Jerry Pillay, diplomate chrétien pour la paix mondiale
Le pasteur sud-africain Jerry Pillay est depuis près de deux ans le secrétaire général du Conseil œcuménique des Églises, une «ONU» des chrétiens basée à Genève, qui œuvre pour la paix de Kiev à Gaza.
Lucas Vuilleumier, Protestinfo
Ce qui le fait se lever chaque matin, c’est l’envie de «guérir un monde brisé». Avec «Jésus comme centre absolu» de son existence, Jerry Pillay assure depuis janvier 2023 le rôle de secrétaire général du Conseil œcuménique des Églises (COE). Créée en 1948 et basée à Genève, cette communauté d’Églises en rassemble 352. Son but? «Travailler à l’unité des chrétiens, mais avant tout, pour la paix», renseigne le pasteur de 59 ans. Jerry Pillay embrasse ces missions avec d’autant plus de ferveur qu’il est lui-même le produit d’un passé marqué par la blessure de l’exclusion et de l’injustice.
De l’hindouisme à l’Église presbytérienne
D’origine indienne, élevé dans une Afrique du Sud sous apartheid, il est issu d’une fratrie de six enfants, dont les deux premiers n’accèderont pas aux études supérieures à cause de la gravité de la situation politique. Jerry Pillay admet toutefois que sa famille a pu connaître de maigres privilèges: «Même si nous étions considérés comme des Noirs, les Indiens d’Afrique du Sud avaient le pouvoir de créer leur propre croissance communautaire, en levant notamment des fonds pour construire des écoles et des hôpitaux.»
Fils d’un directeur d’entreprise de textile et d’une mère au foyer, tous deux hindous pratiquants, Jerry Pillay considère toutefois avoir été élevé «proche de la culture chrétienne». Dans le district de Johannesburg où il a grandi, il fréquente l’école du dimanche dans une église locale. «Mes parents, témoins de mon intérêt précoce et grandissant pour le Christ, m’y ont encouragé», assure ce fils d’une famille très ouverte. A tel point que son père, atteint gravement par une maladie qui lui ronge l’estomac, déclare un soir de Noël: «Si Jésus existe et qu’il me permet de manger ce plat, alors je deviendrai chrétien.»
«Mes parents, témoins de mon intérêt précoce et grandissant pour le Christ, m’ont encouragé.»
Surprise: l’homme qui ne mangeait plus depuis des mois finit son assiette. Il intègre alors avec son épouse l’Église presbytérienne, dont il deviendra un «ancien», tandis que cette dernière prendra la tête de son association féminine. De son côté, Jerry Pillay, alors seulement âgé de dix ans, se met à prêcher l’Évangile dans les rues. «Avec un micro pour enfant, posté sur un petit escabeau.»
La vocation pastorale au cœur
En 1986, il décroche une maîtrise de théologie à l’Université de Durban-Westville, où on le prie de rester. Mais Jerry Pillay a la vocation pastorale au cœur. S’en suivent ainsi plus de vingt ans de ministère, où il marque de sa patte de leader naturel les Églises où il passe. En 1999, au sortir de l’apartheid, il devient le secrétaire général de l’Église presbytérienne unifiante d’Afrique australe, résultant de l’unification douloureuse entre l’Église presbytérienne «majoritairement blanche» et l’Église presbytérienne réformée, «entièrement noire». La gestion de cette crise lui coûte «quinze années de travail et dialogue», se souvient-il. «Et puis, enfin, la grâce de Dieu.»
La pratique du dialogue
Le dialogue, Jerry Pillay le pratique toujours autant. En Ukraine, notamment, même si «la situation semble dans l’impasse». Au COE, on met toutefois un point d’honneur à «garantir que toutes les parties de chaque conflit restent à la table des négociations». En témoigne notamment la position adoptée lors de sa dernière Assemblée, qui s’est tenue en 2022 à Karlsruhe, de «ne pas suspendre l’Église orthodoxe russe». Et qu’a-t-il à dire sur la présence au Comité central du COE de Mikhail Goundiaev, neveu du patriarche Kirill, alors que ce dernier est suspecté d’avoir œuvré en tant qu’espion du KGB quand il y siégeait dans les années 1970? Jerry Pillay se veut rassurant: «Mikhail Goundiaev n’est pas un espion, même s’il continue de défendre les intérêts d’une Église embrigadée dans cette guerre.»
«L’État d’Israël moderne n’est pas l’Israël de la Bible»
Toutes les actions du COE ne se mènent toutefois pas en pleine lumière. «Il peut arriver que nous agissions secrètement, lorsque certaines personnes très exposées sont impliquées dans des situations sensibles. Cela a d’ailleurs pu faire croire à certains chrétiens que nous n’étions pas assez actifs, en Ukraine comme en Palestine», se défend Jerry Pillay. Et de signaler le «Programme œcuménique d’accompagnement en Palestine et Israël, qui favorise l’envoi de bénévoles dans le but d’exprimer de la solidarité avec les victimes de la violation du droit humanitaire». Il évoque également sa récente rencontre avec le président d’Israël Isaac Herzog, «un dirigeant qui désire la paix, mais n’a aucun contrôle sur son Premier ministre».
Pour Jerry Pillay la situation au Proche-Orient est «intolérable». Il rappelle que «le COE a hésité à comparer ce conflit à l’apartheid sud-africain» en 2022, avant d’y renoncer – un pas qu’il avait personnellement franchi en 2016. Et de regretter la prudence de certains chrétiens, peu prompts à condamner l’action israélienne. En cause, «leurs liens historiques et théologiques profonds avec le judaïsme», explicite-t-il. «Mais attention: l’État d’Israël moderne n’est pas l’Israël de la Bible.»
Le christianisme de demain
Attaché à rendre compte du travail pour la paix qu’effectue le COE, Jerry Pillay tient encore à évoquer d’autres actions menées actuellement sur le terrain, «du Myanmar à la Colombie», en passant par le Soudan, où la guerre civile fait rage depuis avril 2023 et où la famine guette désormais plus de 20 millions de personnes: «Nous y travaillons main dans la main avec le gouvernement.»
En constant lien avec le pape François, bien que l’Église catholique soit uniquement «observatrice au COE», Jerry Pillay insiste enfin sur «le pouvoir de l’œcuménisme» aujourd’hui. «Nous devons faire front afin de lutter pour nos valeurs face à la sécularisation croissante. Cette dernière est le principal facteur de la réduction des moyens des Églises mondiales, dont les rangs se vident principalement en Europe, les rendant moins aptes à collaborer financièrement aux actions du COE». Ce qui n’empêche pas Jerry Pillay de formuler un espoir fort et clair pour sa religion: «Le christianisme de demain viendra de l’Amérique latine et surtout du Sud global, où les Églises sont toujours en pleine expansion». (cath.ch/protestinfo/lv/lb)
Jerry Pillay en dates
1965 Naissance à Merebank, en Afrique du Sud
1987 Devient pasteur dans la McDonald Memorial Presbyterian Church
2002 Décroche un doctorat en Nouveau Testament et missiologie à l’Université du Cap
2018 Nommé doyen de la Faculté de théologie et de religion de l’Université de Pretoria.
2023 Est secrétaire général du Conseil œcuménique des Églises (COE)