«L’économie va bien, tout est question de répartition des richesses», affirme Hugo Fasel
Suisse: Pour Caritas, la pauvreté ne recule pas, malgré la bonne santé économique
Berne, 7 mai 2012 (Apic) Alors que le taux de chômage a diminué à 3,1% en avril 2012 (contre 3,2% le mois précédent), la pauvreté en Suisse ne recule pas. Elle touche 700’000 à 900’000 personnes, dont 260’000 enfants, malgré la bonne santé économique du pays, affirme Caritas Suisse.
«Malgré une meilleure conjoncture, il est inquiétant de voir que la pauvreté reste au même niveau… De plus en plus de gens sont exclus de la croissance économique, tout est question de répartition des richesses», a déclaré lundi 7 mai à Berne Hugo Fasel, directeur de Caritas Suisse.
Grâce à son travail de sensibilisation et la publication de sa déclaration «Pauvreté: faisons-là disparaître!», l’œuvre d’entraide catholique a réussi à imposer ce thème dans l’agenda politique suisse. «La pauvreté sort enfin de l’ombre de l’administration et n’est plus seulement l’affaire de l’aide sociale et des offices sociaux… Cette question est parvenue jusqu’aux parlementaires cantonaux et aux chambres fédérales», a lancé lundi Hugo Fasel.
Nécessité de changer de priorités
Les «Observations sur la politique de lutte contre la pauvreté 2012», que publie Caritas Suisse, montrent cependant que la plupart des cantons sont encore loin de formuler des objectifs politiques concrets pour réduire la pauvreté ou éviter qu’elle ne s’installe. Pour Hugo Fasel, la politique sociale suisse doit déplacer ses priorités: certes, l’Etat social est constitué, il se consacre à la gestion des risques «classiques» que sont l’âge, l’invalidité, la maladie et le chômage… mais la pauvreté demeure.
Aujourd’hui, plus de 70% des moyens engagés dans la sécurité sociale le sont pour l’assurance-vieillesse (AVS). Pour le directeur de Caritas Suisse, le grand défi de l’avenir est la lutte contre la pauvreté. 260’000 enfants vivant en Suisse dans des familles pauvres représentent une grave hypothèque pour l’avenir. Le risque est grand que cette pauvreté se reproduise dans les prochaines générations. Il faut donc s’attaquer aux causes de la pauvreté, et pas seulement la gérer en offrant un soutien financier.
Malgré la croissance, la pauvreté demeure
Il faut notamment prendre des mesures pour introduire un revenu minimum, car on ne peut continuer de pallier aux bas salaires par le biais de compléments d’aide sociale, finalement payés par le contribuable, «ce qui est un non sens économique!», relève l’ancien syndicaliste. Dans les entreprises, la politique salariale récompense souvent les plus hauts revenus, a-t-il remarqué, tandis que les collaborateurs au plus bas de l’échelle salariale sont exclus du succès économique. Ces dernières années, le nombre de travailleurs pauvres (»working poors») n’a pas diminué en Suisse, oscillant entre 220 et 250’000.
La pauvreté est un phénomène complexe, qui a de nombreuses causes: formation insuffisante, enfants nombreux, faible rémunération, origine, séparation, endettement, rappelle Hugo Fasel. Il plaide en faveur d’allocations pour enfants couvrant les frais réels, de prestations complémentaires pour familles, de formations de rattrapage, de salaires permettant de couvrir le minimum vital, d’avances sur pensions alimentaires, de mesures d’intégration. Le catalogue est long des mesures à prendre!
«La pauvreté est un phénomène dynamique qui ne peut être combattu avec une seule mesure, fût-elle une assurance sociale…», lance-t-il.
Outre le plaidoyer pour des rémunérations qui permettent d’assurer, pour le segment salarial le plus bas, le minimum vital, Hugo Fasel insiste également sur la formation continue, comme élément-clef de la lutte contre la pauvreté.
Caritas va créer 1000 emplois dans des entreprises sociales
Odilo Noti, responsable du secteur «communication» de Caritas Suisse, souligne pour sa part la nécessité d’augmenter le nombre d’entreprises sociales. Si l’on veut que l’intégration réussisse, il faut créer des emplois, estime-t-il. En temps de crise, le marché du travail n’a pas une très grande capacité d’absorption. Les personnes qui cherchent un emploi ne trouvent pas à s’engager malgré tous leurs efforts. C’est particulièrement le cas pour les personnes aux capacités de rendement réduites, qui sont «pratiquement exclues du marché du travail!»
Caritas propose donc de les insérer sur le «marché du travail secondaire», en étendant son offre d’entreprises sociales. L’œuvre d’entraide entend créer progressivement 1000 emplois supplémentaires pour ce genre de main d’œuvre ayant peu de chance sur le marché concurrentiel.
La lutte contre la pauvreté est essentiellement du ressort des cantons
La Confédération veut désormais jouer un rôle plus actif dans la lutte contre la pauvreté. En mars 2010, le Conseil fédéral publiait un rapport intitulé «Stratégie globale de la Suisse en matière de lutte contre la pauvreté». L’Office fédéral des assurances sociales (OFAS) veut mettre en œuvre une stratégie de lutte contre la pauvreté. Il organise une table ronde sur cette thématique en novembre prochain.
La plupart des cantons sont encore loin de formuler des objectifs politiques concrets pour réduire la pauvreté ou éviter qu’elle ne s’installe. Caritas Suisse se bat donc aussi pour l’établissement de rapports cantonaux sur la pauvreté, étant donné que la lutte contre ce phénomène est essentiellement du ressort des cantons. L’instruction publique, les politiques de l’éducation, de la famille, la politique fiscale et l’aide sociale relèvent en effet des cantons.
Le canton de Berne est à la pointe: son rapport social de 2010, le seul à présenter une information exhaustive sur la pauvreté, peut servir de modèle pour les autres cantons suisses. Il s’est en outre donné un objectif vérifiable: diminuer de moitié la proportion de personnes en situation de pauvreté d’ici 2020.
La plupart des cantons n’ont pas présenté un rapport sur la pauvreté ces deux dernières années. Quatre cantons – Berne, Lucerne, Vaud et Bâle-Ville – ont établi un tel rapport. Schwytz, Soleure et Zurich ont cependant publié des rapports sur la sécurité sociale dans lesquels la question de la pauvreté est traitée partiellement. D’autres cantons y travaillent. Regula Heggli, du service de politique sociale de Caritas Suisse, qualifie de «particulièrement choquantes» les décisions des cantons d’Appenzell Rhodes-Extérieures, des Grisons, de Thurgovie et d’Uri, qui disent explicitement que ce type de rapport est inutile. Pour plus d’infos: www.caritas-pauvrete.ch. (apic/be)