La Faculté de théol. de Lugano fait revivre le «Grand rouleau d’Isaïe»

Le «Grand Rouleau d’Isaïe», l’un des plus importants fragments des manuscrits de la mer Morte, sera à nouveau exposé au Musée d’Israël, après 50 ans de retrait. Marcello Fidanzio, de la Faculté de théologie de Lugano, sera directeur scientifique de l’exposition.

En 2025, le «Grand Rouleau d’Isaïe» pourra de nouveau être admiré par le public. Le Musée d’Israël, à Jérusalem, a annoncé le 22 août 2023 avoir choisi comme directeur scientifique pour l’exposition Marcello Fidanzio, professeur à la Faculté de Théologie de Lugano (FTL) et directeur de l’Institut de culture et d’archéologie des Terres bibliques. Celui qui est aussi membre du Centre Judaïque GMF explique les enjeux de l’événement.

Laura Quadri, catt.ch/traduction et adaptation: Raphaël Zbinden

Qu’est-ce qui rend cette exposition si importante et rare?
Marcello Fidanzio: Le Grand Rouleau d’Isaïe est un manuscrit sur parchemin de 7,34 mètres de long, très bien conservé, qui contient l’intégralité du livre biblique. Ecrit au IIe siècle avant Jésus-Christ, il est considéré comme le plus important manuscrit des Rouleaux de la mer Morte et un élément du patrimoine mondial.

Dans le musée d’Israël se trouve le «Temple du Livre», un espace d’exposition spécialement conçu pour les Rouleaux et placé symboliquement en face du Parlement, de l’autre côté de la rue. Dans le projet initial, le Rouleau d’Isaïe était exposé au cœur du Temple, inauguré en 1965. Cependant, trois ans plus tard, il était évident que le parchemin composant le Grand Rouleau commençait à connaître des problèmes de conservation à cet endroit. Et le rouleau a été placé dans une chambre blindée offrant les meilleures conditions de maintien.

«L’exposition durera quelques mois et le rouleau retournera ensuite dans le coffre-fort, probablement jusqu’à ce que nos petits-enfants puissent le voir»

Depuis lors, les visiteurs ne peuvent admirer que trois colonnes, changées tous les trois mois. Pour le reste, ils doivent se contenter d’une réplique. À l’occasion du soixantième anniversaire de l’ouverture du Musée d’Israël, à la suite d’une recherche menée en collaboration avec la Faculté de théologie de Lugano, le rouleau sera exposé à Jérusalem en 2025. C’est un événement très rare, car c’est la première fois depuis 1968 que l’on peut l’admirer dans sa totalité. L’exposition durera quelques mois et le rouleau retournera ensuite dans le coffre-fort, probablement jusqu’à ce que nos petits-enfants puissent le voir.

Quelle est la portée de ce document?
Les Rouleaux de la mer Morte constituent une collection d’environ 1000 manuscrits retrouvés dans le désert de Judée. Les conditions exceptionnelles du désert ont permis de préserver ces Rouleaux, qui sont les seuls manuscrits hébreux anciens dont nous disposons. Leur découverte a eu une grande influence sur les études bibliques et sur la connaissance du judaïsme au tournant de notre ère, époque qui a vu la naissance du christianisme.

Dès sa découverte en 1947, le Grand Rouleau d’Isaïe a suscité l’intérêt des savants du monde entier qui ont cherché à le comparer aux manuscrits médiévaux pour établir la qualité du texte que nous avons dans nos bibles et aussi pour en savoir plus sur la formation des textes bibliques. Avec les Rouleaux de la mer Morte, nous sommes aux dernières étapes avant la fermeture du Canon de la Bible.

Quelles sont les découvertes faites par la Faculté de Théologie de Lugano? Combien de temps ces recherches ont-elles duré et comment vont-elles se poursuivre?
Le 1er novembre 2021, Israël a rouvert ses portes aux visiteurs après la fermeture due à la pandémie. Je suis entré dans pays le jour-même pour poursuivre mes recherches dans les grottes où les Rouleaux ont été trouvés. En quelques mois, nous avons conclu un accord avec le Musée d’Israël qui m’a chargé d’étudier le grand Rouleau d’Isaïe comme objet archéologique.

Le projet comprend également une recherche doctorale menée par la conservatrice du Temple du Livre, Hagit Maoz, qui est maintenant inscrite à la FTL. Elle sera la conservatrice de l’exposition. Pendant 75 ans, les chercheurs se sont principalement concentrés sur la lecture du texte. Maintenant, notre approche est différente et commence par des informations non textuelles: comment le rouleau a été préparé et quels sont les signes de son utilisation, pendant plus d’un siècle, jusqu’à sa dépose dans une grotte près de Qumrân. Le projet de recherche s’intitule Le Grand Rouleau d’Isaïe: une biographie.

«L’exposition doit permettre d’ouvrir une fenêtre sur un temps et sur un lieu que nous portons en quelque sorte en nous»

Ce travail nous a permis en peu de temps de découvrir nombre de choses nouvelles, qui intéressent maintenant beaucoup les spécialistes des textes. Nous en parlerons dans un an aux spécialistes du Colloquium Biblicum Lovaniense (une des plus importantes assises mondiales, consacrée en 2024 précisément au livre d’Isaïe) et en 2025 au grand public qui voudra visiter l’exposition à Jérusalem.

Comment vivez-vous personnellement cette nouvelle fonction et quelle contribution souhaitez-vous y apporter?
Je me sens privilégié de pouvoir travailler sur le Grand Rouleau d’Isaïe. Chaque fois que nous descendons dans le coffre et que nous franchissons la porte blindée, nous ressentons une émotion: il sera encore possible de rester devant le Rouleau, d’en étudier les plis, les coutures, les corrections de scribes… Pour moi, c’est l’accomplissement d’un parcours qui m’a conduit de la Bible à l’archéologie et qui maintenant, grâce à l’étude matérielle, me met en contact avec l’une des sources les plus importantes pour l’étude du texte biblique. En outre, je me rends de plus en plus compte que ces questions ne touchent pas uniquement les personnes concernées.

Les conférences destinées à un public plus large sont toujours pleines et intéressent des personnes très diverses, pas nécessairement les mêmes que celles qui viendraient à une conférence sur la Bible ou sur l’archéologie. La tâche de l’exposition doit maintenant développer cette attention et permettre à beaucoup, à travers les Rouleaux, d’ouvrir une fenêtre sur un temps et sur un lieu que, comme l’a dit un savant juif, nous portons en quelque sorte en nous. (cath.ch/catt/lq/rz)