Journées de la CRAL: 'Quel homme? Quel Dieu? Témoigner aujourd’hui'
Les Journées thématiques de la Communauté romande de l’apostolat des laïcs (CRAL) ont rassemblé, à l’Hôtellerie franciscaine à Saint-Maurice (VS) les 26 et 27 janvier 2019, une quarantaine de membres des mouvements d’Eglise en Suisse romande sur le thème «Quel homme? Quel Dieu? Témoigner aujourd’hui». L’occasion, avec le chanoine José Mittaz, de s’interroger sur ce qui met en route et nourrit l’engagement chrétien au cœur du monde.
Ils étaient une quarantaine à vivre cette année les Journées thématiques de la CRAL dont Corinne Zaugg, présidente du comité suisse de l’apostolat des laïcs (CSAL), venue exprès du Tessin. En ouverture, l’abbé Christophe Godel, délégué de la CRAL auprès des évêques, a rappelé que «l’Eglise se construit à travers les charismes de chacun et le souffle de l’Esprit». Il a proposé une méditation centrée sur les mouvements d’Eglise en lien avec le document final du synode des évêques d’octobre dernier sur «Les jeunes, la foi et le discernement vocationnel». Ainsi, les mouvements permettent aux jeunes d’enrichir l’Eglise par leur créativité et d’évangéliser d’autres jeunes; ils leur offrent de s’insérer dans des communautés chaleureuses qui les aident à mûrir leur vocation; enfin, ils leur donnent d’expérimenter une vie fraternelle, une proposition d’apostolat et une offre de spiritualité enracinée dans la prière.
«Nous ne savons pas où Dieu nous mène, nous savons seulement qu’il nous mène»
Oser l’aventure
Puis le conférencier, José Mittaz, chanoine du Grand-Saint-Bernard et curé des paroisses valaisannes de Bagnes, Vollèges et Verbier, a proposé trois figures pour illustrer le thème de ces journées de ressourcement sur le thème «Quel homme? Quel Dieu? Témoigner aujourd’hui»: Jean Baptiste, le peintre Arcabas et Christelle, l’héroïne du court-métrage «Brisure» de Gaëlle May. Trois figures qui invitent à une aventure au désert, à aller «là où nous ne savons pas». C’est l’expérience de saint Jean de la Croix – «Nous ne savons pas où Dieu nous mène, nous savons seulement qu’il nous mène» – et d’Abraham – «Marche en ma présence». Pour cela, «aimons nos questions», écrit Rilke dans ses «Lettres à un jeune poète»: «Elles sont là pour ouvrir des chemins et non pas pour trouver des réponses. Elles nous font avancer».
La Bible elle-même en est pleine: «Qui es-tu?», demandent les prêtres et les lévites à Jean Baptiste; «Que cherchez-vous?», lance Jésus à ses disciples et, au matin de Pâques, à Marie Madeleine. Pas de réponses toutes faites, mais «Dieu est là pour éveiller notre désir et nous mettre debout». Ainsi, «pour savoir qui est l’homme, n’oublions pas Dieu et pour savoir qui est Dieu, n’oublions pas l’homme».
Le désert, lieu du désir
Jean Baptiste, par exemple, cet «homme d’une simple audace», cette «voix qui crie dans le désert pour que Dieu soit parole en l’homme». Relisant l’itinéraire du Précurseur, le chanoine Mittaz a souligné l’importance du désert, «un lieu où il n’y a rien ni personne, un appel à renoncer à l’efficacité, un espace de silence où nous sommes disponibles». Etty Hillesum aussi l’a expérimenté dans le camp de concentration de Westerbork: «Ici, tous les décors de théâtre sont en train de tomber. Il ne reste plus que la fine chemise de son humanité».
Le désert, un lieu décentré, éloigné de Jérusalem, où Jean Baptiste, malgré tout, rassemble une foule nombreuse. Paradoxal? «Il a cherché à rejoindre le désir de tout un peuple et pour cela il est allé au lieu du manque», invitant chacun à se déplacer, à entreprendre une démarche concrète et intérieure.
Le lieu du manque, c’est aussi Zacharie et Elisabeth sans descendance, Zacharie devenu muet, et tous les échecs de nos vies en dépit de notre bonne volonté. N’ayons pas peur du manque: il appelle le désir, «le lieu où Dieu nous parle». Sans lui, pas de place pour Dieu en nos existences. Comme les foules qui suivaient Jean Baptiste, c’est le manque qui nous déplace, nous invitant à l’intériorité pour rejoindre l’essentiel, «caché, qui a besoin de temps». Regardons le Précurseur: «L’essentiel de son témoignage s’est vécu à son insu» – alors qu’il était au désert, en prison. Ainsi, a relevé le conférencier, «le lieu du témoignage nous dépasse, conjuguant puissance de vie et stérilité. Pour témoigner, il nous faut habiter les capacités de nos vies – prendre notre place – et aller au pays de nos manques».
Le trou noir d’Arcabas
Deuxième figure, deuxième approche, symbolique, le peintre Arcabas, à partir d’une interview réalisée à son domicile par José Mittaz peu de temps avant sa mort à 92 ans le 23 août dernier: «Arcabas, la magie du dessin»; et de la réception de quelques-unes de ses toiles par des enfants d 8-9 ans à l’occasion d’une exposition réalisée à Bagnes en septembre 2017.
«Dieu a fait les couleurs, c’est une merveille, une symphonie»
«Dans la peinture d’Arcabas, tout est sacré, a relevé le chanoine. Il peint tout avec la même dignité, la même densité de présence.» Peindre est pour lui à la fois «quelque chose qui me remplit de joie» et un engagement de tous les instants face à l’arthrite qui grippe les doigts. Et ses toiles nous aident à «reconnaître une présence là où on ne s’y attend pas, une présence à décrypter à travers l’absence».
Lui aussi a expérimenté le désert après la mort de sa femme: «J’étais dans un trou noir dans l’attente du prochain tableau» – un triptyque lui permettra de refaire surface. La peinture en couleurs – «Dieu a fait les couleurs, c’est une merveille, une symphonie» -, «ce sont des traits qui composent une image qui veut vivre». «Et si cela nous inspirait dans nos engagements? Au fond, que cherchons-nous: à être parfaits ou à être vivifiants?», a commenté le conférencier.
Il faut voir
«Il faut voir, pas seulement regarder, continue l’artiste, et cela s’apprend: il faut donner de son temps, de sa personne. Il faut s’arrêter devant une toile pour devenir amateur.» «Regarder est de l’ordre de l’urgence, voir est une expérience qui laisse de l’espace à l’espérance, qui s’inscrit dans la durée», a précisé José Mittaz. Cette expérience, il l’a fait vivre aux participants devant les dessins réalisés par des enfants inspirés par des toiles d’Arcabas: une belle entrée dans l’approche symbolique, qui «laisse sa part à l’autre».
En conclusion, a affirmé le conférencier, «osons ouvrir aujourd’hui des chemins, tissons des liens entre le boueux et le céleste et regardons à la fois nos forces et nos fragilités. Car l’Evangile est paradoxe, et le paradoxe est le lieu du rendez-vous avec Dieu».
Vivre debout
Le dimanche matin, le chanoine Mittaz avait invité la jeune réalisatrice valaisanne Gaëlle May à présenter son court-métrage «Brisure». Des images en noir-blanc, puis en couleurs au fur et à mesure du relèvement de Christelle, l’héroïne, après un traumatisme subi dans son enfance. Des images fortes et symboliques qui entrent en résonance avec des tableaux d’Arcabas. Et si Dieu se disait à travers nos blessures et nos chemins de résurrection? «Brisure» offre un beau témoignage sur Dieu, l’homme et ses ressources.
«Le témoin est celui qui sait s’effacer»
Ce qui impressionne, c’est le passage de l’enfermement à la relation, du silence mortifère à la parole, libératrice, des verrous, des masques, «corps brisé, âme bafouée», à la décision de se tenir debout: «J’ai crié en silence, j’ai brûlé en silence. Je veux briser le silence, parler et me relever, vivre debout», car «ce n’est pas l’histoire de ma vie, c’est une histoire dans ma vie». Un moment fort des Journées thématiques qui a touché tous les participants.
En conclusion, José Mittaz a invité chacun à poursuivre l’aventure au quotidien. Avec deux phrases pour la route: «Le témoin est celui qui sait s’effacer», du chanoine Grégoire Rouiller, et «Le témoin se voit sans qu’on ait besoin de le montrer», du chanoine Noël Voeffray. L’eucharistie finale, dans la chapelle, a recueilli ce qui s’est vécu durant ces deux journées: chacun était invité à abandonner ses certitudes, à cesser de vouloir tout contrôler, à laisser faire en confiance. (cath.ch/gdsc)