Jeanne Magnin: une conversion à la lumière des églises
Jeanne Magnin a photographié toutes les églises de la région d’Orsières (VS) et au-delà. Une vocation que cette femme indépendante et énergique a eue à 60 ans. Une conversion artistique qui a précédé une conversion religieuse.
La lumière jaillit des albums de Jeanne Magnin. Les éclats chatoyants que projettent les vitraux sur les murs, les nuances de gris de la pierre des églises. On y trouve aussi l’ambre du soleil couchant sur le lac Léman, le bleu pâle des ciels de fin de journée. Jeanne empoigne ses «recueils», comme elle les appelle. La table se couvre de reliures. «J’ai bossé 25 ans! Je ne me suis pas tourné les pouces!», lance-t-elle avec un demi-sourire.
Toutes les églises et les chapelles de la région d’Orsières (VS), et même au-delà, sont passées dans son objectif. «Je sonnais aux cures pour demander l’autorisation de photographier. Les gens étaient très intrigués mais j’ai toujours été bien accueillie».
Le rendu des couleurs
La voix est sévèrement érayée. Les séquelles de 13 opérations des cordes vocales pour éradiquer des polypes qui menaçaient sa respiration. Elle montre une série de ciels nocturnes. Puis son travail sur les fresques du plafond de la chapelle de l’hospice du Grand Saint-Bernard. Elle fut la première à les photographier. Jeanne raconte les coulisses de la prise de vues, la difficulté de cadrer les voûtes de l’édifice, son obsession pour le rendu des couleurs et l’étonnement des chanoines.
Elle a eu l’idée de tirer des cartes àpartir de ses photos. Ce fut un succès. L’hospice en écoulera en moyenne 500 par an pendant 10 ans. La photographe a une quinzaine d’expositions à son actif. Bien au-delà du succès d’estime, on lui a souvent acheté des photos ou commandé des agrandissements.
Elle file chercher d’autres opus, raconte des anecdotes, le matériel qu’elle installait dans les églises, «on n’avait pas le numérique à l’époque». Jeanne ne se pose que quelques secondes. Elle pousse devant elle le projet du prochain recueil, De la terre au ciel. Des réflexions émaillées de photos de nature où elle se raconte.
On imagine que l’énergique octogénaire achève une carrière de photographe. Il n’en est rien. Elle a 60 ans quand ses enfants lui offrent son premier appareil photo. Jeanne commence ainsi une deuxième vie en 1994. Cette Lausannoise d’origine vient d’emménager à Orsières. Une déprime s’ajoute à une période difficile de sa vie. Un ami lui conseille d’éprouver sa fibre artistique. Elle opte pour la photo. «J’ai pris un cours sur les proportions et le cadrage». Puis elle se lance et se forme en autodidacte. «Ce travail a été une thérapie pour moi».
Les fresques et l’architecture
«Le côté mystérieux des églises catholiques m’a toujours attirée. Les couleurs, la pénombre, le contraste lumineux que l’on y trouve aussi». Les fresques et l’architecture des édifices religieux l’ont intéressée en premier lieu. Avec le temps, Jeanne remarque les vitraux et se met à travailler sur leur lumière. «Je n’avais pas vu jusque-là qu’il y avait autant de si beaux vitraux dans nos églises».
Avec la photo, Jeanne a trouvé le moyen de s’approprier les édifices religieux et une manière d’exprimer sa foi. Les églises et les temples ont toujours fait partie de sa vie. Vers l’âge de 5 ou 6 ans, sa grand-tante l’emmenait le samedi, voir la sortie des mariés à Pully (VD). «Voir les robes des mariées, c’était pour moi comme les contes de fée». Elle évoque la fascination qu’elle a éprouvée, enfant, pour l’immense fresque de l’église Santa Maria degli Angioli, à Lugano (TI). Un souvenir de vacances gravé dans sa mémoire.
Elle passera le seuil des temples et des églises à la quarantaine, son diplôme d’organiste en poche. L’héritage d’un père à l’oreille absolue, doué pour le piano et d’une maman professeur de musique à Genève. Elle a joué 25 ans pour les paroisses protestantes de Grandvaux et Vilette et 5 ans à Chexbre, et a parfois dépanné le curé de l’église du Sacré-Cœur de Lausanne.
Jeanne a passé beaucoup de temps à répéter les morceaux, préférant de loin la tranquillité et la pénombre des tribunes aux discussions des tea-room. «Je n’aime pas trop le monde. Jouer à la tribune à l’abri des regards m’a toujours convenu».
Une deuxième conversion
Jeanne est née protestante. Son installation dans le Valais a été le prélude à sa conversion au catholicisme. Une rencontre avec le chanoine Benoît Vouillot est déterminante. «Je me trouvais dans cette période difficile. Je me suis confiée. Je pensais que j’allais être jugée et remise à l’ordre. En fait, j’ai été très bien accueillie et écoutée». C’est le déclic. Tout se met en place.
Elle quitte le protestantisme en 1995. Une période de catéchuménat précède sa conversion, en septembre 1996. Une démarche sans doute motivée par reconnaissance «et aussi pour passer à autre chose dans ma vie».
Eprouver le terrain
Même raliée à la foi romaine, elle concède avoir du mal avec le Vatican, «mais j’aime bien ce pape François. Il a le pied léger, il bouge, il va sur le terrain et affronte les réalités». Jeanne dit préférer les prêtres ou les religieux qui ont eu la vocation sur le tard. «C’est bien d’avoir vécu dans le monde, d’avoir éprouvé le terrain avant la vie religieuse». Celle qui a été sacristine pendant 18 ans à l’église d’Orsières cite volontiers saint Augustin et Nicolas Buttet. Un profil qui lui correspond somme toute assez bien. Elle s’est frottée à la détresse humaine.
Elle fait allusion aux cinq ans passés rue Saint-Laurent à Lausanne, «sur le terrain, dans le vif», où elle a côtoyé et aidé de jeunes SDF plongés dans l’alcool, la drogue et la prostitution. «On ne vient pas vers eux en leur parlant de Dieu. Il faut les écouter». Elle évoque aussi ses visites aux jeunes détenus du Centre éducatif fermé de Pramont et à la prison de Crettelongue, pendant 18 ans. «C’est encore une autre misère que celle de la rue».
«Je reste très enthousiaste», assure Jeanne qui regarde néanmoins le monde avec un brin de nostalgie. A 80 ans, elle est passée à la photo numérique, la seule concession qu’elle ait faite à la modernité. N’ayant ni internet ni smartphone, la Valaisanne d’adoption est pourtant une femme pressée. Lorsqu’elle évoque ce besoin de travailler, une ombre passe dans son regard. Le temps file et avec «vient l’angoisse du moment où je n’aurai plus la force de faire ce travail qui m’a rendue heureuse et qui m’a permis d’avancer dans la vie». (cath.ch/bh)