La Gendarmerie a conseillé au cardinal Becciu de rentrer en Sardaigne
Pour la 30e audience du procès de l’affaire dite ‘de l’immeuble de Londres’, qui s’est tenue le 14 octobre 2022 au Vatican, le cardinal Angelo Becciu a une nouvelle fois clamé son innocence. Deux nouveaux témoins ont aussi été auditionnés.
L’agence I.MEDIA, qui a assisté à l’audience, revient sur les principales informations du procès.
1- Le commissaire De Santis aurait mis en garde le cardinal Becciu
Au début de l’audience, le cardinal Angelo Becciu – qui comme à son habitude était présent – est encore revenu sur la réunion qui s’est tenue chez lui avec les chefs de la Gendarmerie vaticane le 3 octobre 2020. Il a réaffirmé – s’opposant encore au témoignage du commissaire De Santis – avoir reçu l’instruction de garder la réunion secrète.
Selon le cardinal, le commissaire l’aurait enjoint, pendant cette réunion, à prendre ses distances avec le Vatican en retournant en Sardaigne. «Vous ne voulez pas participer à un procès, n’est-ce pas? Vous savez très bien combien de choses négatives peuvent ressortir d’un procès», lui aurait déclaré le gendarme. «Cela fait deux ans que je m’interroge sur cette phrase», a confié le prélat.
2- Mystère autour des processus de libération d’otages
Le cardinal Becciu a par ailleurs expliqué qu’il ne souhaitait pas s’exprimer en détail sur les opérations humanitaires mises au point avec la gendarmerie parce qu’il se sentait encore «tenu au secret» – des affaires autres que celle de la religieuse enlevée au Mali dans laquelle le cardinal sarde dit avoir agi sans en informer la gendarmerie. La veille, le commissaire De Santis avait déclaré avoir mené des missions de sauvetage d’otages à la demande du cardinal Becciu.
Le Sarde a tenu à justifier le format restreint adopté pour la mission avec Cecilia Marogna – seuls lui, Cecilia Marogna, Mgr Perlasca, Mgr Edgar Peña Parra et le pape auraient été au courant – en expliquant qu’une opération précédente se serait mal passée. Dans celle-ci, une «fuite» déjouée «à la dernière seconde» aurait pu «mettre en danger l’image du Saint-Siège et la sécurité des missionnaires» qui travaillent dans des «territoires difficiles», a assuré le cardinal Becciu.
3- La confiance du cardinal Becciu en Cecilia Marogna
L’ancien substitut a ensuite confirmé avoir été mis au courant des dépenses excessives et non justifiées de Cecilia Marogna en avril ou mai 2020 par Mgr Perlasca, une nouvelle qui l’aurait «déçu». Il affirme avoir alors contacté Cecilia Marogna qui l’aurait convaincu qu’elle travaillait dans les règles. Le cardinal explique l’avoir crue, jusqu’à ce que le commissaire De Santis lui déclare que ses équipes enquêtaient sur l’Italienne, lors de la rencontre du 3 octobre 2020.
4- Le cardinal Becciu se défend encore sur le dossier ‘sarde’
Le cardinal est aussi revenu sur le volet ‘sarde’ du procès. Il a reconnu avoir demandé à la Conférence épiscopale italienne de verser de l’argent à la coopérative SPES, affirmant en être «fier», parce qu’il avait ainsi «aidé environ 70 personnes à trouver un emploi». Il a mis le commissaire De Santis au défi de trouver des irrégularités dans les comptes de son frère Tonino, gérant de la coopérative. Il a déclaré que ce n’était «pas de sa faute» si le directeur de la Caritas d’Ozieri, qui devait gérer les dons, était son cousin, expliquant que celui-ci avait été nommé à l’époque où lui-même était nonce en Angola.
«Pourquoi tant d’attention de la part de l’autorité judiciaire du Vatican envers la coopérative Caritas d’Ozieri?», s’est étonné l’ancien substitut. Il a rappelé une nouvelle fois que la coopérative lombarde où travaillait le père du témoin clé, Mgr Alberto Perlasca, «Simpatia», avait elle aussi reçu une importante subvention – 60’000 euros, provenant du Saint-Siège.
5- Le témoignage important de Marco Simeon sur l’immeuble de Londres
Pendant l’audience, un certain Marco Simeon a été entendu comme témoin pour s’expliquer sur son rôle dans une tentative suspecte de rachat de l’immeuble de Londres par un groupe d’investissement américain, Bizzi & Partners, en avril 2020. Marco Simeon, proche du cardinal secrétaire d’État Tarcisio Bertone et lié à plusieurs fondations du Saint-Siège, a expliqué avoir été approché par un certain Giancarlo Innocenzi Botti, ancien député de Fratelli d’Italia et ancien sous-secrétaire d’État d’un gouvernement Berlusconi entre 2001 et 2005.
Celui-ci lui aurait demandé de contacter le cardinal Angelo Becciu pour lui soumettre une proposition d’achat de l’immeuble de Londres du groupe Bizzi & Partners pour une somme située entre 315 et 330 millions d’euros. La Secrétaire d’État, ayant repris le contrôle de l’immeuble de Londres en versant 15 millions à Gianluigi Torzi, cherchait à ce moment à le vendre, et la somme proposée était nettement au-dessus des prix du marché.
Marco Simeon a donc parlé au cardinal Angelo Becciu, qu’il connaissait depuis 2018 et qui était désormais préfet du dicastère pour les Causes des saints. Ce dernier lui a dit qu’il parlerait au pape de la proposition. Le pape François lui aurait dit qu’il y avait la possibilité d’évaluer l’offre, mais par les voies ordinaires et les organes compétents, à savoir par l’intermédiaire du Père Antonio Guerrero, préfet du secrétariat à l’Économie, et du cardinal Pietro Parolin, secrétaire d’État. Le premier aurait enterré le projet après avoir mis le doigt sur des défaillances.
L’audition de Marco Simeon s’est portée sur le choix du cardinal Becciu comme intermédiaire: «Jamais le cardinal n’a demandé de l’argent», a-t-il assuré, affirmant que le cardinal était toujours resté en dehors des négociations. Il a expliqué l’avoir contacté même s’il n’était plus substitut parce qu’il considérait qu’en tant que cardinal, il était un collaborateur privilégié du pape François.
L’homme d’affaires italien a aussi nié être en contact avec Gianluigi Torzi, que le promoteur de justice croit être l’auteur de cette offre singulière mise au point pour gonfler artificiellement la valeur du bien immobilier et ainsi justifier les importants émoluments touchés lors de la reprise de contrôle de l’immeuble en 2019.
Réagissant à ce témoignage, l’avocat du cardinal Becciu y a vu un compte-rendu honnête des faits et un «désaveu complet des soupçons et des malentendus initiaux» portés par l’accusation. Le dossier constitué par le promoteur de justice considère en effet que le cardinal aurait tenté de «détourner» l’enquête avec cette fausse offre.
6- Le témoignage d’Andrea Pozzi
Après Marco Simeon, la cour de justice du Vatican a entendu Andrea Pozzi, ancien vice-président d’ENASARCO, une institution italienne gérant un fonds de pension pour les représentants commerciaux. Andrea Pozzi a été entendu dans l’enquête du procès parce qu’ENASARCO avait, comme le Vatican, investi dans des fonds gérés par Raffaele Mincione – notamment le fonds Athena, utilisé par la suite pour l’acquisition de l’immeuble de Londres. La défense de Raffaele Mincione a fait valoir que son client n’avait rien à voir avec les fonds dans lesquels ENASARCO a investi.
7- Gianluigi Torzi et Luciano Capaldo sommés de se présenter
Au début de l’audience, le président du tribunal, Giuseppe Pignatone, a lu deux ordonnances exigeant la présence de l’accusé Gianluigi Torzi et du témoin Luciano Capaldo, tous deux résidant hors d’Italie. Dans les deux cas, le juge a rejeté leur demande d’audition à distance.
Les prochaines audiences auront lieu les 19, 21, 27 et 28 octobre. L’archevêque de Fermo, Mgr Rocco Pennacchio, et trois gendarmes doivent témoigner. (cath.ch/imedia/ic/cd/rz)