Fribourg: Série Apic: Contexte et enjeux historiques du Synode 72, 40 ans après son ouverture, avec les historiens Francis Python, Sylvie Couchepin et Lorenzo Planzi
La difficile insertion des laïcs, pourtant source de richesse
Fribourg, 29 mai 2012 (Apic) Dans le souffle du Concile Vatican II, les évêques de Suisse convoquent un Synode national en septembre 1972. Des laïcs progressistes y voient un signe d’ouverture de la hiérarchie. Buttant contre une machinerie inopérante et des évêques freinés par Rome, ils ont petit à petit déchanté. Retour sur le contexte et les enjeux historiques du Synode 72 en Suisse, 40 ans après son ouverture, avec les historiens Francis Python, Sylvie Couchepin et Lorenzo Planzi.
«Des représentants de tous les milieux et professions se réuniront avec l’évêque et les prêtres pour instaurer un vaste dialogue sur la vie chrétienne dans le monde actuel, précisent les évêques suisses lors de l’annonce de la convocation du Synode en mars 1969. Alors que le Concile Vatican II a posé les bases d’un renouveau pour l’ensemble de l’Eglise, le Synode aura pour mission de donner des directives pour l’avenir chrétien de notre pays».
De 1972 à 1975, les assemblées synodales se succèdent dans chaque diocèse: de Bâle à Lugano, de Sion à Coire et de Lausanne, Genève, Fribourg à Saint-Gall, ainsi qu’à l’abbaye territoriale de Saint-Maurice. C’est une singularité helvétique, rappelle Lorenzo Planzi, qui rédige une thèse sur «Le clergé catholique romand à l’épreuve de la sécularisation (1945-1990)». Les décisions sont ensuite rassemblées au plan national. Mais un certain hiatus entre les cultures et les langues freine la machinerie, souligne le professeur d’histoire contemporaine de l’Université de Fribourg, Francis Python. L’intégration des laïcs dans les commissions est une autre singularité à régler. Elle est interdite par le droit canonique de l’époque. Il a fallu obtenir une dispense spéciale de Rome, rappelle Michel Salamolard dans «L’audace d’un synode» sur ’cath.ch’.
Des institutions incapables de maintenir la foi
«Dans ce monde en pleine transformation, en crise de civilisation, caractérisé par la mobilité, une pastorale pensée pour le monde d’hier est aujourd’hui dangereusement inadaptée… Les institutions à elles seules sont incapables de maintenir la foi», met en garde en 1972 l’évêque auxiliaire de Lausanne, Genève et Fribourg, Mgr Gabriel Bullet.
Dans la foulée des bouleversements de mai 68, les catholiques espèrent un renouveau dans l’Eglise. «Ils font partie de ces gens qui ont envie que les choses bougent», relève Sylvie Couchepin qui prépare une thèse sur «L’évolution de la représentation de la famille dans le catholicisme en Suisse romande (1945-1975)». D’un autre côté, «les progressistes ont le vent en poupe, note Francis Python. Ils pensent faire passer toutes sortes de démocratisations dans l’Eglise à partir du Synode». Mais ce qui apparaît comme des coups de frein de la hiérarchie, en particulier l’encyclique ’Humanae vitae’ sur le refus des moyens artificiels de contraception du pape Paul VI en 1968, en désarçonnent et déçoivent plus d’un.
Les réformes liturgiques et la promotion de la liberté religieuse inquiètent aussi certains. L’Eglise connaît une période de crise, marquée par une baisse de la pratique. «Les militants qui siègent dans les commissions synodales pensent que ce sont les personnes liées par le conformisme social qui abandonnent la pratique et non les chrétiens convaincus», relève le professeur Python. Mais dans les faits, «de fervents catholiques sont écoeurés par cette ouverture de l’Eglise. Ils ne veulent plus la fréquenter, pensant qu’on l’a changée», ajoute Sylvie Couchepin, se basant sur plus de 700 lettres, adressées à l’évêque de Sion, qui était Mgr Nestor Adam.
D’une structure pyramidale à la coresponsabilité
Pourtant, le Synode est sensible aux attentes et aux inquiétudes du laïcat. «Il faut que tous laïcs, prêtres, évêques, religieux et religieuses, nous nous sentions engagés et coresponsables», écrit Mgr Bullet. Sur les 160 délégués du diocèse de Lausanne, Genève et Fribourg, 80 sont des laïcs. Une véritable rupture s’opère par rapport aux Synodes traditionnels. L’Eglise n’est plus présentée comme une structure pyramidale où l’autorité descend de haut en bas, de l’évêque aux prêtres. Elle est désormais le lieu de la coresponsabilité. «Une désacralisation se réalise au profit de modes d’exercices démocratiques», commente Lorenzo Planzi. Certains laïcs engagés croient «même à des codécisions en fonction de la théologie du peuple de Dieu».
Face à ce très fort mouvement d’affirmation de la part de certains laïcs trop enthousiastes, la hiérarchie helvétique oppose une volonté de canaliser et de les cadrer. On assiste à un éloignement progressif et silencieux des pratiquants. «Les gens quittent l’Eglise sur la pointe des pieds, sans y renoncer tout à fait. Ils prennent leurs distances à propos de certaines cérémonies ou de la pratique dominicale», explique Francis Python. Ces catholiques du ’dehors’, qui n’ont pas participé au Synode, «voyaient une disharmonie entre leur pratique habituelle et les changements sociaux qu’ils vivaient».
Quant aux militants engagés dans les commissions, qui composent une «sorte de seconde cléricature», ils combattent avec l’arme de la contestation. Ils défendent leurs propres préoccupations, sans être en phase avec le commun des fidèles. «Une sorte de schisme indolore traverse alors le catholicisme», conclut le professeur fribourgeois.
Vers un «schisme indolore»
Cette soudaine promotion des laïcs a dérouté, estime l’historienne valaisanne Sylvie Couchepin. Vivifier la foi, l’un des objectifs, s’est mué en chute de la pratique. Le Synode n’a pas réussi à stopper l’hémorragie de la déchristianisation, plus forte en ville que dans les campagnes. Car «les raisons dépassent le cadre ecclésial. Du moins en Suisse romande, elles résident dans la révolution douce d’une société marquée par une longue tradition catholique, à une société de consommation qui met en cause le sentiment religieux hérité du passé», analyse Lorenzo Planzi.
Au final, cette société en crise des années 70 diffère radicalement de celle de la convocation du Concile Vatican II de la fin des années 50. Aussi, une partie du discours a perdu de sa pertinence. Cependant «en tant que réponse aux sollicitations du Concile, le Synode a joué certainement une mission primordiale dans le processus de réaménagement de l’Eglise catholique suisse», précise l’historien tessinois.
L’entrée en force des laïcs
Le Synode 72 a porté des fruits, encore visibles aujourd’hui. Citons notamment la prise en charge de la pastorale par des laïcs, l’institution des conseils de communauté dans les paroisses et de commissions spécialisées dans les divers domaines de la vie ecclésiale. Désormais, «un tiers parti», les laïcs, participe et joue un rôle dans l’Eglise. «C’est le résultat de la dynamique conciliaire et synodale. C’est aussi le résultat du champ de bataille, où l’Eglise s’affaiblit et les vocations disparaissent». A cause des transformations ecclésiales et sociétales, le clergé ne s’y oppose pas. Au contraire, «il a perçu que les laïcs représentent une relève et un appui très fort», commente le professeur Python.
Avec l’accès au pontificat de Jean Paul II, en 1978, la relecture de Vatican II et du Synode helvétique tend à évoluer. Ces événements marquants de la vie de l’Eglise «ne sont plus présentés comme une rupture, mais plutôt dans une continuité par rapport aux Conciles Vatican I et de Trente». C’est l’avis partagé surtout par la nouvelle génération du clergé à partir des années 90 et des catholiques plus traditionnels. Ils préfèrent marquer «la continuité avec un passé clérical plus lointain», précise Lorenzo Planzi. Alors que certains acteurs du Synode, déçus de ce retour en arrière, sonnent le glas d’une Eglise à laquelle ils ne s’identifient plus. Délaissant la confrontation, ils opteront pour la distance. (apic/ggc)
Encadré
Un premier groupe a traité l’essentiel, à savoir la vérité et le salut: 1. La foi et son annonce au monde d’aujourd’hui, 2. La prière, la Messe et les Sacrements.
Un deuxième groupe a étudié l’Eglise, Corps du Christ et Témoin de l’Evangile: 3. L’organisation de la pastoration, c’est-à-dire la coresponsabilité, les différents ministères et états de vie, 4. La signification de l’Eglise pour l’homme d’aujourd’hui, 5. Les réalisations concrètes de notre vocation œcuménique.
Un troisième groupe a abordé les questions posées par la situation des chrétiens dans la vie sociale: 6. Le mariage et la famille dans l’évolution sociale actuelle, 7. La responsabilité du chrétien dans le monde du travail et de l’économie, 8. Les tâches sociales de l’Eglise, 9. L’Eglise et les communautés temporelles, 10. La coresponsabilité des chrétiens à l’égard des Missions, du Tiers-Monde et de la paix.
Les deux derniers thèmes ont regardé l’avenir: 11. La culture et les loisirs, 12. Information et formation de l’opinion dans l’Eglise et dans la société.
Ses différents thèmes généraux ont été complétés et précisés par chaque commission spéciale diocésaine et interdiocésaine. (apic/ggc)
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