La cause animale: un «levier» de la transition?
56 millions d’animaux meurent chaque année pour que nous puissions porter des manteaux de fourrure. Face à ce genre de réalités, la philosophe française Corine Pelluchon appelle à repenser notre relation aux animaux, dans une dimension de respect qui profiterait aussi à l’humanité.
«Il faut que nous nous interrogions sur cette culture de mort qui existe dans notre société», lance Corine Pelluchon. La professeure à l’Université Paris-Est-Marne-la-Vallée a donné, le 5 mars 2019, devant une quarantaine de personnes réunies au Casino de Montbenon à Lausanne, une conférence pointue et intense sur la cohabitation humains-animaux. La manifestation faisait partie du cycle de conférence «Tout peut (encore) changer», organisé conjointement par l’association lausannoise Théofil, le centre socioculturel lausannois Pôle Sud, et les œuvres d’entraides catholique Action de Carême et protestante Pain pour le prochain.
«Culture de mort»
Multiplication des dénonciations de l’élevage industriel, polémiques entre spécistes et antispécistes…la spécialiste d’éthique appliquée, qui n’a pas caché son orientation végane, a souligné l’importance grandissante de la cause animale dans le débat public. Une évolution logique si l’on considère que la question animale «concerne toute l’humanité». Elle doit être traitée dans ses diverses dimensions, notamment environnementale, sociale et mentale. «La manière dont nous traitons les animaux est ainsi le reflet d’un modèle de développement basé sur la domination et l’exploitation de ‘l’autre’, qu’il soit animal ou humain», a-t-elle soutenu.
Corine Pelluchon s’interroge ainsi sur cette «culture de mort» qui imprègne notre société. Une part de la violence s’exprimant aujourd’hui dans les rues et ailleurs serait le signe d’un refoulement des émotions négatives liées au «massacre» quotidien des animaux. Un mécanisme psychologique pour «supporter l’insupportable».
«Les animaux sont nos professeurs d’altérité»
L’humain devrait ainsi comprendre qu’en faisant mal aux animaux pour des plaisirs «futiles», il se fait mal à lui-même. La philosophe appelle donc de ses vœux l’avènement d’un «âge du vivant», où l’humain se réconciliera avec sa corporalité, sa vulnérabilité et ses limites. Un mouvement dont la cause animale serait le «cœur battant». Sur la base de la dénonciation de la souffrance animale serait possible une reconstruction sociale et politique, où des règles de cohabitation avec les «autres», humains et non-humains, pourraient être établies. «Les animaux sont nos professeurs d’altérité», assure la professeure.
Transformation intérieure
Corine Pelluchon est cependant consciente que toute le monde ne pense pas ainsi, et que ces nouveaux modes de fonctionnements doivent être «négociés» dans la société. Elle souligne aussi que les responsabilités humaines sont différentes suivant les espèces animales. Et qu’en matière de transition civilisationnelle, «il faut faire se chevaucher temps court et temps long». «Une première étape serait déjà de faire respecter les normes de protection des animaux établies, notamment en France et dans l’Union européenne, note-t-elle, soulignant que c’est loin d’être le cas aujourd’hui». Il faudrait également, selon elle, «supprimer les pratiques qui n’ont aucun sens», telles que les exploitations de fourrure ou les corridas.
Une transition qui pour être efficace doit être «holistique», englobant aussi bien les contextes social, culturel, économique, politique que psychologique. Pour Corine Pelluchon, cette transformation intérieure ne requiert pas forcément une notion de transcendance, mais en tout cas la reconnaissance de faire partie d’un «monde commun» où la règle est l’interdépendance. (cath.ch/rz)
Corine Pelluchon est philosophe, professeure à l’université Paris-Est-Marne-la-Vallée, et membre du conseil scientifique de la Fondation pour la nature et l’homme. Spécialiste d’éthique appliquée dans le domaine de la santé, en éthique animale et environnementale, elle a publié de nombreux ouvrages sur le sujet. RZ