Henry Kissinger (1923-2023) a marqué de son empreinte la géopolitique du 20e siècle | © Gerald Ford School of Public Policy University of Michigan/Flickr/CC BY-ND 2.0
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Kissinger conseillait aussi les papes

Le diplomate et politologue américain Henry Kissinger, décédé le 29 novembre 2023 à l’âge de 100 ans, a conseillé de nombreux responsables politiques. Il est moins connu qu’il a également eu l’oreille de papes.

Né en Allemagne en 1923, dans une famille juive, Henry Kissinger émigre aux États-Unis en 1938 avec sa famille qui fuit les persécutions nazies. Il est naturalisé américain en 1943.

Secrétaire d’État du gouvernement républicain de Richard Nixon, poste qu’il occupe ensuite sous Gerald Ford, il a marqué d’une empreinte indélébile la politique étrangère des Etats-Unis dans la seconde moitié du 20e siècle. Promoteur de la Realpolitik, il a joué un rôle important notamment au cours de la guerre froide, de 1968 à 1977. Il a été en particulier, en 1973, l’un des artisans de la signature des accords de paix de Paris tentant de mettre fin à la guerre du Vietnam. Il a également inspiré la politique de détente avec l’Union soviétique et normalisé les relations sino-américaines à partir de 1971. Henry Kissinger a reçu le prix Nobel de la paix en 1973 pour son action en rapport à la guerre du Vietnam.

Liens avec le Vatican

Au-delà de son activité dans le monde politique, il a aussi été proche du Vatican, rappelle le site américain Crux. Il n’était pas rare qu’il échange des points de vue avec ses homologues du Saint-Siège, en particulier le cardinal Agostino Casaroli, secrétaire d’Etat de 1979 à 1990.

Henry Kissinger était un habitué de la scène romaine en partie grâce à son amitié étroite avec Gianni Agnelli. Le fondateur des usines FIAT était pendant des décennies un personnage incontournable de la scène politique italienne.

Le cardinal Casaroli n’était pas le seul diplomate du Vatican avec lequel l’Américain était en contact. Ainsi, dans le cadre des révélations des Wikileaks, le public a eu connaissance d’une conversation datant d’octobre 1973 entre Kissinger et l’archevêque Giovanni Benelli, alors substitut de la Secrétairerie d’État. Les deux hommes ont discuté du récent coup d’État au Chili, qui avait renversé le gouvernement de Salvador Allende. Mgr Benelli a conseillé à Kissinger d’ignorer les rapports faisant état de massacres et d’exactions commis par les forces du général Augusto Pinochet, décrivant ces affirmations comme de la «propagande communiste».

Amitié avec Jean Paul II

Le diplomate américain a exercé une influence notable également sur les pontifes de son époque, avec lesquels il entretenait de bonnes relations. Paul VI a même qualifié Kissinger de «vieil ami».

Sa première rencontre avec le pape Jean Paul II a eu lieu lors d’une audience privée en octobre 1979, alors que le consultant américain n’avait plus aucun rôle officiel au sein du gouvernement américain. Cette rencontre ne s’est cependant pas déroulée dans les circonstances les plus propices, note Crux. Un an auparavant, juste après l’élection du cardinal Karol Wojtyla, Kissinger avait déclaré que le choix d’un pape polonais était une provocation délibérée à l’égard de Moscou et n’était peut-être pas «bon pour l’humanité».

Malgré ce bémol, Jean Paul II et le politologue s’entendront bien et continueront à interagir à plusieurs reprises au cours du quart de siècle suivant. En 2001, Henry Kissinger a emmené sa femme Nancy au Vatican pour recevoir la bénédiction du pontife polonais. A la mort de ce dernier, en 2005, il a déclaré sur NBC qu’il était convaincu que Jean Paul II, et non lui-même, était la personnalité la plus influente du 20e siècle.

Chaque fois que des journalistes interrogeaient Henry Kissinger sur le pape polonais, il répondait qu’il lui était tellement attaché qu’il avait conservé les photos de chacune de leurs rencontres.

Admiration pour la diplomatie pontificale

Benoît XVI a également rencontré le légendaire diplomate américain lors d’une longue audience à Castelgandolfo en septembre 2006. L’alchimie entre le pontife et Kissinger, également né en Allemagne, était évidente. Joseph Ratzinger aurait ainsi demandé à Kissinger de faire partie d’un conseil officieux de consultants en politique étrangère. Une rumeur que le Vatican s’est vu contraint de démentir par la suite.

Le conseiller américain a toutefois eu des différends avec les papes, en particulier pendant le pontificat de Paul VI quant à la meilleure façon de relever les défis de la guerre froide.

Mais Kissinger admirait clairement la capacité du Vatican à adopter une vision à long terme des relations internationales. «Bien qu’associé à une approche de Realpolitik, dont les critiques diraient qu’elle repose davantage sur le cynisme que sur des idéaux élevés, le diplomate américain semblait également apprécier le sens unique de la transcendance que le Vatican s’efforce d’apporter à des questions très terrestres», note Crux. (cath.ch/crux/arch/rz)

Henry Kissinger (1923-2023) a marqué de son empreinte la géopolitique du 20e siècle | © Gerald Ford School of Public Policy University of Michigan/Flickr/CC BY-ND 2.0
1 décembre 2023 | 16:55
par Raphaël Zbinden
Temps de lecture : env. 3  min.
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