Fribourg: Pour Religioscope, le tueur Anders Breivik n’est pas un fondamentaliste chrétien

L’historien fribourgeois Jean-François Mayer analyse ses motivations

Fribourg, 3 août 2011 (Apic) Le tueur norvégien Anders Behring Breivik, auteur de l’attentat sanglant du 22 juillet dernier à Oslo et du massacre de jeunes sur l’île d’Utoya, n’est pas un fondamentaliste chrétien, estime l’historien fribourgeois Jean-François Mayer. Spécialiste des phénomènes religieux dans le monde contemporain, directeur du site internet Religioscope (cf. www.religion.info) (*), Jean-François Mayer a étudié les textes rédigés par cet extrémiste, qui laissent apparaître une image très différente.

Dans les heures qui ont suivi l’arrestation d’Anders Behring Breivik, l’auteur du carnage du 22 juillet 2011 s’est trouvé qualifié de «chrétien fondamentaliste». Aux yeux du chercheur Jean-François Mayer, l’examen des textes qu’il a rédigés laisse apparaître une image très différente sur ses croyances religieuses. Son interprétation se fonde essentiellement sur le volumineux manifeste «2083. A European Declaration of Independence», écrit par Breivik en anglais et envoyé par voie électronique à un nombre important de correspondants juste avant d’entamer sa meurtrière opération (»2083» évoque bien sûr une autre date: 1683, la bataille de Vienne qui mit fin au second siège de la ville par les Turcs; Breivik était un fervent lecteur du blog islamocritique Gates of Vienna).

Après avoir décrypté les 1’500 pages de la fumeuse «Déclaration d’indépendance européenne», l’historien fribourgeois conteste l’étiquette de fondamentaliste chrétien collée dans un premier temps à Anders Behring Breivik. Le désigner comme un «terroriste chrétien» n’aide pas non plus à comprendre le fondement de ses motivations, explique-t-il.

Breivik, le produit d’une civilisation occidentale sécularisée

Interrogé par Rachad Armanios pour l’édition du mercredi 3 août 2011 des quotidiens «La Liberté» (Fribourg) et «Le Courrier» (Genève), Jean-François Mayer affirme que Breivik est en fait le produit d’une civilisation occidentale sécularisée, bien qu’il évoque l’idée de créer un ordre de templiers modernes pour défendre l’Europe chrétienne.

«La foi et la Bible ne sont pas vraiment sa motivation. Contrairement à un fondamentaliste religieux, il n’est pas guidé dans son action par la lecture des Ecritures saintes, auxquelles il fait peu référence, mais essentiellement par ses convictions politiques, qui sont la lutte contre l’islam, le multiculturalisme et le ’marxisme culturel’. Dans ses convictions, il intègre la défense du christianisme, mais dans le sens culturel du terme. La chrétienté est selon lui le seul drapeau unissant l’Europe par-delà les différences. C’est un axe de ralliement dans son combat. Les ’chrétiens agnostiques ou athées’, dit-il, ont aussi vocation à se battre pour l’Europe chrétienne où l’islam sera banni», explique le chercheur fribourgeois.

Pour une Eglise soumise au politique

Le tueur se définit comme un «chrétien culturel». A 15 ans, il a choisi de son propre chef d’être baptisé. «Il se dit modérément religieux. Peu avant l’attentat, il dit avoir prié pour la première fois depuis longtemps. Et encore, quand il prie, c’est pour dire à Dieu ce qu’il doit faire, soit faire aboutir sa mission. Conservateur sur le plan religieux, il veut une Eglise d’il y a 40-60 ans. Car il est déçu par les Eglises, en particulier protestantes, qui se sont selon lui vendues au multiculturalisme et au dialogue avec l’islam. Luthérien, il rêve d’une Eglise unie entre catholiques et protestants, qui soit dans la future ligne politique de l’Europe qu’il imagine. Un peu comme l’Eglise nationale allemande que voulaient les nazis, l’Eglise ne fusionnerait pas avec le politique mais lui serait soumise».

A la question de Rachad Armanios, demandant le pourquoi de ce qualificatif de «fondamentaliste chrétien» collé au personnage du terroriste d’extrême-droite, Jean-François Mayer relève que cela vient des premières déclarations de la police, qui avait alors des éléments fragmentaires. «Police, journalistes, tout le monde travaille dans l’urgence, c’est normal. Cette étiquette a aussi permis de dire qu’on n’avait pas affaire à du terrorisme islamiste».

Breivik est aussi franc-maçon et attiré par la culture païenne

Breivik est aussi franc-maçon et attiré par la culture païenne ? «Comme fervent lecteur de toute la blogosphère islamocritique, poursuit le spécialiste des religions, il découvre des mouvances de type néo-païens. Fier de l’héritage païen, il l’intègre dans son christianisme, comme un plus. Mais il explique que le marteau de Thor, contrairement à la croix, n’a pas un pouvoir de mobilisation idéologique. Il est aussi franc-maçon depuis cinq ou six ans au moment des faits – son Ordre l’a expulsé la semaine dernière. Mais s’il a suivi l’itinéraire normal, il n’est pas un membre actif. Les références à la franc-maçonnerie sont rares dans son manifeste. On ne peut que supposer que c’est son goût du secret et des structures clandestines qui l’a attiré».

Fondamentalement opposé à la présence de l’islam en Europe, il le considère incompatible avec l’Occident et comme une menace. Selon lui, l’imposition de la charia et l’immigration massive de musulmans vont balayer l’Europe. «Mais sa cible, ce ne sont pas les musulmans, mais les ’traîtres’, soit l’élite et les politiciens en Europe». Il surfe sur une crainte assez largement partagée.

«Se démarquant de la violence, Pat Buchanan, un représentant de la droite conservatrice classique aux Etats-Unis, a réagi en donnant raison sur le fond à Breivik. Il juge que le terrorisme indigène n’est pas la principale menace en Europe, mais bien la montée de l’islam», poursuit le chercheur fribourgeois.

Rachad Armanios constate que ce rejet radical de l’islam est commun à l’extrême droite européenne. Jean-François Mayer confirme les sympathies du tueur pour Geert Wilders, fondateur du Parti pour la liberté aux Pays-Bas. «Mais il juge les partis trop modérés, il a d’ailleurs quitté celui du Progrès en Norvège (nationaliste et xénophobe, ndlr). Sa principale source intellectuelle vient de blogueurs indépendants qu’il cite abondamment. En particulier un Norvégien anonyme, Fjordman. Dans un texte très virulent contre l’islam, celui-ci affirme que face à ce qu’il voit comme la démission des gouvernements, ’il s’agit de prendre les mesures appropriées’».

Le directeur de Religioscope relève que tout le fonds idéologique véhiculé par les sites internet de la mouvance d’extrême-droite donne une plausibilité sociale à Breivik. «Quant aux partis d’extrême droite qui sont sur la défensive en ce moment, ils ne sont pas sa source d’inspiration principale. Et s’ils participent à l’instauration d’un climat tendu, je serais très prudent avant de faire des liens. Sinon, on pourrait aller jusqu’à rendre le PS responsable des échauffourées du 1er Mai à Zurich…»

(*) Créé en 2002, le site Religioscope a donné naissance en 2007 à un petit institut de recherche, qui se consacre à l’étude des faits religieux et à leur impact dans le monde contemporain. Cet institut publie certains de ses travaux sur le site internet www.religion.info, mais également sous d’autres formes, et projette d’organiser aussi par la suite différentes activités (séminaires, etc.). Ses bureaux sont installés depuis l’été 2008 au centre de la ville de Fribourg, en Suisse. (apic/lib/com/be)

3 août 2011 | 16:31
par webmaster@kath.ch
Temps de lecture : env. 5  min.
Oslo (5)
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