La cathédrale de Bahreïn, nouveau lieu de dialogue islamo-chrétien?
Depuis le 10 décembre 2021, le royaume du Bahreïn, dans le Golfe persique, a une nouvelle cathédrale. Au-delà des conflits, cet édifice se veut le signe d’une cohabitation bienveillante entre musulmans et chrétiens, dans la région.
Stephan Leimgruber* pour kath.ch – traduction adaptation Maurice Page
Les 9 et 10 décembre 2021, la cathédrale de Bahreïn a été inaugurée par le cheikh Hamad bin Isa Al Chalifa, le roi de ce petit pays du Golfe. Le lendemain le cardinal de la curie Luis Antonio Tagle a procédé à sa consécration – en présence de l’administrateur apostolique, l’évêque capucin suisse Mgr Paul Hinder. Avec ses 2’300 places, le lieu de culte est grand et imposant.
Une plus grande tolérance
Les réformes démocratiques entreprises depuis le début du troisième millénaire ont apporté à l’Etat de Bahreïn, marqué par l’islam, une nouvelle ouverture vers l’Occident, et notamment vers les Etats-Unis. Cela se traduit par une plus grande tolérance et une société toujours plus libérale. A côté d’une prise de conscience croissante des droits humains, se sont aussi développés d’immenses centres commerciaux et des quartiers de divertissement où l’on peut boire de l’alcool, acheter des produits de luxe en tout genre et avoir du sexe tarifé.
Chaque année, une course de formule 1 se déroule sur le circuit de Sakhir. Cette ouverture vers plus de tolérance et de liberté de mouvement a pour conséquence qu’il existe à la fois un tourisme intra-arabe le week-end, via le pont-barrage depuis l’Arabie saoudite, et un tourisme international avec des visiteurs d’outre-mer et d’Europe. Cependant, à l’heure du coronavirus, les revenus stagnent.
Les fidèles viennent d’Inde et des Philippines.
Jusqu’à présent, il y avait deux églises catholiques à Bahreïn. La première est l’église du Sacré-Cœur, construite en 1939 à Manama, la capitale, et qui fut la première église catholique du Golfe persique et même à l’époque à être équipée de cloches.
Une deuxième église catholique, plus petite, est venue s’ajouter au milieu du 20e siècle à Awali, construite par la Bapco – la Bahrain Petrolium Company. Elle est partagée avec l’église anglicane. On estime que 100’000 à 140’000 catholiques, principalement originaires d’Inde et des Philippines, font partie de la communauté.
Protestations contre la nouvelle construction
La construction de la nouvelle cathédrale a été rendue possible par le don d’un terrain aux catholiques par la famille royale par l’intermédiaire du cheikh Hamad bin Isa al-Chalifa. En août 2020, le pape François l’a reçu à Rome et a probablement abordé avec lui la question de la construction de l’église. Des forces islamiques radicales ont protesté contre la nouvelle construction, relève cependant Harald Suermann de Missio, à Aix-la-Chapelle.
En 2011, Benoît XVI avait fait transférer le vicariat apostolique d’Arabie du Nord du Koweït au Bahreïn, l’évêque Camillo Ballin ayant contribué à sa mise en place. Ce vicariat comprend le Bahreïn, le Qatar, le Koweït et l’Arabie saoudite.
De Benoît à François
Camillo Ballin n’aura pas pu assister à l’inauguration de la cathédrale de Bahreïn: Il est décédé le dimanche de Pâques 2020 des suites d’un cancer. Depuis, c’est l’évêque capucin suisse Paul Hinder qui assure l’intérim pour l’Arabie du Nord. Mgr Hinder est responsable de l’Arabie du Sud. Sa cathédrale se trouve à Abou Dhabi, dans les Émirats arabes unis.
L’inauguration de la cathédrale de Bahreïn s’inscrit tout à fait dans la ligne des relations entre la maison royale de Bahreïn et l’Eglise catholique, qui se poursuivent depuis quelques années. Parmi les points forts, on peut citer les rencontres entre Benoît XVI et l’ancien roi, le don du terrain pour la construction de la cathédrale – et les rencontres entre le pape François et la famille royale en 2020 et 2021.
Déclaration d’Abou Dhabi
Toutes ces démarches montrent une sympathie réciproque des souverains arabes de Bahreïn et de l’Eglise catholique de la péninsule. Le fait que de si nombreux protagonistes arabes soient venus et soient entrés dans l’enceinte de l’église est assez nouveau et révèle qu’il n’y a aucune crainte de contact chez les personnes concernées.
La nouvelle cathédrale de Bahreïn a un poids similaire à celui de la déclaration commune d’Abou Dhabi, présentée par le grand-imam Tayyeb et le pape François le 4 février 2019 à Abu Dhabi. Il y est question de respect de la diversité, de tolérance et de respect des droits humains. Il y a encore des problèmes dans ce domaine, dans la mesure où l’Eglise des migrants est principalement composée d’employés, alors que les Arabes sont les «heureux possédants». Un dialogue d’égal à égal n’est pas encore possible, car les conditions sociales ne sont pas réunies.
Le défi de l’Arabie saoudite
La construction profite également aux catholiques d’Arabie saoudite. L’Arabie saoudite est le pays d’origine de l’islam avec La Mecque et Médine. L’islam a cependant de nombreux points communs avec le judaïsme et le christianisme, notamment la croyance en un Dieu unique et, pour l’essentiel, la pratique religieuse avec les cinq piliers. C’est ce que le Concile Vatican II a reconnu dans le document Nostra Aetate.
Malgré ces points communs, il n’était pas possible pour les dirigeants saoudiens, jusqu’à présent, qu’un lieu de culte non islamique puisse être construit dans le pays d’origine de l’islam et que des services religieux puissent être célébrés publiquement.
Par le ‘Pont du whisky’ pour les services religieux
Mais comme il existe un pont de 24 kilomètres entre l’Arabie saoudite et l’île de Bahreïn, surnommé ›Pont du whisky’, de nombreux catholiques se rendent à Bahreïn pendant le week-end ou les fêtes et participent aux services religieux chrétiens – en particulier à Noël et à Pâques.
Il existe en Arabie saoudite une église ›clandestine’ – également à Riyad – inspirée par environ cinq prêtres qui exercent également des professions civiles. Grâce à la nouvelle cathédrale et à la vie religieuse animée à Bahreïn, les catholiques d’Arabie Saoudite reçoivent un renforcement explicite.
Des conditions de travail difficiles
Les évêques Camillo Ballin et Paul Hinder ont travaillé de manière loyale en coopération et non en confrontation avec les dirigeants arabes. Ils se savent représentants des travailleurs immigrés face aux gouvernements et tentent d’obtenir les meilleures conditions de vie et de travail possibles pour les migrants de plus de cent pays. Ils dénoncent les situations inhumaines, sans toutefois faire de vagues.
Cette attitude s’applique entièrement à la pastorale et à l’enracinement chrétien des catholiques par le biais du culte, des célébrations sacramentelles, d’activités de formation pour adultes et de certaines activités associatives. Ces circonscriptions ecclésiastiques sont partagées entre les différentes Églises chrétiennes, les catholiques et les anglicans faisant partie des leaders.
Pas d’alternative au dialogue
Manama, la capitale du Bahreïn, est passée du statut de village de pêcheurs de perles à celui de centre économique moderne pour toute l’Arabie. L’indicible richesse générée par les découvertes de pétrole et de gaz s’est développée beaucoup trop rapidement et reste ambivalente.
La peine de mort n’est pas abolie, mais on constate – comme en Arabie saoudite – une tendance à la baisse des exécutions. Le dialogue, auquel il n’y a pas d’alternative, peut permettre d’avancer sur ces questions. La nouvelle cathédrale peut devenir un point focal de ce dialogue. (cath.ch/kath.ch/sl/mp)
* Stephan Leimgruber (73 ans) est professeur émérite de pédagogie religieuse de l’Université Ludwig-Maximilian de Munich. Ses recherches ont notamment porté sur l’apprentissage interculturel. Il est prêtre du diocèse de Bâle et vit à Lucerne.