Joe Biden est le 4e candidat catholique à la présidence des Etats-Unis | © Gage Skidmore/Flckr/CC BY-SA 2.0
International

Joe Biden, le plus «catholique» des candidats de l'histoire?

Joe Biden est le quatrième candidat catholique de l’histoire à la présidence des Etats-Unis. Pour ces politiciens, leur appartenance religieuse s’est exprimée de façon assez diverse. Entre volonté de revendication et nécessité de discrétion, la foi catholique a toujours été difficile à intégrer dans le champ politique américain.

«Je ne peux pas comprendre comment mon éducation catholique pourrait entrer en conflit avec la possibilité d’être un bon citoyen», affirmait Alfred Emmanuel Smith en 1927. Le gouverneur de New York fut le premier catholique à poser sa candidature à la présidence des Etats-Unis. La question qu’il se posait dans les années 1920 sur la compatibilité entre son catholicisme et sa dévotion à son pays peut sembler incongrue aujourd’hui. Mais elle ne l’était pas à son époque, remarque le journaliste Terry Golway dans le magazine jésuite America.

Al Smith, fervent catholique, avait réussi à mobiliser le vote de ses coreligionnaires, spécialement des femmes, qui venaient d’obtenir le droit de vote. Mais il dut aussi faire face à une forte fronde anti-catholique et antipapiste, également à l’intérieur de son propre parti. Pour de nombreux démocrates conservateurs, sa religiosité assumée était un repoussoir. Beaucoup de protestants s’imaginaient aussi que sa politique, s’il était élu, serait dictée par le pape.

Peur du pape

Al Smith échoua finalement en 1928 face au républicain Herbert Hoover. Bien qu’il soit impossible de dire si son orientation religieuse a été la cause de sa défaite, les candidats catholiques qui lui succéderont dans l’histoire, adopteront une approche différente.

Ce sera le cas de John Kennedy, qui, selon Patrick J. Deenen, professeur de sciences politiques à l’Université de Notre-Dame (Indiana), «a réalisé ce qui semblait impossible à beaucoup de catholiques américains: être accepté par une nation majoritairement protestante qui, dès le tout début de l’aventure américaine, s’était méfiée de ces catholiques loyaux envers Rome et croient en des principes religieux en contradiction avec le credo américain».

De nos jours, Kennedy est mieux connu pour avoir ouvert la voie à l’acceptabilité du fait religieux, à laquelle se sont ralliés aujourd’hui de nombreux hommes politiques catholiques et démocrates, souligne Patrick J. Deenen. Ils soutiennent que le catholicisme est un ensemble de croyances privées qui ne devraient pas faire partie du débat politique. Pour autant, le candidat d’origine irlandaise avait invoqué, dans un autre discours, un argument aujourd’hui également adopté par de nombreux politiciens catholiques républicains. Ces derniers soulignent la totale compatibilité des principes catholiques avec les principes fondateurs de l’Amérique.

John Kennedy, seul candidat catholique a avoir été élu à la maison blanche | © Cecil Stoughton, White House/Wikipedia

Un catholicisme divisé

Le catholicisme américain actuel est, selon le politologue, divisé entre la gauche et la droite d’aujourd’hui, qui ont chacune adopté un aspect des positions de Kennedy. «La gauche cherche à isoler le catholicisme dans la sphère de la croyance privée. Tandis que souvent ses partisans se réclament de la foi catholique, ils refusent que cela puisse être pris en compte en tant que base pour gouverner. La droite cherche à rendre compatibles le catholicisme et le credo américain, sur la base d’une compréhension similaire de la dignité humaine et d’un gouvernement limité».

L’approche de John Kennedy était-elle ou non la bonne? Il reste en tout cas à ce jour le seul catholique à avoir occupé la Maison Blanche, suite à sa victoire contre Richard Nixon, en 1961.

John Kerry, le fervent réservé

Le troisième candidat catholique de l’histoire, John Kerry, qui s’est présenté en 2004, avait un positionnement assez similaire à celui du président assassiné en 1963.

John Kerry se présentait comme un catholique pratiquant, assistant régulièrement à la messe. Il a été enfant de choeur et envisageait sérieusement d’entrer dans la prêtrise. Alors qu’il servait au Vietnam, sa foi s’était renforcée face à la perception de sa propre mortalité. Il a révélé qu’il portait sur lui un chapelet chaque fois qu’il allait se battre et que cela l’avait aidé à tenir le coup.

Après la guerre, John Kerry a épousé une autre catholique fervente, Teresa Heinz. Dans la course à la Maison Blanche, il portait toujours sur lui une médaille de Saint Christophe, un chapelet et une liste de lectures de l’Écriture Sainte.

Une foi privée

Comme tant d’habitants de la Nouvelle-Angleterre, John Kerry a gardé sa foi essentiellement privée, note John Kenneth White, professeur de politique à l’Université catholique d’Amérique (Washington DC), sur le média américain National Catholic Reporter.

Cette tradition de discrétion est très ancienne et les candidats qui vantent ouvertement leur religiosité sont souvent accueillis froidement, relève le professeur catholique. En 1976, le Baptiste Jimmy Carter, a connu un sort peu enviable en perdant les Etats du Connecticut, du New Hampshire, du Vermont et du Maine au profit de l’épiscopalien Gerald Ford, beaucoup plus réservé sur sa religion.

L’épine de l’avortement

Seuls 7% des électeurs décrivaient ainsi John Kerry, en 2004, comme un «homme de forte conviction religieuse». Cela contrastait fortement avec son adversaire George W. Bush, qui avait l’habitude de mettre en avant les racines religieuses de ses valeurs. Il relatait d’ailleurs aisément son histoire personnelle marquée par sa «conversion» consécutive à sa rencontre avec le télévangéliste Billy Graham.

Les opinions «pro-choix» du candidat Kerry, ici en 2017 à Kiev, ont déclenché un tollé| © Flickr/U.S. Embassy Kyiv Ukraine/CC BY-ND 2.0

Une autre raison de la réticence de John Kerry face à la religion fut la question explosive de l’avortement. Ses opinions «pro-choix» ont déclenché un tollé de la part des évêques américains. En 2004, ils ont adopté une résolution affirmant que les politiciens soutenant le droit à l’avortement «coopèrent au mal».

Des déclarations qui ont certainement eu un impact si on considère que John Kerry a perdu le vote catholique au profit du méthodiste George W. Bush, à 47% contre 52%.

Trump, favori des religieux

L’ouverture de Joe Biden est très différente de celle du dernier catholique romain ayant concouru à la présidence, note John Kenneth White. Comme John Kerry, l’actuel candidat démocrate est un fervent pratiquant. Mais les deux hommes ont choisi des voies très différentes quant à la manière dont leurs campagnes véhiculent leur foi et ce qu’elle dit d’eux.

La foi de Joe Biden est en effet une partie essentielle de son récit de campagne. Son congrès a rassemblé d’éminents leaders religieux, dont le Père jésuite James Martin. Juste avant le discours d’investiture de Joe Biden, le conclave démocrate a offert une messe catholique célébrée via Zoom.

Difficile de dire si cette approche plus ouverte que celle de ses prédécesseurs sera gagnante pour Joe Biden. Le fait est que le facteur religieux est fluctuant dans le vote américain. En 2016, constat a été fait que les électeurs de toute confession allant régulièrement à l’église avaient tendance à privilégier Donald Trump. Ce dernier est cependant surtout populaire chez les catholiques blancs. Un sondage d’août 2020 a révélé que 65% des catholiques hispaniques soutenaient en revanche Joe Biden.

Faire d’une faiblesse une force

En se radicalisant, le républicain semble vouloir se resserrer sur son électorat de base. Une stratégie pas forcément gagnante, selon John Kenneth White, qui considère qu’une bonne politique ne consiste pas à éviter les secteurs où l’on est faible. «Au contraire, la première règle de la politique est de prendre une faiblesse et de la transformer en une force», suggère-t-il.

La volonté de Joe Biden de faire de sa foi un élément central de son histoire personnelle diffère ainsi de celle des récents candidats démocrates qui ont souvent minimisé leurs racines religieuses. Mais cette revendication pourrait-elle être un atout politique?

«Si le catholicisme de Joe Biden fait partie intégrante de sa personnalité, l’intégrer dans son récit de campagne est certainement une politique intelligente», estime en tout cas John Kenneth White. Le positionnement ouvertement religieux du démocrate pourrait ainsi, selon lui, suffire à grappiller des voix dans les bastion trumpistes. (cath.ch/ag/rz)

Joe Biden est le 4e candidat catholique à la présidence des Etats-Unis | © Gage Skidmore/Flckr/CC BY-SA 2.0
1 octobre 2020 | 17:06
par Raphaël Zbinden
Temps de lecture : env. 5  min.
Partagez!