Mgr Parolin au Sommet mondial 2023 de l'OIT | © Lucienne Bittar
Suisse

Le Vatican soutient une Coalition mondiale pour la justice sociale

Le directeur de l’Organisation internationale du Travail a appelé à la création d’une nouvelle Coalition mondiale pour la justice sociale. «Cette initiative revêt un intérêt tout particulier pour le Saint-Siège», a déclaré le pape François le 14 juin 2023 par l’intermédiaire de son secrétaire d’État Mgr Pietro Parolin, lors du Sommet 2023 du monde du travail, à Genève.

La justice sociale est l’unique clé de voûte apte à soutenir à long terme une reprise économique mondiale, centrée sur l’humain et porteuse de dignité et de paix. Cette affirmation est au cœur de la 111e Conférence annuelle de l’Organisation internationale du Travail (OIT) qui se tient à Genève jusqu’au 16 juin 2023. On pourrait la croire issue de la doctrine sociale de l’Église. Comment s’étonner dès lors qu’elle ait trouvé un soutien de la part du Vatican?

Sommet 2023 du monde de travail, Genève, Nations-Unies | © Lucienne Bittar

Des délégués des 187 États membres de l’OIT – dont le Saint-Siège -, des employeurs et des travailleurs participent (voir encadré) à la Conférence, conformément au fonctionnement tripartite de l’OIT, unique dans le monde onusien. En ouverture des travaux de la Conférence, Gilbert F. Houngbo, directeur général de l’OIT depuis octobre 2022, a présenté son rapport Faire avancer la justice sociale. Une piqûre de rappel de la raison initiale pour laquelle l’organisation a été fondée en 1919.

Quatre milliards de travailleurs non protégés

L’objectif d’«un travail décent pour tous» est bien loin d’être atteint, a-t-il souligné. Et la situation a empiré avec le covid car un grand nombre de micro et petites entreprises créatrices d’emplois ont fait faillite. Aujourd’hui, quatre milliards de personnes ne bénéficient d’aucune protection sociale et 214 millions de travailleurs gagnent moins que le seuil de pauvreté. «Et comment pouvons-nous expliquer que les femmes gagnent en moyenne 20% de moins que leurs collègues hommes?» a-t-il lancé.

«Nous vivons à une époque marquée par une accumulation de crises, dont chacune révèle des faiblesses présentes depuis longtemps dans les systèmes et politiques en place. Ces failles cachent des inégalités structurelles qui, à chaque perturbation, accentuent la marginalisation de millions de personnes.»

Lancement d’une Coalition mondiale pour la justice sociale

Pour remettre la justice sociale au cœur des préoccupations et des engagements concrets de toutes les collectivités, le Togolais Gilbert F. Houngbo a défendu la création d’une vaste Coalition mondiale. Elle réunirait un large éventail d’organismes internationaux et de parties prenantes, tels que les États membres, les acteurs du monde du travail, de l’économie et de la finance, de la science, des ONG ou d’autres secteurs de la société civile.

La justice sociale est au cœur du mandat de Gilbert F. Houngbo, directeur général de l’OIT | © ILO

Cette coalition agirait en quelque sorte comme un énorme groupe de pression et d’incubateur de solutions nouvelles. Sa visée serait à la fois éthique et pragmatique. «La justice sociale n’est pas seulement un impératif moral», a souligné Gilbert F. Houngbo, mais un outil qui permet aux sociétés et aux économies de fonctionner avec plus de cohérence et d’efficacité. «Elle libère le potentiel de production des pays et de la population et ouvre la voie à une réduction durable de la pauvreté et des inégalités, condition préalable à la réalisation d’une croissance inclusive. Elle contribue en outre à la paix, à la stabilité et à la solidarité intergénérationnelle.»

Un écho à la doctrine sociale de l’Église

Mgr Pietro Parolin au Sommet 2023 du monde de travail | © Lucienne Bittar

Cette analyse rejoint les fondamentaux de la doctrine sociale de l’Église, a souligné Mgr Pietro Parolin devant les participants du Sommet sur le monde du travail, réunis le 14 juin 2023 à Genève dans le bâtiment des Nations Unies. Le secrétaire d’État du Vatican y a délivré un message du pape François. «Cette initiative louable revêt un intérêt tout particulier pour le Saint-Siège, puisqu’elle résonne avec les indications, les conseils et les exhortations par lesquels l’Église catholique encourage ses fidèles à être des citoyens responsables.»

Les trois pierres angulaires du bien commun

Il s’agit de rechercher le bien commun, en ne succombant pas «à une conception réductrice de la justice sociale, qui se concentrerait uniquement sur les indicateurs économiques et sociaux». Au contraire, il faut se reposer «sur les trois pierres angulaires» défendues par la doctrine sociale de l’Église, que sont la dignité humaine, la solidarité et la subsidiarité, et celles-ci doivent œuvrer «en synergie».

La dignité, précise le pape dans son message, «appelle à la protection des droits fondamentaux et du bien-être de tous les individus, y compris leurs besoins physiques, émotionnels et spirituels»; la solidarité «incite les individus et les communautés à reconnaître que leur bien-être est lié à celui des autres et à œuvrer pour le bien commun en promouvant la justice, l’égalité et les droits de l’homme pour tous»; la subsidiarité «cherche à prévenir la concentration du pouvoir et soutient l’autonomisation et la participation des individus et des communautés dans la construction de leur propre destin».

Mgr John Putzer, de la Mission permanente du Saint-Siège auprès de l’ONU, et Mgr Parolin, secrétaire d’État du Vatican | © Lucienne Bittar

Pas de paix sans justice sociale

«Il est donc crucial que les personnes en marge du marché du travail soient toujours au premier plan de nos cœurs et de nos esprits lors de toute discussion politique sur la justice sociale», a relayé à la tribune Mgr Parolin. Plus encore, ces personnes doivent être parties prenantes du processus «pour parvenir à une paix plus sûre au sein de nos sociétés». (cath.ch/lb)


Hildegarde Hagemann, de Kolping international, devant l’ONU à Genève | © Lucienne Bittar

«Rien sur nous, sans nous»: le credo du groupe d’ONG catholiques
Depuis la création de l’OIT en 1919, plus de 200 conventions et protocoles ont été adoptés par ses États membres. Ils ont permis l’élaboration d’une législation sociale et d’une législation du travail internationales contraignantes pour ses ratificateurs. Pour Hildegarde Hagemann, représentante de Kolping international, il est indéniable que l’OIT est un terrain fertile pour la protection des travailleurs.
Lors de sa prise de parole le 13 juin 2023 devant les délégués de la Conférence internationale du travail, elle a affirmé que «sans dialogue social, sans négociations, les conséquences économiques, sociales et environnementales des récessions, pandémies, crises financières seraient bien plus dramatiques pour la majorité des travailleurs, formels ou informels».
Kolping international est une association sociale catholique internationale, fondée au 19e siècle en Allemagne par le Père Adolph Kolping. Elle défend les intérêts des travailleurs précaires et compte 400’000 membres, dans 60 pays. Cette association fait partie d’un groupe d’ONG catholiques enregistrées auprès de l’OIT.
Ce groupe a été créé en 2012, sur l’impulsion notamment du jésuite Pierre Martinot-Lagarde, conseiller spécial pour les affaires socio-religieuses au Bureau international du travail. Le but est d’accompagner les réflexions et négociations autour des objectifs du développement durable définis par l’ONU en 2015. Il cherche à promouvoir l’objectif 8 de cet agenda, soit «un travail décent» pour tous.
«La doctrine sociale de l’Église nous invite à ne pas nous contenter de la prière, mais à nous engager sur le terrain», déclare Hildegarde Hagemann. «Nous voulons relayer dans les plus hautes sphères dirigeantes les voix et les droits de nos membres. Ce sont des travailleurs précarisés ou pauvres, des travailleurs sur appel ou engagés dans des secteurs informels, comme des domestiques, des petits vendeurs de rues, etc. Le slogan ‘Rien sur nous, sans nous’ est plus significatif que jamais», insiste-t-elle.
Pour Hildegarde Hagemann, la mise en place de la Coalition mondiale proposée par le directeur général de l’OIT pourrait marquer un nouvel élan. Or seuls 17 chefs d’État et de gouvernement ont participé en personne à son Sommet de lancement. «Espérons que d’autres rejoindront par la suite la Coalition. La route est encore longue.»
Le directeur de l’OIT Gilbert F. Houngbo, a-t-elle confié, a cherché le soutien du Saint-Siège. Le cardinal Michael Czerny, préfet du Dicastère pour le Service du développement humain intégral, l’a assuré de la collaboration de son propre dicastère, en lien avec le réseau d’ONG catholiques impliquées dans le projet de l’OIT Le travail après Laudato si’. LB

Mgr Parolin au Sommet mondial 2023 de l'OIT | © Lucienne Bittar
15 juin 2023 | 17:00
par Lucienne Bittar
Temps de lecture : env. 5  min.
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