oui’ aux clochers doit aussi dire ‘oui’ aux minarets», n’était pas présent, ni même l’architecte allemand de la mosquée, Paul Böhm, spécialisé dans la construction d’églises. La bourgmestre de Cologne Henriette Reker, tout comme Armin Laschet, ministre-président de Rhénanie-du-Nord-Westphalie, étaient absents.
Les opposants au président Erdogan accusent le DITIC, qui a financé la mosquée, d’être liée au pouvoir turc. L’organisation gère 900 lieux de cultes en Allemagne avec des imams venant directement de Turquie, qui ne parlent souvent que le turc. Le rôle de cet instrument du pouvoir turc est controversé, car il est notamment accusé d’espionner les opposants au régime d’Ankara.
Gros dommages causés au dialogue interreligieux
Aucun représentant du Conseil des religions de Cologne n’a participé, faute d’invitation. Mgr Robert Kleine, doyen catholique de la ville, a regretté que la cérémonie se soit déroulée en «cercle fermé» au lieu d’une inauguration ouverte, les non-musulmans se sentant mal accueillis. Les invitations à l’inauguration avaient de toute façon été envoyées deux jours seulement avant l’événement. »Je pense que de gros dégâts ont été faits et qu’il faudra beaucoup de temps pour les réparer», a-t-il déclaré à l’hebdomadaire catholique britannique The Tablet.
Le dialogue interreligieux semble désormais particulièrement difficile, estime également Hannelore Bartscherer, ancienne présidente du Comité catholique de la ville de Cologne et ancienne membre du Conseil consultatif de la mosquée.
Ni ouvert ni transparent
Si une cérémonie d’inauguration se déroule de cette façon et n’a lieu qu’en turc, a-t-elle déploré sur les ondes de Domradio, le média de l’archevêché de Cologne, «ainsi le tout n’est plus ouvert et transparent… ce n’est plus alors ce que ce bâtiment devrait symboliquement représenter».
«Cet événement purement turc m’a effectivement frappé. Les médias ont été servis uniquement par un modérateur et non directement en allemand. Et pourtant le DITIB est depuis assez longtemps présent ici à Cologne. Je pense que c’est un signe alarmant», poursuit-elle.
120’000 musulmans vivent à Cologne
Hannelore Bartscherer relève que près de 120’000 personnes de confession musulmane vivent à Cologne. Elle estime qu’une mosquée représentative est un souhait légitime de cette population. «Nous avons environ 80 mosquées à Cologne et ce sont essentiellement des mosquées d’arrière-cour. Il doit y avoir une mosquée représentative. Et c’est aussi devenu un édifice super, conçu par un architecte qui, autrement, construit des églises (…) Je pense que c’est génial».
Elle reconnaît que le dialogue interreligieux avec le DITIB à Cologne est actuellement dans une phase délicate. Elle estime qu’il faudrait prendre davantage en considération le dialogue interreligieux avec les autres associations et représentations musulmanes.
Tous les Turcs ne se reconnaissent pas dans le DITIB, qui ne doit pas être confondu avec l’ensemble des musulmans. Il n’en représente qu’une partie, car il existe de nombreuses associations de mosquées, qui travaillent de manière intégrative dans leur environnement. «Beaucoup sont également engagées dans le dialogue interreligieux». (cath.ch/domradio/tablet/be)