Genève: Les protestants exilés au bord du Léman avaient un lieu de ralliement
L’auditoire de Calvin, un berceau de la réforme protestante
Genève, 19 juin 2009 (Apic) Situé à la place de la Taconnerie à Genève, l’auditoire de Calvin, proche de la Place Saint-Pierre, date du 15ème siècle. D’un style gothique, il accueille, dès le 16ème siècle, des réformateurs et des réformés de France, de Hollande, d’Italie, d’Allemagne et d’Irlande. Gros plan sur une chapelle qui a servi de lieu d’enseignement aux grands noms de la réforme.
Le style de l’auditoire de Calvin est dépouillé et même austère. Heureusement, avec la commémoration du 500ème anniversaire de Calvin, la chapelle bénéficie d’un «lifting», ce qui lui confère un petit profil d’autres chapelles du 21ème siècle. L’inauguration officielle de ses nouveaux vitraux a eu lieu en mai 2007. C’est une œuvre d’Udo Zembok, plasticien verrier français qui, par le choix des couleurs, a voulu créer une atmosphère de paix et une source de méditation spirituelle. Pour Luca Negro, pasteur de l’Eglise vaudoise d’Italie à Genève, l’œuvre de l’artiste français met aussi un accent particulier sur l’importance historique de l’auditoire de Calvin dans le développement de la Réforme. Initié par l’Association pour la promotion de l’art sacré de Genève, le projet des vitraux a pu se réaliser, grâce au soutien de plusieurs institutions et de généreux donateurs, parmi lesquels l’Église d’Écosse à Genève.
Dans le même sens, la façade ouest est en cours de restauration au grand bonheur des habitués de la place de la Taconnerie, pour qui ces retouches viennent à point nommé. La façade commençait à moisir, constatent-ils non sans contempler l’édifice à l’architecture modeste mais au passé profondément religieux.
Anciennement connu sous le nom de la chapelle Notre-Dame-la-Neuve, l’auditoire de Calvin est une place significative pendant la Réforme. Il est associé à Jean Calvin, Théodore de Bèze et John Knox, figures incontournables du protestantisme. «Ravagé par le feu au XVIe siècle, l’édifice est reconstruit et remanié à diverses époques. La chapelle a été surélevée en 1874. La dernière restauration de 1959 a été précédée de fouilles archéologiques. Poursuivant une tradition instituée à l’époque du Refuge, la chapelle reste, chaque dimanche, à disposition des communautés protestantes de langues étrangères, à savoir l’Eglise reformée hollandaise, l’Eglise vaudoise d’Italie et la Congrégation de l’Eglise de l’Ecosse», explique Philippe Reymond, actuel modérateur de la compagnie des pasteurs à Genève.
La chapelle accueille l’Académie de Genève
En 1536, Calvin y prêche sa théologie reformée. Fin connaisseur des lieux sacrés à Genève, Olivier Labarthe, rappelle que le réformateur y donne des cours de la Bible chaque matin à 7 heures et des fois même à 6 heures. «Les journées sont longues, dit-il, car Calvin donne des cours de dix heures par jour et six jours par semaine. Le début des cours est fixé à six heures du matin en été et sept heures en hiver». Le président de la Société du Musée Historique de la Réformation et Bibliothèque Calvinienne indique aussi que c’est en 1559 que la chapelle accueille l’Académie de Genève que Calvin vient de fonder.
Très rapidement, l’Académie connaît des succès fulgurants aussi bien en Suisse qu’en Europe. Olivier Labarthe rappelle que son premier recteur était Théodore de Bèze. Les étudiants venaient de France, d’Italie, d’Écosse et d’Allemagne. «Pendant ce temps, note notre interlocuteur, Calvin fait tout pour se donner les moyens d’enseigner la Bible, exhortant ses étudiants à y rester fidèles et traduire leur foi dans les actes.»
Cet enseignement est à l’origine de l’Université de Genève qui, au début, propose quatre enseignements: La théologie, le grec, l’interprétation des poètes, orateurs et historiens de l’Antiquité et un enseignement des arts. Dès la mort de Calvin en 1564, sous l’influence de Bèze, des chaires de droit et de médecine sont créées, mais elles ne durent pas longtemps. Si le droit renaît sans trop tarder, il faut attendre 1873 pour qu’une faculté de médecine voie à nouveau le jour. Les premiers cours sont donnés en 1876.
En 1873, l’Académie de Genève devient l’Université de Genève. Le changement traduit une évolution plus fondamentale basée sur la conception même du savoir. Celui-ci est désormais conçu comme un complexe de connaissances et de méthodes, susceptibles d’être enrichies ou remises en question par les recherches ultérieures.
La langue de l’enseignement va aussi constituer un autre changement important. Jusqu’au début du XVIIIe siècle, les cours sont exclusivement donnés en latin. Depuis le Moyen Âge, le latin, langue du savoir en Europe, permet, pour ne prendre que cet exemple, à des auteurs du XIIIe siècle comme Thomas d’Aquin et Siger de Brabant de se faire comprendre parfaitement, du point de vue linguistique tout au moins. A Genève, dès 1724, certains cours de l’Auditoire de philosophie sont donnés en français. La théologie attendra un siècle de plus. Dès 1827, par décision officielle, tous les cours sont donnés en français.
Les réfugiés assurent une prospérité à la cité de Genève
La réforme, lancée en Allemagne par Martin Luther dès 1517, se manifeste à Genève en 1525. Prêchée par le réformateur français Guillaume Farel, elle est adoptée par les Genevois entre 1535 et 1536. Bien évidemment, le mouvement prend son apogée avec l’arrivée de Calvin en juillet 1536. «Celui-ci fait de Genève l’un des pôles principaux de la pensée religieuse en Europe et donne à la cité une réputation considérable», indique Olivier Labarthe, ancien modérateur de la compagnie des pasteurs à Genève.
Un autre fait marquant reste le mouvement de réfugiés. Genève devient un important lieu de refuge, dès les années 1540, pour les adeptes de la réforme persécutés dans leur pays. Ceux-ci considéraient Genève comme un lieu où ils pouvaient vivre librement leur foi. Les Français, qui représentent les trois quarts des réfugiés, renforcent la position de la langue française dans la cité. Avec d’autres réfugiés italiens, anglais et espagnols, ils apportèrent à Genève leur savoir-faire et fournissent à la ville les pasteurs dont elle a besoin pour son rayonnement spirituel. Des professeurs, avocats et médecins assurent son essor intellectuel et social. Quant aux imprimeurs, horlogers, orfèvres, spécialistes du textile et marchands-banquiers, ils permettent son décollage économique. «Il existe encore des traces bien vivantes de cette contribution appréciable que les réfugiés apportent à leur pays d’adoption», indique le pasteur Luca Negro. L’Italien donne pour exemples les noms qui identifient certains lieux de Genève comme le quai de Turrettini, rue Fatio, rue Lombard, passage de Burlamachi, etc. qui viennent enrichir la toponymie genevoise
Olivier Labarthe et Philippe Reymond citent un autre mouvement de réfugiés au XVIIe siècle. Après la révocation de l’Edit de Nantes (1685), la ville au bout du lac accueille une seconde vague provenant de France. A leur arrivée, les réfugiés renforcent les secteurs économiques qui font de nouveau la réputation de Genève au XVIIIe siècle à travers, notamment, les secteurs horlogers et bancaires.
Encadré:
Série d’été Apic: Ces lieux chargés d’histoire
Est-il exact que les prémontrés de Bellelay ont inventé la tête de moine? Pourquoi l’évêque de Bâle se trouve-t-il à Soleure? Pourquoi les cérémonies de sépulture ont-elles été longtemps interdites à la Cathédrale de Lausanne? Ces questions (et bien d’autres) trouveront réponse dans la série d’été que l’Apic consacre à «ces lieux chargés d’histoire». Une série de reportages à découvrir en juin et juillet.
(apic/dng/bb)