Justice et Paix célèbre ses 50 ans
Le 50e anniversaire de la commission Justice et Paix de la Conférence des évêques suisses (CES) a réuni quelque 70 personnes, le 19 novembre 2019, à Berne. Face aux mutations du monde actuel, il faut rester attentif et ne pas avoir peur du changement, a souligné Mgr Felix Gmür, président de la CES.
Georges Scherrer kath.ch / traduction adaptation Maurice Page
Le président ad interim Thomas Wallimann a souligné la rareté des ressources de la commission Justice et Paix. Néanmoins, elle «apporte encore quelque chose», a-t-il dit, étant donné le faible pourcentage de postes auxquels elle a droit aujourd’hui. La nécessité de la Commission existe toujours et elle est appréciée.
Après sa réduction à son seul secrétaire général en 2013, la Commission est «toujours en crise». La question demeure donc: ” Que pouvons-nous faire avec les ressources disponibles? «Pour l’instant, nous devons les utiliser et créer des synergies. Nous sommes mis au défi de trouver de nouvelles voies «, a poursuivi Th. Wallimann. Il faut aussi repenser le «principe de subsidiarité dans l’Eglise».
«Dans la zone rouge»
Après ce mot d’introduction plutôt critique, la célébration des 50 ans de Justice et Paix a débuté. La table ronde et les divers orateurs se sont penchés sur la question de savoir quel est aujourd’hui le prix de la justice et de la paix.
La biodiversité se trouve ‘dans le rouge’ a souligné Markus Wüest, chef de la section Observation de l’environnement de l’Office fédéral de l’environnement. Dans le domaine du changement climatique, la Terre est sur le point de quitter sa zone de sécurité.
Bernd Nilles, directeur d’Action de Carême, a relevé le rôle joué par les grandes entreprises basées en Suisse dans la destruction de l’environnement. «Comme Justice et Paix, nous devons agir comme un groupe de réflexion pour les évêques», a-t-il noté.
Les droits de l’homme: une évidence
La Suisse est un pays riche. La combinaison des biens privés et publics, de la richesse privée et publique, fonctionne bien, a noté le professeur Georges Enderle, venu des Etats-Unis pour participer à cette célébration. Né à Saint-Gall, il enseigne l’éthique commerciale internationale à l’Université Notre Dame de l’Indiana.
Le «capital naturel», c’est-à-dire l’environnement, le capital économique, le capital humain, c’est-à-dire l’état de santé et le niveau d’éducation de la population, ainsi que le capital social portent cette prospérité. Dans d’autres pays, c’est loin d’être le cas.
La problématique des droits humains fait également partie du processus de mondialisation. A cet égard, le professeur a évoqué les «bad goods» (les mauvais biens). Dans de nombreux pays, le marché ne parvient pas à produire des «biens publics» et ne fonctionne que pour le secteur privé. Il est ainsi du devoir de l’État de protéger les droits humains si les entreprises n’assument pas leur responsabilité dans ce domaine.
Bien privé et bien public
Les entreprises qui produisent des biens privés dépendent et utilisent des biens publics. Elles doivent donc aussi contribuer à leur création. Souvent, cela ne se produit pas. La totalité des 30 droits énoncés dans la «Déclaration universelle des droits de l’homme» de 1948 de l’ONU et internationalement reconnus sont aujourd’hui en jeu.
Georges Enderle n’a pas manqué de faire référence à l’initiative populaire pour des multinationales responsables actuellement en discussion au Parlement suisse. «À mon avis, cette initiative est un pas en avant important. Je ne comprends pas pourquoi elle rencontre tant de résistance de la part des entreprises et de la politique.» Pour les entreprises qui ont du bon sens et un niveau normal d’estime d’elles-mêmes, «le respect des droits humains devrait être une évidence dans l’esprit des Principes directeurs des Nations Unies».
Les critiques exprimées par le professeur américain ont été reprises lors d’une table ronde. Plusieurs orateurs ont cité l’encyclique environnementale «Laudato sì» du pape François et ont souligné son importance pour le développement social.
Davantage travailler en réseau
La situation et l’avenir de Justice et Paix sont également revenus dans le débat. J+P doit jeter un regard attentif sur l’évolution de la société et de l’économie. Mais il est important «que nous fassions du réseautage «, a relevé Bernd Nilles. Le directeur d’Action de Carême suggère de rechercher davantage la coopération avec les paroisses et les communautés. Il faut également être ouvert aux autres forces sociales.
A l’issue de la table ronde, dans la seule intervention en français de la journée, Jean-Claude Huot, ancien secrétaire général de Justice et Paix, a mis un accent tout particulier sur la ‘sobriété heureuse’. Il a suggéré que l’Église et la Commission regardent vers l’avenir en sachant renoncer avec joie à certaines choses. Georges Enderle a repris la balle au bond: «Le renoncement peut avoir quelque chose de positif. Pour pouvoir investir demain, il faut savoir renoncer aujourd’hui.»
«Oser changer»
En sa qualité de président de la Conférence des évêques suisses (CSE), Mgr Felix Gmür a rendu hommage au travail de la Commission Justice et Paix. Pendant quelques années, il a été le successeur de Mgr Peter Henrici, comme responsable de la commission dans le cadre de la Conférence épiscopale. Aujourd’hui, Mgr Charles Morerod, évêque de Lausanne, Genève et Fribourg a hérité de cette responsabilité.
Au cours des 50 dernières années, les collaborateurs de Justice et Paix ont apporté une contribution importante à un mode de vie et à un monde plus humain et plus juste, en Suisse et à l’étranger, avec beaucoup de passion et de compétence professionnelle, a relevé Mg Gmür. Il a évoqué notamment les dossiers préparatoires pour la Conférence des évêques sur les innombrables processus de consultations dans le cadre de révision de lois et d’initiatives populaires.
Une saine remise en question
Cette «participation active du peuple de Dieu» est importante, durable et prometteuse pour l’avenir. La commission effectue également un travail de fonds au-delà de l’actualité. Il s’agit notamment de l’importante étude réalisée en 2000 sur le rôle joué par l’Eglise catholique en Suisse dans le régime de l’apartheid en Afrique du Sud.
«La vision autocritique de son propre passé, la révélation des faux pas et la réévaluation des contextes systémiques ont fait et font du bien à l’Eglise et à ses différents responsables dans les instances diocésaines, communautaires ou régionales», a reconnu Mgr Gmür.
L’évêque a également fait référence à l’étude sur la prévoyance vieillesse. «Ce que J+P avait déjà proposé avec clairvoyance en 2009, ressemble à une liste de points à l’ordre du jour des réunions actuelles des commissions du Conseil national et du Conseil des Etats.»
L’inquiétude face aux changements
Mgr Gmür a rappelé l’orientation des travaux de la Commission : «Sa mission est de contribuer, en coopération avec d’autres institutions ecclésiales et laïques, à la promotion de la Justice et de la Paix dans notre pays et dans le monde». Cet engagement va inévitablement de pair avec une certaine inquiétude liée au changement.
Le changement se produit «parce que Dieu est présent dans cette création». Cette perspective motive et donne le courage de ne pas se mettre la tête dans le sable. Il faut le courage d’oser changer personnellement, mais aussi de système. (cath.ch/kath.ch/gs/mp)