La bénédiction Urbi et Orbi: «Du grand art»
La bénédiction «Urbi et Orbi» du 27 mars 2020 a marqué par sa profondeur spirituelle et sa sobriété théâtrale. Les images du pape François, seul sur la Place Saint-Pierre, ont fait le tour du monde. Echos de Mariano Tschuor, homme de télévision, engagé dans la communication de l’Eglise catholique suisse.
Raphael Rauch, kath.ch, traduction et adaptation Bernard Litzler, cath.ch
Selon la télévision allemande, les images du pape, ce 27 mars 2020, pourraient devenir une icône de la crise sanitaire. Est-ce exagéré?
Mariano Tschuor: Pas du tout: je peux le confirmer à 100 %. C’était du grand art. C’était une production parfaite. Le Vatican a tout mis en œuvre pour trouver une forme liturgique jamais vue auparavant. Une liturgie vit d’une bonne mise en scène. Elle est du théâtre au meilleur sens du terme, une dramaturgie avec un déroulement clair, un point culminant et un rythme. Cet art de la liturgie fait partie de l’ADN du Vatican.
La production vous a convaincu?
J’ai été ému. Si nous considérons le sacré de manière profane, il y avait une résonance dramatique. L’heure de cette célébration est parfaitement choisie, car on passe du jour à la nuit. Et le pape marche seul sur la place Saint-Pierre, déserte.
Nous voyons la façade de Saint-Pierre. De telles images ont un grand effet: elles montrent la solitude de l’homme au milieu de l’architecture romaine. C’est une création grandiose.
Une mise en scène s’appuie sur des séquences fortes.
«Dieu, est-ce que tu nous as abandonnés?». Et ce cri: «Où es-tu?». François parvient à le lancer à notre place. Car, en fait, c’est nous qui, dans notre exagération, nos excès, notre impudeur, profitons de tout.
Je pense aux relations humaines, à la création, à la cupidité. Ce cri est lancé à Dieu: «Où es-tu? Ne nous abandonne pas!». Je n’ai jamais entendu un pape le dire avec autant de force.
Une production a besoin d’action, de rythme.
Ou de courage pour imposer le silence. J’ai été impressionné par les minutes d’adoration du Saint-Sacrement et par la façon dont ce silence a été vécu. Le silence, tout simplement le silence. En termes symboliques, c’est quelque chose de très fort dans un monde par ailleurs très bruyant.
Il y a beaucoup de force dans le silence. Dans le silence, la confiance en Dieu peut grandir, mais aussi la solidarité avec les autres êtres humains.
Il n’y a pas de mise en scène neutre. Quels accents avez-vous remarqués?
A l’époque de Benoît XVI, la mise en scène était plutôt de style baroque. Aucune dentelle n’était de trop pour lui, aucun or non plus et aucune mitre n’était assez haute. Le pape François, lui, se concentre sur l’essentiel: l’adoration du Saint-Sacrement dans l’ostensoir.
Les mises en scène vivent aussi de personnages secondaires…
Autrefois, le maître de cérémonie serait venu avec sa soutane violette de monsignore, avec un surplis en dentelle. Là, on l’a vu avec une simple soutane de prêtre. A l’image, il a disparu.
Et il n’y avait pas de personnage secondaire. Le pape est venu seul, sans diacres ni enfants de chœur. Il y a une grande force dans cette simplicité optique.
Quel est l’impact d’une telle production?
Cela semble démodé de dire cela, mais cela procure de la consolation dans une période sombre. Cela parle aux sens. Il n’y a rien de plus signifiant qu’une liturgie. Ce type de cérémonie ramollit même les athées endurcis (rires).
«Ce type de cérémonie ramollit même les athées endurcis»
Les athées ne sont rejoints par l’Eglise que de manière ponctuelle…
Les gens aspirent à des paroles de confiance. Et l’Eglise a quelque chose à dire, quand elle ne tombe pas dans un jargon de compassion bon marché. Ou quand elle lève son index. Elle doit prendre les gens au sérieux et transformer leurs préoccupations en une communication d’espérance.
Car l’Eglise a beaucoup à dire: la Bonne Nouvelle du Christ est bâtie sur la consolation et la prise en compte des faibles et des opprimés. S’appuyer sur cette mission et la mettre en pratique est une énorme opportunité pour l’Eglise.
Si elle ne donne pas le contre-exemple…
Bien sûr, il y a toujours des gens qui exploitent de telles situations sans vergogne, en devenant plus fondamentalistes qu’ils ne le sont habituellement. D’autres créent la confusion par la désinformation. Mais la plupart des membres de l’Eglise se comportent vraiment bien. Le pape François en est le meilleur exemple. (cath.ch/kath.ch/bl)
Homme de télévision et de théâtre
Ancien directeur de la Radio-Télévision romanche, Mariano Tschuor, 61 ans, aujourd’hui retraité, préside la Commission des médias et de la communication de la Conférence des évêques suisses. Il a également été metteur en scène de théâtre. Il reste fortement engagé dans la communication de l’abbaye bénédictine de Mariastein (SO). BL