«La miséricorde appartient aux fondements de l'islam», affirme Hafid Ouardiri

«La miséricorde appartient aux fondements de l’islam, elle est essentielle dans la vie du musulman. Dieu a envoyé le prophète Mohammed comme une miséricorde pour toutes les créatures sans exception. Il ne fait pas de distinction entre les adeptes de telle ou telle religion», insiste Hafid Ouardiri, directeur de la Fondation de l’Entre-Connaissance, à Genève.

L’intellectuel genevois s’insurge contre ceux qui, comme les wahhabites, prétendent que, dans l’au-delà, la miséricorde serait réservée aux musulmans et à eux seuls.

La sourate Ar-Rahmân (Le Tout Miséricordieux)

Cet ancien porte-parole de la mosquée du Petit-Saconnex, à Genève, dont il fut brutalement licencié en 2007 à l’arrivée d’un haut-dignitaire saoudien à la tête de la fondation qui gère cet établissement religieux, cite à ce propos la sourate Ar-Rahmân (Le Tout Miséricordieux), la 55e du Coran.

Hafid Ouardiri nous reçoit dans son bureau, au 14 rue du Môle, à Genève, plus précisément au siège de la Fondation de l’Entre-Connaissance, à quelques minutes de la gare de Cornavin. A l’arrière, un jardin encore sauvage, un îlot de tranquillité au cœur du quartier multiculturel et populaire des Pâquis grouillant de vie. Un lieu tout à fait adéquat pour aborder la notion de miséricorde dans la religion musulmane.

Mais avant d’entrer dans le sujet, l’intellectuel musulman de 70 ans – il les a fêtés le 20 février dernier – nous offre une boisson et nous tend une boîte de biscuits. «Ils viennent de Damas…», lance-t-il avec un brin de nostalgie, au souvenir d’une région si riche culturellement et aujourd’hui ruinée par une guerre particulièrement destructrice.

«Le tout miséricordieux», le premier nom que Dieu s’est donné

La miséricorde ? Parmi les 99 attributs d’Allah, Ar-Rahmân, «le tout miséricordieux», est le premier nom que Dieu s’est donné. «La miséricorde est pour tous les mondes, le monde visible et le monde invisible, pour les musulmans et les non musulmans», insiste Hafid Ouardiri. Qui précise qu’il n’appartient à aucune école théologique particulière, les quatre principales dans l’islam sunnite étant le hanafisme, le malékisme, le chaféisme et le hanbalisme. «Je prends dans ces écoles ce qui me permet de vivre au mieux ma foi, de la façon la plus aisée».

«Si Dieu s’est prescrit la miséricorde, c’est pour permettre à l’être humain de se repentir, de se projeter dans un meilleur avenir. Dieu nous dit que sa miséricorde embrasse toute chose, dépasse tout», poursuit l’intellectuel genevois.

La miséricorde de Dieu réservée aux seuls musulmans ?

Il affirme qu’il y a tout le message de Dieu dans le Coran. Il est pour les musulmans la continuation des Ecritures saintes qui étaient avant l’arrivée de l’islam: la Torah des juifs et les Evangiles des chrétiens.

Des courants islamistes affirment que si dans cette vie Dieu fait miséricorde aux musulmans et aux non-musulmans, dans l’au-delà, la miséricorde de Dieu serait réservée aux seuls musulmans.

Cette affirmation exaspère Hafid Ouardiri: «Je condamne formellement cette interprétation de l’islam. Qui sont ces gens pour juger de la miséricorde de Dieu, qui ne serait que pour les vivants mais qui réserverait le paradis uniquement aux musulmans ? Ce sont les ennemis de l’islam qui pensent et qui prêchent de cette façon! Ils interprètent la miséricorde de Dieu dans ce qu’elle n’est pas. Comment ces gens-là peuvent-ils rétrécir ce qui est sans limites ? Car Dieu, quand il parle de la miséricorde, dit bien qu’elle est plus forte que l’amour d’une mère envers son fils».

Une pensée rétrograde qui gagne malheureusement du terrain

Hafid Ouardiri estime que cette vision, qui exclurait les non musulmans de la miséricorde de Dieu dans l’au-delà, relève d’une pensée rétrograde, qui gagne malheureusement du terrain. «Les puissances qui financent ce genre de pensées imposent leur manière d’interpréter la foi.

Ceux qui font du business avec eux sont prêts à les laisser faire», lance-t-il en regardant vers les dictatures et certaines monarchies obscurantistes de la Péninsule arabique. Et de dénoncer «l’incroyable lâcheté de l’Occident» qui, pour faire des affaires, détourne les yeux pour ne pas voir la nature de ces idéologies pernicieuses.

«Ces gens ont colonisé l’islam»

«Ces gens ont colonisé l’islam, ils l’ont détourné pour leur propre profit, s’arrogeant le droit de définir ce qu’est le Coran, dans le sens de ce qui arrange leur pouvoir». Mais, affirme Hafid Ouardiri, de nombreuses personnes, en Arabie saoudite par exemple, ont une bonne interprétation de l’islam. «Certes, elles sont menacées, ont des difficultés et en auront encore dans le futur, mais bien qu’on vive aujourd’hui une des périodes les plus difficiles pour les musulmans, je suis persuadé qu’il y a une issue. Car la miséricorde de Dieu tient compte de la dignité et de la liberté de l’être créé!»

Il estime que les penseurs musulmans, les interprètes du Coran, doivent pouvoir discuter librement de ce qui est équivoque et de ce qui est non équivoque dans le Coran. A ses yeux, il manque de gens compétents pour une bonne interprétation du Coran, afin que l’on ne l’utilise pas dans le sens de la violence et de la barbarie.

Les pouvoirs obscurantistes ont fermé la porte de la miséricorde

«De telles personnes existent cependant, mais on ne les entend pas assez! Les pouvoirs qui contrôlent le discours se sont arrogé le droit de fermer la porte de la miséricorde. Mais chez les nombreux jeunes musulmans que je rencontre en Suisse ou en France, je vois que de plus en plus d’entre eux sont fatigués de la violence, et adhèrent à d’autres moyens pour lutter contre l’iniquité et l’ignorance».

 


 

Hafid Ouardiri, vice-président de la Plateforme interreligieuse de Genève

Vice-président de la Plateforme interreligieuse de Genève, Hafid Ouardiri a des origines arabes et berbères, marocaines par son père et algériennes par sa mère. Il est né en 1946 dans la localité algérienne de Béni Saf, près de Tlemcen, non loin de la frontière marocaine. «Quand ils ne voulaient pas que les enfants comprennent, les grands-parents parlaient berbère à la maison…»

Enfant, il connaît de près les affres de la guerre d’Algérie, pays qu’il quitte à l’indépendance en 1962, brevet d’études du premier cycle du second degré (BEPC) en poche. Destination la France: Thonon, puis Mulhouse, où il fréquente le lycée, avant d’étudier la sociologie et l’anthropologie à l’Université de Lyon, où il milita avec une «fougue révolutionnaire» durant la folle période de mai 68.

«J’étais très sensible à l’injustice!»

«J’étais très sensible à l’injustice!», insiste-t-il. Ce n’est que plus tard qu’il (re)découvrira l’islam. Entretemps, diplôme en poche, sans perspective de trouver du travail en France, Hafid Ouardiri quitte la métropole lyonnaise pour Genève, en 1973. Il deviendra plus tard porte-parole de la mosquée du Petit-Saconnex, avant d’en être évincé. (cath.ch-apic/be)

 

 

Hafid Ouardiri, directeur de la Fondation de l'Entre-Connaissance | © Jacques Berset
27 février 2016 | 17:30
par Jacques Berset
Temps de lecture : env. 5  min.
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