Le pape François s'est rendu sur tous les continents. Il est ici dans l'avion qui l'emmène au Canada, 2022 | © Vatican Media
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La géographie politique du pape François dessinée par ses voyages

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Avec 46 voyages apostoliques en dehors de l’Italie et 67 pays visités, le pape François a gagné sa place sur le podium des pontifes globe-trotters. Analyser ses préférences en matière de destination, c’est saisir les projets qu’il avait pour l’Église et le monde, ainsi que ses préoccupations pour les pauvres, le dialogue interreligieux et les relations internationales et la paix.

Avec quatre voyages par an en moyenne, le pape François remporte la palme des papes voyageurs, juste aux côtés de Jean Paul II. Cette médaille est d’autant plus méritée que tous ses déplacements à l’étranger avaient été annulés en 2020 pour cause de la Covid-19. Ainsi de son voyage en Papouasie-Nouvelle-Guinée, reporté et finalement effectué l’an passé. Déterminé à tenir sa promesse, malgré son âge avancé et ses ennuis de santé, le pape François, en effet, s’était rendu douze jours en Asie-du Sud Est et en Océanie, seul continent qu’il n’avait pas encore visité, en septembre 2024.

L’Europe, parente malmenée

De nombreux observateurs ont souligné – avec espoir ou crainte – le déplacement de l’axe géographique des intérêts (voire du pouvoir) de l’Église initié par François. Premier pape latino-américain, et surtout premier pape non européen depuis près de 1300 ans, François a posé un regard moins bienveillant que ses prédécesseurs sur le Vieux Continent, n’hésitant pas à comparer l’Europe à une «grand-mère fatiguée» devant les députés européens à Strasbourg, le 25 novembre 2014. D’aucuns lui ont d’ailleurs reproché de dénigrer le socle européen du catholicisme, tout à son projet de basculement du pivot de l’Église, du nord vers le sud.

Cette préférence géographique se retrouverait dans sa politique de voyages. Sur les 67 pays visités par feu le pape François, huit n’avaient encore jamais reçu de Pontife romain, à savoir la Birmanie, la Macédoine du Nord, les Émirats arabes unis, l’Irak, le Bahreïn, le Soudan du Sud, la Mongolie et la Papouasie-Nouvelle-Guinée.

Voyage du pape en Papouasie-Nouvelle-Guinée, septembre 2024 | © Vatican Media

L’Europe, par contre, du moins celle de vieille tradition catholique, comme l’Espagne ou la France, aurait joué le rôle de la parente oubliée, allusion à la vie de Jorge Mario Bergoglio lui-même. Né en 1936 à Buenos Aires, n’était-il pas fils d’immigrés italiens originaires du Piémont? Cette option de Bergoglio devenu pape aurait été marquée dès son premier déplacement, en juillet 2013. S’il a eu l’Italie pour théâtre, son choix s’est plus précisément porté sur l’île de Lampedusa, un lieu symbolique où les routes de milliers de migrants du Sud croisent celles des populations de l’UE.

Une analyse trop courte

Au fur et à mesure du pontificat de François, cette vision s’est révélée par trop manichéenne. François n’a pas recherché un renversement de la perspective nord-sud. C’est une internationalisation de l’Église qu’il a appelé de ses vœux. Il a voulu ouvrir le centre romain sur le monde entier, et ses destinations de voyages ont exprimé cette priorité.

En tant que pape François, Jorge Mario Bergoglio a parcouru les quatre coins du monde, délaissant souvent les grands centres pour se concentrer sur les «périphéries». Il s’est rendu dans les pays les plus éloignés de Rome, comme le Chili, Panama, les Philippines et le Japon. Peu importe que les chrétiens y soient nombreux ou extrêmement minoritaires. Il a aussi visité des pays parmi les plus pauvres, la Centrafrique, le Soudan du Sud, la Birmanie ou le Bangladesh.

Le pape François commémore, devant l’île de Lampedusa, les centaines de migrants venus d’Afrique, morts en tentant de traverser la Méditerranée | © Vatican Media

Cet intérêt pour les populations les plus défavorisées compte parmi les quatre grandes orientations qui ont guidé le pape dans ses choix de voyage, comme l’a détaillé le jésuite français Pierre de Charentenay dans un article paru dans la revue choisir en juin 2021.

Dialogue entre la chrétienté et d’autres religions

Sa deuxième orientation fut celle de l’engagement pour le dialogue interreligieux et œcuménique. François a rendu visite à des pays musulmans: Abu Dhabi, le Maroc, l’Égypte, la Turquie, la Jordanie, les Émirats arabes unis… Il a rencontré à plusieurs reprises Ahmed Mohamed el-Tayeb, l’imam de la mosquée al-Azhar (Le Caire), et a rencontré à Nadjaf, en Irak, haut-lieu du chiisme, le grand ayatollah Ali Sistani. Il s’est aussi rendu au Kazakhstan en 2022 pour participer à la 7e rencontre des chefs religieux du monde, et a signé avec le grand imam Umar, de la mosquée Istiqlal de Jakarta, une déclaration commune prônant le refus du fondamentalisme et la recherche de l’amitié entre les religions.

Les voyages de feu le pape François ont aussi été un outil de renforcement du dialogue œcuménique. Le patriarche Bartholomée Ier de Constantinople l’a souvent accompagné dans ces grands événements, tandis que Justin Welby, alors archevêque de Canterbury, et Iain Greenshields, modérateur de l’Église d’Écosse, étaient à ses côtés en février 2023 au Soudan du Sud, pour la rencontre œcuménique au Mausolée John Garang. Lors de son voyage à Lund, en Suède, à l’automne 2016, pour la commémoration des 500 ans de la Réforme luthérienne, il a instauré une relation forte avec le pasteur Alav Fykse Tveit, alors secrétaire général du Conseil œcuménique des Églises (COE).

En février 2023, le pape François est parti au Soudan du Sud avec des responsables d’autre Églises, pour promouvoir la paix | photo: avec le révérend Ian Greenshields, de l’Église d’Écosse © EPA VATICAN MEDIA/Keystone

En Suisse, on se souvient encore avec émotion de son pèlerinage œcuménique éclair accompli à Genève à l’occasion du 70e anniversaire du COE, le 21 juin 2018. Sa visite en Roumanie en 2019, lors de laquelle il a rencontré des représentants de l’Église orthodoxe roumaine, témoignent de cette même motivation.

Le poids du monde international

La troisième catégorie des voyages du pape François fut justement celle des anniversaires ou des grandes rencontres internationales. Outre les événements déjà mentionnés, s’ajoutent à cette liste son déplacement au Portugal pour le centenaire des apparitions de Fatima, à Marseille pour les Rencontres méditerranéennes, en Belgique pour les 600 ans de l’Université de Louvain, en Corse à l’occasion d’un colloque sur la religion populaire.

Et si sa première visite en dehors de l’Italie, en juillet 2013, a été pour son continent, pour le Brésil plus précisément, François l’a entrepris pour y rencontrer les jeunes participants aux Journées mondiales de la jeunesse (JMJ) de Rio. Rencontre qu’il a réitérée à Cracovie en 2016, à Panama en 2019 et à Lisbonne en 2023. Les journées des jeunes d’Asie ont aussi vu venir le pape en Corée du Sud en 2014.

L’étendard de la paix

La dernière catégorie comprend des pays qui travaillent à la reconstruction de la paix dans un contexte d’instabilité ou de mémoire malmenée. C’est ainsi qu’il s’est rendu en Terre sainte en 2014, où il a lancé un appel à la paix et à la coexistence de deux États reconnus, Israël et la Palestine. Il a été en Bosnie-Herzégovine, en Colombie, en Birmanie, au Caucase, en Arménie, en Géorgie, Azerbaïdjan, Irak, République démocratique du Congo, etc., tous des pays en proie à des conflits internes ou régionaux. Et lors de son voyage au Timor oriental, il a salué le courage de ce pays qui a su «se relever», en retrouvant un chemin de paix et d’ouverture», après son long combat, de 1975 à 2002, pour l’indépendance vis-à-vis de l’Indonésie.

Le patriarche Cyrille et le pape François se rencontrent à la Havane, le 12 février 2016 | © Keystone /Gregorio Borgia)

Feu le pape François a aussi visité successivement Cuba et les États-Unis en 2015, un symbole en soit. Animé par ce même esprit de réconciliation, alors qu’il se trouvait en Irlande en 2018 à l’occasion de la Rencontre mondiale des familles, il a exprimé sa douleur et sa honte pour les scandales de pédophilies commis par des membres du clergé irlandais. Et en 2022, au Canada, il a présenté d’autres excuses, cette fois aux populations autochtones canadiennes pour les milliers d’enfants placés de force dans des pensionnats catholiques.

Infatigable, persuadé de l’impact de la «rencontre» pour donner de l’espérance, voire dénouer des nœuds, le pape François n’a jamais eu peur d’avaler les kilomètres pour aller au devant de populations catholiques ou non catholiques, de religieux et de politiques. D’autres invitations lui avaient été lancées. Il devait se rendre en mai à  Nicée, aujourd’hui Iznic, en Turquie, dans le cadre des 1700 ans du Concile. Mais un autre voyage, sans retour, l’a emporté, vers d’autres cieux cette fois. (cath.ch/lb)

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Le pape François s'est rendu sur tous les continents. Il est ici dans l'avion qui l'emmène au Canada, 2022 | © Vatican Media
23 avril 2025 | 10:15
par Lucienne Bittar

La nouvelle de la mort du pape François a été annoncée à 9h45, par le cardinal Kevin Farrell, Camerlingue de la Chambre apostolique, depuis la Maison Ste Marthe. Le pape François est décédé en ce lundi de Pâques, 21 avril 2025.

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