La Mission albanaise veut collaborer avec la Suisse romande
La Mission catholique albanaise de Suisse, qui regroupe 30’000 fidèles, est encore peu connue en Romandie. Don Albert Jakaj, l’un des trois prêtres albanophones qui officient dans le pays, entend améliorer la présence de la mission dans la région et la collaboration avec l’Eglise locale.
De passage à Lausanne, début juillet 2020, Don Albert Jakaj et son assistant Lazër Preldakaj veulent se faire prendre en photo aux côtés de la statue de Mère Teresa, à la paroisse Saint-Amédée. Ils interpellent la première personne venue. Surprise, il s’agit du frère de l’un des représentants de la communauté musulmane albanophone locale, qui a participé financièrement à la mise en place et à la réalisation de la statue, en 2018! Le projet avait été lancé peu de temps après la canonisation de la religieuse d’origine albanaise par le pape François. En signe d’unité, il a été mené par la communauté albanaise dans son ensemble, au-delà des appartenances religieuses.
Renforcer la présence en Suisse romande
Hasard ou providence? En tout cas pour Albert et Lazër, un signe que leur démarche en Suisse romande démarre du bon pied. Depuis quelques mois, ils arpentent la région afin d’y développer la présence de la Mission catholique albanaise. Celle-ci est en effet plus forte en Suisse alémanique, ou les albanophones sont plus nombreux.
Don Albert, qui est basé à Aarau (AG), pense toutefois que de belles synergies pastorales peuvent être créées avec les 10’000 fidèles d’Albanie, du Kosovo, du Monténégro, ou de Macédoine qui résident dans le secteur qui lui est assigné (Suisse du Nord et de l’Ouest). La Mission catholique albanaise de Suisse a été fondée il y a 30 ans à Lucerne. Don Alexander Kola était le premier missionnaire pour l’ensemble de la communauté catholique albanophone du pays. Une tâche énorme qui a été facilitée, il y a 15 ans, par la création de deux autres centres, à Aarau et à Sirnach (TG).
Faire «avec» les fidèles
Don Albert est en charge de la Mission catholique albanaise depuis novembre 2019. Une de ses premières célébrations après sa nomination s’est déroulée à Renens (VD). La mission est présente depuis 1992 dans cette ville vaudoise, ainsi qu’à Lausanne (à Saint-Amédée, où la Fête de sainte Mère Teresa est également fréquentée par les Albanais musulmans) et à Flamatt (FR). Depuis trois ans, elle a également été accueillie dans le canton de Genève, à Carouge. Don Albert vient aussi chaque fois qu’on le lui demande en Suisse romande pour bénir un nouveau domicile, selon une tradition qui demeure dans la culture albanaise.
Une présence bien appréciée par les fidèles, mais encore insuffisante pour Don Albert. Il ambitionne ainsi de créer une Assemblée catholique albanophone en Suisse romande, qui accompagnerait le travail pastoral. Le groupe doit accueillir une bonne part de baptisés, selon le principe de synodalité. «Avec cette assemblée, nous voulons éviter les erreurs du passé, à savoir une pastorale où ‘nous faisons pour les fidèles’, qui sont dans un statut de ‘consommateurs’. Là, l’objectif est de ‘faire avec les fidèles’, comme le rappelle régulièrement le pape François». Le prêtre kosovar voudrait aussi renforcer la catéchèse en albanais dans le secteur romand. En particulier concernant le catéchuménat ou la préparation au mariage, à destination des personnes qui le désirent pour des raisons culturelles ou linguistiques.
Tous les Albanais ne sont pas musulmans
Outre contacter les médias, tels que cath.ch, Don Albert a commencé à rencontrer les autorités ecclésiales locales. Petit hic pour lui, il ne parle pas le français. Il est donc aidé bénévolement dans sa tâche par Lazër Preldakaj. Le théologien albanais résidant à Payerne fait notamment office de traducteur.
Le prêtre voudrait aussi tisser des liens et des collaborations entre la communauté catholique albanophone et l’Eglise locale. Il souhaite que les fidèles albanophones s’engagent davantage dans la vie paroissiale locale.
Au-delà, l’objectif de la démarche est de changer les idées reçues. Qui associent notamment les Albanais à l’islam. L’Albanie compte en effet 20% de catholiques, et une partie non négligeable de la diaspora albanophone est catholique, remarque Don Albert.
Cette proximité avec l’islam est l’une des spécificités de la communauté catholique albanophone, qui se reconnaît dans des valeurs ancestrales de fraternité et de tolérance, à l’instar de la société albanaise dans son ensemble, assure Don Albert. «La coexistence entre les religions en Albanie est bien connue. Ce n’est pas pour rien que le premier voyage du pape François hors d’Italie s’est déroulé dans ce pays (en 2014). A une époque marquée par les tensions entre l’islam et le christianisme, notamment autour du terrorisme, le pape voulait mettre en avant le modèle de coexistence pacifique représenté par cette société».
En Suisse, un symbole fort de cette unité, a été justement la démarche interreligieuse qui a amené à l’érection de la statue de Mère Teresa, à Lausanne. Cette grande figure de la chrétienté du 20e siècle, née à Skopje (actuellement en Macédoine du Nord) et canonisée en 2016, est respectée et vénérée par tous les Albanais, au-delà des appartenances religieuses, rappelle Don Albert Jakaj.
Une communauté «pont»
Une autre déconstruction à effectuer, selon lui, concerne la mauvaise image qu’ont les albanophones en Europe de l’Ouest. «Je pense qu’elle est liée en bonne partie à la fermeture très forte qu’a subie le pays pendant la période communiste, relève Lazër Preldakaj. Une fois ‘libérés’, il a été difficile à beaucoup d’Albanais de s’adapter à un monde extérieur dont ils ne connaissaient rien et de trouver leur place sans devoir forcément justifier leurs actions».
«En Suisse, je crois vraiment que les Albanais peuvent jouer un rôle clé dans les relations entre la communauté musulmane et le reste de la société, du fait de cette tolérance et de cette modération. Il y a chez eux très peu de radicalisation, notamment parce que le communisme a eu tendance à gommer les différences et parce que les religions ont dû s’unir face à une dictature farouchement athée.
Il y a en outre, dans la mémoire collective albanaise, la conscience que l’islamisation s’est faite dans un passé relativement récent (17e-18e siècles) et de façon forcée». De par leur bon rapport avec les Albanais musulmans, les Albanais catholiques peuvent ainsi faire office de «pont» entre les différents groupes sociaux, assure Don Albert.
Ils ne ménageront ainsi pas leurs efforts pour montrer à la Suisse romande que les Albanais catholiques existent et qu’ils désirent ardemment participer au vivre-ensemble. (cath.ch/rz)
Don Albert Jakaj est né en 1978 dans une famille catholique pratiquante de Pristina, la capitale du Kosovo. Il se sent très vite appelé par le Seigneur et commence son chemin vers la prêtrise en compagnie de son frère jumeau Robert. Ils quittent leur maison familiale en 1992 pour entrer au petit séminaire interdiocésain à Shkoder, en Albanie. Albert suit des études de philosophie à l’Université de Ljubljana, en Slovénie, puis de théologie à la Faculté Saint-Thomas d’Aquin de l’université pontificale salésienne (UPS) à Rome.
Les deux frères Jakaj sont ordonnés prêtres le 1er juillet 2006, par Mgr Zef Gashi, archevêque de Bar, au Monténégro, lors de la même cérémonie.
Don Albert est ensuite chancelier de l’archevêché de Bar et curé dans ce diocèse. Très ouvert au dialogue entre les religions, il est membre du conseil interreligieux du Kosovo.
En Novembre 2019, il est nommé responsable de la Mission catholique albanaise pour le nord et l’ouest de la Suisse, un secteur regroupant les cantons d’Argovie, de Berne, des deux Bâles, de Fribourg, de Genève, du Jura, de Neuchâtel, de Soleure et de Vaud.
Lazër (ou Lazare pour les francophones) Preldakaj est originaire du nord de l’Albanie. Il a grandi dans une famille catholique très croyante. Après avoir vécu cinq ans en Italie, il arrive en Suisse en 2012. Il habite à Lausanne, puis à Payerne, où il s’engage bénévolement au service des paroisses. Il commence en 2015 des études à la Faculté de Théologie de l’Université de Fribourg, où il a obtenu son Bachelor en 2019. Il prépare actuellement son Master . RZ