Jean Paul II, un géant du XXe siècle
Rome, 3 avril 2005 (Apic) N’ayez pas peur! Cette phrase, qui lui fut chère durant son pontificat, Jean Paul II aurait aimé la transmettre aux fidèles du monde entier, au moment de son dernier souffle. Jean Paul II s’est éteint samedi soir 2 avril 2005 à 21h37, mort dans la semaine qui a suivi Pâques, tout un symbole.
Le pape, qui aurait sans doute aimé lutter encore pour être présent au milieu des jeunes du monde entier aux JMJ de Cologne, aura finalement consacré son dernier voyage à Lourdes, à la Vierge, à qui son pontificat durant, là encore, il a voué toute sa dévotion. Un autre symbole.
Jean Paul II, un géant du XXe siècle, vaincu par la maladie, est décédé à l’âge de 84 ans, après 26 ans, 5 mois et 17 jours – soit 9665 jours – de pontificat. Il est le 264e pape de l’histoire de l’Eglise après saint Pierre, et le 3e pour sa longueur.
Premier pape non italien depuis 1523, et premier pape polonais de l’histoire, Jean Paul II attire l’attention dès son élection, le 16 octobre 1978. Son allure est jeune – il a 58 ans – et dès le 22 octobre 1978, il établit d’emblée le contact avec la foule en lui lançant son célèbre «N’ayez pas peur !», depuis la loggia centrale de la basilique Saint- Pierre.
Sportif – il continuera de nombreuses années à pratiquer le ski et la natation après son élection -, polyglotte, homme de théâtre, philosophe et poète à ses heures, Jean Paul II restera celui qui a transformé la manière de «faire le pape».
Multipliant, grâce à ses voyages, les rencontres pastorales avec les fidèles du monde entier, il accorde aux jeunes une place privilégiée. Malgré des discours moraux exigeants, il les rassemble autour de lui par centaines de milliers, particulièrement au cours des Journées Mondiales de la Jeunesse (JMJ) qu’il institue en 1985. Très conscient du rôle des médias et spontanément à l’aise avec la presse, il se montre très réactif aux questions des journalistes, il va jusqu’à accepter de dialoguer avec l’un d’entre eux, l’Italien Vittorio Messori, dans un ouvrage publié en 1994 sous le titre «Entrez dans l’Espérance».
Le pape des droits de l’Homme
Dès janvier 1979, trois mois après son arrivée à Rome, il quitte l’Italie pour se rendre au Mexique, où il participe à la troisième Conférence générale de l’épiscopat latino-américain. Sa visite déplace des millions de personnes qui découvrent la détermination de Jean Paul II à aborder les problèmes de face.
«Le pape veut être votre voix», affirme-t-il aux Indiens exploités, tandis qu’il lance aux «responsables des peuples», détenteurs de «terres improductives qui cachent le pain qui manque à tant de familles», que «ce n’est pas juste, ce n’est pas humain, ce n’est pas chrétien». En même temps, Jean Paul II condamne les courants marxistes de la théologie de la libération, et demande aux prêtres et aux religieux de ne pas adopter de «positions socio-politiques».
Le discours de Puebla donne le ton du pontificat. A travers ses 104 voyages et ses 14 encycliques, Jean Paul II s’affirme comme le pape des droits de l’Homme, sans séparer la défense de la personne de sa référence à Dieu. Cette insistance a parfois des conséquences politiques fortes. En juin 1980, un an après son premier voyage en Pologne, commence la grève des ouvriers dans les chantiers navals de Gdansk contre le gouvernement communiste polonais. En janvier 1981, Jean Paul II reçoit leur chef Lech Walesa au Vatican, consolidant ainsi la légitimité de Solidarnosc, le syndicat dissident nouvellement créé. Plébiscité par les foules à chacun de ses voyages dans son pays natal, il les encourage à affirmer avec audace, mais sans révolte, leur droit à la liberté.
Entraîné par son expérience polonaise, Jean Paul II ne craindra pas, ensuite, d’affronter des situations intérieures tendues au cours de ses voyages. Ainsi, au Soudan en 1993, il s’adresse au régime islamiste de Khartoum – dans un climat de propagande anti-chrétienne – pour réclamer le respect des droits de l’homme et la liberté religieuse pour les chrétiens, dénonçant la discrimination ethnique. En avril 1997, il se rend à Sarajevo où il invite musulmans, serbes orthodoxes et croates catholiques à faire de la «ville symbole des souffrances de ce siècle», celle «de la réconciliation en Europe».
La même année à Beyrouth, il plaide pour la reconnaissance de la souveraineté du Liban, signalant, parmi les difficultés du pays, celle qui naît de la présence des forces armées syriennes sur le territoire. Enfin, à Cuba en janvier 1998, Jean Paul II réclame aux autorités communistes un espace dans la vie publique pour l’Eglise catholique, afin qu’elle puisse agir librement dans le domaine caritatif et dans l’éducation.
En mars 2000, Jean Paul II parvient à effectuer un «pèlerinage jubilaire» en Terre Sainte, dans un contexte politique et religieux tendu, alors que les négociations entre Israéliens et Palestiniens sont en cours et que le statut de Jérusalem reste l’objet de controverses. Sans entrer dans des considérations politiques, le pape en appelle à la paix dans la «ville sainte» et dans la région du Proche-Orient.
Tout en défendant le droit des Palestiniens à une «patrie», il gagne l’estime d’un grand nombre de juifs en se rendant au mémorial de la Shoah à Jérusalem, puis au pied du Mur des Lamentations, où il dépose personnellement un texte dans lequel il affirme vouloir s’engager «à vivre une fraternité authentique avec le peuple de l’Alliance». Les fortes espérances de paix placées dans ce voyage seront pourtant largement ternies par le début de la deuxième Intifada, lancée en septembre 2000.
Le grand voyageur
Les plus longs voyages de Jean Paul II dureront treize jours, comme celui qu’il accomplit en novembre 1986 en Extrême-Orient, au cours duquel il se rend successivement au Bangladesh, à Singapour, aux îles Fidji, en Nouvelle-Zélande, en Australie et aux îles Seychelles. En moyenne, il effectue environ six voyages par an, ne ralentissant son rythme qu’en 1981, à cause de l’attentat dont il est victime le 13 mai, en 1994, à la suite de son opération du col du fémur au mois d’avril, en l’an 2000, à cause du programme chargé des événements jubilaires célébrés à Rome puis les années suivantes, en raison de sa santé déclinante.
Au total, le pape aura accompli néanmoins une soixantaine de voyages en Europe, une vingtaine en Amérique, une douzaine en Afrique, et une dizaine en Asie et en Océanie. Certaines destinations seront toutefois restées pour lui à l’état de souhait: la Russie, à cause du refus des orthodoxes, la Chine et le Vietnam, pour des raisons politiques, mais aussi l’Irak, où il aurait voulu se rendre dès décembre 1999 «sur les traces d’Abraham», dans le cadre de son «pèlerinage jubilaire». Il a effectué son dernier voyage en se rendant en pèlerinage au sanctuaire marial de Lourdes en France, le 15 août 2004.
La justice et le développement
Jean Paul II poursuit par ailleurs la réflexion de ses prédécesseurs en matière de justice sociale et de développement, en y imprimant sa marque personnelle de pape venu d’Europe de l’Est. Saluant avec joie la chute du Mur de Berlin en novembre 1989, il se rend en Tchécoslovaquie quatre mois plus tard, et annonce à Prague la convocation d’un synode des évêques d’Europe, pour évaluer «la portée de cette heure historique». Il voudrait voir les pays de l’Est saisir les chances de cette ouverture, tout en évitant le matérialisme de la société occidentale.
En 1991, dans son encyclique Centesimus annus, il invite les anciens pays communistes à ne pas se laisser séduire par la perspective d’un capitalisme sauvage qui ne tiendrait pas compte de la dimension spirituelle de l’homme.
Plus tard, en juin 2001 à Lviv, il demande aux jeunes Ukrainiens de ne pas passer «de l’esclavage du régime communiste à celui de la société de consommation qui, s’il ne rejette pas Dieu en parole, le nie dans les faits en l’excluant de la vie». A l’occasion de l’élargissement de l’Union européenne vers l’Est, il insistera à de très nombreuses reprises sur l’héritage chrétien de l’Europe.
Recevant les évêques français de l’Est de la France en visite Ad limina le 27 février 2004, il leur affirmera ainsi que «les relations entre les divers pays ne peuvent reposer uniquement sur des intérêts économiques ou politiques – les débats autour de la mondialisation nous le montrent clairement -, ou encore sur des alliances de convenance, qui rendraient fragile l’élargissement en cours de réalisation et qui pourraient conduire à un retour des idéologies du passé, qui ont bafoué l’homme et l’humanité».
Dans le même esprit, Jean Paul II s’attache, tout au long de son pontificat, à la question du développement de l’Afrique. Lorsqu’il dénonce en 1987, dans son encyclique Sollicitudo rei socialis, l’emprise des Etats capitalistes sur les pays pauvres, c’est d’abord aux pays africains qu’il pense. L’Afrique représente pour lui une terre symbole de l’inculturation de l’Evangile, menacée par la poussée de l’Islam, les luttes ethniques et un libéralisme économique sauvage.
C’est aussi le continent des critiques les plus passionnées de la part de l’opinion internationale face aux conseils que le pape adresse aux Africains à propos du sida, du mariage et de la contraception. «Sans les liens du mariage, les rapports sexuels sont un mensonge», lance-t-il aux jeunes lors d’un voyage en Ouganda en 1993. «Le lien sexuel de la chasteté est l’unique manière sûre et vertueuse pour mettre fin à cette plaie tragique qu’est le sida !», s’exclame-t-il encore.
La même année, il réaffirme ces principes dans son encyclique Veritatis splendor, en s’opposant à une liberté qui, prétendant être absolue, «finit par traiter le corps humain comme une donnée brute, dépourvu de signification et de valeurs morales». En 1995, Jean Paul II publie une autre encyclique, Evangelium vitae, centrée sur la valeur de la vie et celle de la famille, dont il se fait le chantre dans les grandes conférences internationales. Il ne perd pas une occasion de réaffirmer l’enseignement de l’Eglise à ce sujet, en dépit des oppositions auxquelles il se heurte, à commencer par celles d’une partie des catholiques eux- mêmes.
Jean Paul II face aux tensions dans l’Eglise catholique
Jean Paul II doit aussi faire face à un autre genre de critiques au sein même de l’Eglise catholique. Elles lui viennent notamment de l’évêque français traditionaliste Mgr Marcel Lefebvre, qui refuse d’accepter les conclusions du Concile Vatican II. Le 30 juin 1988, Mgr Lefebvre ordonne quatre évêques sans mandat du pape et se place de ce fait sous le coup de l’excommunication, entraînant derrière lui une partie des nostalgiques de la liturgie préconciliaire.
En janvier 2002, le retour dans le giron catholique d’une fraternité intégriste brésilienne issue du schisme de Mgr Lefebvre, laissait entrevoir un espoir – vite éteint – de rapprochement de la Fraternité Saint-Pie X fondée par Mgr Lefebvre avec le Saint-Siège. D’un autre côté, Jean Paul II veut répondre aux thèses des théologiens progressistes, comme celles du théologien Hans Küng, qui envisage la possibilité pour les baptisés de célébrer l’eucharistie.
En 1992, la publication du Catéchisme de l’Eglise catholique permet à Jean Paul II de clarifier les points principaux du contenu de la foi tout en réaffirmant l’autorité de son magistère. Trois ans plus tard, il confirme cette autorité en relevant de ses fonctions l’évêque français d’Evreux, Mgr Jacques Gaillot, pour ses prises de positions considérées comme contredisant l’enseignement de l’Eglise.
Le cardinal allemand Joseph Ratzinger, nommé préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi en 1981, reçoit la charge de diffuser la foi catholique et de conserver l’intégrité de son contenu. C’est lui, à la demande du pape, qui publie en septembre 2000 la déclaration Dominus Iesus, réaffirmant que le Christ est l’unique salut de l’humanité. Un document qui voulait être un rappel de la foi catholique, mais qui suscita un débat virulent aussi bien à l’intérieur de l’Eglise catholique que dans les autres Eglises et communautés ecclésiales chrétiennes.
La recherche de l’unité
Jean Paul II se dit par ailleurs convaincu que l’évêque de Rome doit être «le signe visible et le garant de l’unité» de l’Eglise. Il multiplie les démarches pour inciter les chrétiens à oeuvrer en faveur de leur unité. En 1995, le pape fait ainsi une proposition audacieuse dans son encyclique Ut unum sint, invitant les autres communautés chrétiennes à coopérer pour trouver «une forme d’exercice de la primauté» qui, «sans renoncement aucun à l’essentiel de sa mission», soit cependant «ouverte à une situation nouvelle».
Cette forme d’exercice devrait être acceptable par tous les chrétiens. Cinq ans après, lors d’une rencontre oecuménique au Caire, en février 2000, il renouvelle cet appel avec encore plus d’insistance et, en mai 2003, une vingtaine de théologiens chrétiens se sont retrouvés au Vatican pour débattre de ce sujet. Cette rencontre internationale s’est déroulée au siège du Conseil pontifical pour l’unité des chrétiens.
En mai 1999, Jean Paul II vivra son voyage en Roumanie – sa première visite dans un pays majoritairement orthodoxe -, comme une porte ouverte à la réconciliation entre «les deux poumons de l’Eglise». L’issue positive de ce voyage permettra par la suite à Jean Paul II de se rendre dans d’autres pays à majorité orthodoxe, tels que la Géorgie, la Grèce, l’Ukraine, l’Arménie et la Bulgarie. Mais les portes de la Russie du patriarche Alexis II lui demeureront fermées.
Fin novembre 2004, il poursuit néanmoins ce que l’on nomme parfois «l’oecuménisme par la culture» en remettant à Rome au patriarche de Constantinople, Bartholomée Ier, les reliques des saints Jean Chrysostome (349-407) et Grégoire de Nazianze (330-390).
Le dialogue interreligieux
Sur un autre plan, Jean Paul II se préoccupe du dialogue interreligieux comme une condition essentielle de la paix dans le monde. C’est dans les années 80 qu’il applique sa volonté d’entamer une ouverture avec les autres religions et plus particulièrement avec le judaïsme et l’islam, utilisés dans de nombreux conflits en cours notamment au Proche- Orient et en Afrique.
En 1985, il manifeste tout d’abord son amitié et son respect à l’égard des musulmans en se rendant au Maroc. «Chrétiens et musulmans, nous nous sommes généralement mal compris, et quelques fois, dans le passé, nous nous sommes opposés», affirme-t-il à 50’000 jeunes musulmans réunis dans le stade de Casablanca. «Je crois que Dieu nous invite à changer nos vieilles habitudes. Nous devons nous respecter, et même nous stimuler les uns les autres dans les oeuvres de bien sur le chemin de Dieu». Le ton est donné. Il poursuit son idée quelques mois plus tard, en avril 1986, en se rendant pour la première fois dans la synagogue de Rome. Le dialogue entre l’Eglise catholique et les juifs est à son tour ouvert.
Mais dominé par l’horreur de la guerre et des régimes totalitaires qu’il a lui-même connus dans son enfance, Jean Paul II veut aller plus loin. Alors que perdure la guerre froide, il réunit, en octobre 1986, les représentants des principales religions mondiales à Assise pour les inviter chacun à prier pour la paix. Le pape veut alors amener les chefs religieux à témoigner «que le défi de la paix tel qu’il se présente à toute conscience humaine transcende les différences religieuses».
Il renouvellera à deux reprises cette initiative inédite, en janvier 1993 et en janvier 2002, dans l’élan de «l’esprit d’Assise» né de la première rencontre. La présence des chefs musulmans est toutefois plus remarquée, le 24 janvier 2002, en raison des attentats terroristes d’Al- Qaïda du 11 septembre précédent, aux Etats-Unis. La rencontre est marquée par une condamnation commune du terrorisme et de l’utilisation de la religion à des fins politiques. Quelques jours plus tard, au mois de mars, Jean Paul II envoie à tous les chefs d’Etats un «décalogue» reprenant les dix principaux points de cette condamnation publique.
Les efforts de Jean Paul II en faveur de cette ouverture – conduisant également à la visite dans une grande mosquée de Syrie, en mai 2001 – ont contribué à redonner aux religions leur vrai visage spirituel, face aux manifestations des mouvements religieux fondamentalistes. Le pape accompagne ses efforts de plusieurs démarches de repentance – qui culmineront le 12 mars 2000 -, invitant en même temps toute l’Eglise à une «purification de la mémoire», dans sa Lettre apostolique Tertio millenio adveniente, publiée en 1994 en vue du grand jubilé de l’an 2000.
L’ouverture vers le troisième millénaire
Tout au long de l’année 2000, Jean Paul II répète la même invitation au repentir et à la conversion personnelle aux pèlerins qui se succèdent pour franchir la porte sainte de la basilique vaticane. Il préside près de 80 cérémonies jubilaires et reçoit deux fois par semaine des foules de 30 à 40’000 personnes pour des audiences générales sur la place Saint-Pierre.
Les événements du 11 septembre 2001, la situation en Terre Sainte, le second conflit irakien, le refus d’inscrire les racines chrétiennes dans le préambule de la Constitution européenne et la montée du laïcisme sur le vieux continent ont particulièrement marqué la fin du pontificat de Jean Paul II. Reste que la longue fin du pontificat de Jean Paul II a été nettement marquée par sa santé déclinante qui l’a conduit à réduire ses activités au plus strict minimum. IMEDIA/PR
Encadré
La vie de Karol Wojtyla avant son élection pontificale
Né le 18 mai 1920 à Wadowice, petite cité paisible de la région de Cracovie au sud de la Pologne, Karol Wojtyla grandit dans une famille chrétienne modeste et unie, dans une petite maison presque accolée à l’église, au centre de la ville. D’un caractère heureux et plein de vitalité, il perd sa mère institutrice à l’âge de neuf ans et reste seul avec son père, officier à la retraite, tandis que son frère aîné étudie la médecine à Cracovie. Mais celui-ci meurt également trois ans plus tard en décembre 1932, de la scarlatine.
Auprès de son père qui se consacre totalement à son éducation, Karol Wojtyla reçoit une solide éducation chrétienne, et apprend l’importance de la prière. Il se lie d’amitié avec le fils du président de la communauté juive de Wadowice, Jerzy Kluger. Brillant élève, il aime aussi le théâtre et entre dans une troupe dirigée par un professeur de polonais, Mieczyslaw Kotlarczyk. Ce dernier lui transmet la dimension spirituelle de l’art dramatique. Karol Wojtyla est aussi passionné tant de sport que de littérature.
Etudiant à Cracovie
Après son baccalauréat, passé en mai 1938, Karol Wojtyla s’installe avec son père à Cracovie pour entreprendre des études de philologie polonaise à l’Université Jagellon. En novembre 1939, il doit toutefois interrompre ses études à la suite de l’invasion de la Pologne par les Allemands. Ces derniers convoquent en effet tous les professeurs de l’Université pour les déporter en camp de concentration. L’Université étant fermée, le jeune étudiant profite de son temps libre pour commencer lui- même à écrire, avant d’être embauché comme ouvrier à l’usine chimique Solvay. Il évite ainsi d’être envoyé en Allemagne pour les travaux forcés.
En février 1940, Karol Wojtyla fait la connaissance dans son quartier d’un tailleur du nom de Jan Tyranowski, très engagé dans les activités de la paroisse et tourné vers la spiritualité de saint Jean de la Croix. Il découvre avec lui les grands saints du Carmel, au point d’envisager même de se faire carme. Un an plus tard, le 18 février 1941, le jeune ouvrier trouve son père mort, un soir en rentrant de l’usine. Il reste donc désormais sans famille.
Pendant cette période, son ancien professeur de théâtre ayant lui aussi rejoint Cracovie, Karol Wojtyla continue dans la clandestinité à organiser des représentations et des récitations de poésie, tandis qu’il écrit lui-même des poèmes. Il met l’accent sur la portée spirituelle des textes et sur la transmission de la culture polonaise. Le théâtre, les discussions philosophiques et les soirées poétiques sont pour lui une manière de résister par la culture aux envahisseurs allemands.
Séminariste clandestin
A l’automne 1942, Karol Wojtyla s’oriente définitivement vers le sacerdoce. Il entre au séminaire clandestin de Cracovie, qui est alors placé sous la direction de l’archevêque Adam Stefan Sapieha. Il continue au début à travailler comme ouvrier dans l’usine Solvay, avant de s’installer avec les autres séminaristes dans les caves de l’archevêché en septembre 1944, malgré les risques de déportation. Après la guerre, il achève ses études de théologie à l’Université Jagellon, avant d’être ordonné prêtre le 1er novembre 1946.
Prêtre et philosophe
Envoyé à Rome pour y poursuivre ses études, le jeune prêtre quitte pour la première fois la Pologne. Il étudie à l’Angelicum, l’Université pontificale des dominicains, et se plonge dans la théologie de Saint Thomas d’Aquin. En même temps, il profite de ses vacances pour visiter l’Italie, la France, la Hollande et la Belgique. En juin 1948, il présente une thèse de doctorat sur saint Jean de la Croix, puis repart pour la Pologne, où le stalinisme s’oppose de plus en plus violemment à l’Eglise.
Nommé vicaire dans une paroisse de campagne, à Niegowic, puis un an après, dans une paroisse du centre de Cracovie, il organise son ministère avec enthousiasme et énergie, insistant sur la vie de prière, la beauté de la liturgie, l’encadrement des jeunes à travers le sport ou le théâtre, et la formation intellectuelle des adultes par laquelle il veut lutter contre l’influence communiste.
En 1951, il est encouragé à reprendre des études, et prépare cette fois un doctorat sur les possibilités de fonder la morale catholique sur le système phénoménologique de Max Scheler. En 1954, il peut ainsi devenir professeur titulaire d’éthique et de théologie morale, et enseigne à Lublin et à Cracovie tout en poursuivant ses activités pastorales. Il développe, dans ses cours, l’importance de la personne humaine et des relations personnelles. En même temps, il entraîne les étudiants à le suivre dans des excursions autour de Cracovie ou dans les montagnes, et profite de ces moments de détente pour leur parler de Dieu.
Evêque pendant le Concile Vatican II
C’est au cours de l’un de ces camps de jeunes, en juillet 1958, qu’il apprend sa nomination comme évêque auxiliaire de Cracovie. Cette nouvelle charge ne l’empêche pas de continuer à assurer ses cours à Lublin où il est titulaire de la chaire de morale depuis 1956. Dans son ministère d’évêque, il passe beaucoup de temps à recevoir ceux qui le sollicitent, se montre très attentif à la formation des séminaristes, et effectue de nombreuses visites pastorales au cours desquelles il insiste déjà sur le rôle des laïcs dans l’Eglise.
Il fréquente également des intellectuels et des scientifiques, continue à composer des poèmes et à rédiger des essais de théologie ou de morale. Il rédigera même une pièce de théâtre sur l’amour humain et le sacrement du mariage, intitulée La Boutique de l’orfèvre.
De 1963 à 1965, Mgr Wojtyla participe aux sessions du Concile Vatican II. En décembre 1963, à l’issue de la seconde session, il part en pèlerinage en Terre Sainte, et c’est à son retour qu’il apprend sa nomination comme archevêque de Cracovie par Paul VI.
Au cours du Concile, il intervient à plusieurs reprises, et avec assurance, sur les questions de la liberté religieuse et de l’apostolat des laïcs. Tout en découvrant les arcannes de la curie romaine, il participe activement à l’élaboration la constitution pastorale Gaudium et Spes, sur l’Eglise dans le monde moderne.
A son retour en Pologne, il travaille à y faire appliquer les conclusions du Concile, et cherche à donner un nouvel élan à l’Eglise face à l’athéisme militant. Il lutte contre l’influence du marxisme et dénonce en même temps les erreurs des sociétés capitalistes. Partout, il insiste sur la défense de la liberté et l’importance des valeurs spirituelles. Un duo qu’il juge indispensables pour une annonce efficace de l’Evangile.
Cardinal
Créé cardinal par Paul VI le 26 juin 1967, l’archevêque de Cracovie vient régulièrement à Rome pour participer à la plupart des synodes romains. De plus en plus connu, il commence à voyager à l’étranger, et notamment aux Etats-Unis où il est invité dans des universités ou des congrès eucharistiques. Il se crée ainsi de nombreuses relations. En 1971, il devient membre du Conseil du secrétariat du synode des évêques et, en mars 1976, il est sollicité pour prêcher la retraite de carême de la curie romaine.
Enfin, le 25 août 1978, le cardinal Wojtyla entre en conclave pour l’élection de Jean Paul Ier. Il a le temps ensuite de rentrer en Pologne avant d’apprendre la mort du nouveau pape, 33 jours plus tard. Il fait désormais partie des cardinaux vers lesquels les regards se tournent. La tradition veut depuis le XVIe siècle que le pape soit italien, mais nombreux estiment qu’il est doté d’une solide personnalité dont les qualités semblent correspondre aux nécessités de l’Eglise post-conciliaire. Il est élu pape le 16 octobre 1978, devenant le 264e successeur de Pierre. IMEDIA/CB/PR
Encadré
Nuit de prière et d’émotion Place Saint-Pierre, après la mort de Jean Paul II
La nuit du 2 au 3 avril 2005 a vu de nombreux jeunes veiller sur la place Saint-Pierre, au Vatican, quelques heures après l’annonce de la mort de Jean Paul II. Alors que le monde entier a réagi à la mort du souverain pontife, les jeunes du diocèse de Rome, son diocèse, se sont recueillis. La nouvelle de la mort du pape s’est vite répandue et la place et ses alentours ont fini par accueillir plus de 100’000 personnes. Une foule considérable est attendue à Rome dimanche et les jours qui suivront.
Plus tard, dans la nuit, de nombreux jeunes sont restés sur la place pour veiller et prier. Ces jeunes, de la «génération Jean Paul II», ont chanté des cantiques ou récité des prières pour le repos de l’âme du souverain pontife.
Au pied de la statue monumentale de saint Pierre, devant la basilique du même nom, a été attaché un grand drap blanc sur lequel des dizaines de jeunes ont apposé leur signature, autour de l’inscription «JP II tu es dans nos coeurs». Plus loin, à même le sol, deux jeunes filles ont confectionné en toute hâte une banderole avec écrit «nous n’avons pas peur, parce que tu es avec nous», en référence aux premières paroles de Jean-Paul II, au jour de l’ouverture de son pontificat (le 22 octobre 1978), «N’ayez pas peur!»
Sur le parvis de la basilique Saint-Pierre exceptionnellement illuminée, tout comme la coupole, les colonnades du Bernin et les lampadaires entourant la place, les membres du Gouvernorat de la Cité du Vatican étaient en nombre renforcé, ce 2 avril. Parmi eux, le cardinal Francesco Marchisano, vicaire de Jean Paul II pour la Cité du Vatican et archiprêtre de la basilique Saint-Pierre, ainsi que Mgr Renato Boccardo, secrétaire général de l’Etat de la Cité du Vatican.
Comme hier, les lumières du bureau pontifical étaient allumées au 3e étage du Palais apostolique, de même que celles du 1er étage, des appartements du secrétaire d’Etat du Saint-Siège, le cardinal Angelo Sodano.
Au coeur de la nuit, aux alentours de la place, des employés de la commune de Rome ont placé des barrières et aménagé les lieux en vue de l’afflux prévisible des pèlerins pour la messe présidée par le cardinal Angelo Sodano. D’autres ont monté un immense échafaudage, en marge de la place, en vue d’accueillir les caméras des télévisions du monde entier. Apic/PR
Encadré
La curie romaine mise en sommeil: les scellés sont apposés chez le pape
A la mort du pape, la curie romaine fonctionne au ralenti. Tous les chefs de dicastères – le cardinal secrétaire d’Etat et les cardinaux ou archevêques présidents de Congrégations et préfets de Conseils pontificaux cessent d’assurer ces fonctions. Ce sont les secrétaires qui pourvoient au gouvernement ordinaire des dicastères romains. L’activité du Saint-Siège est ainsi suspendue pendant plusieurs semaines jusqu’à l’élection du nouveau pape, qui devra confirmer dans ses fonctions le personnel de la curie dans les trois mois suivant le début de son pontificat.
Seuls le camerlingue, actuellement le cardinal espagnol Eduardo Martinez Somalo, ainsi que le grand Pénitencier (le Tribunal suprême de la Signature apostolique et le tribunal de la Rote romaine continuent leur activité) continuent d’assurer leur fonction. C’est en effet le rôle du camerlingue de veiller à l’administration des biens et des droits du Saint- Siège. Dès qu’il reçoit la nouvelle de la mort du pape, c’est à lui que revient la charge de constater officiellement le décès, en présence de Mgr Piero Marini, le maître des cérémonies, et du notaire de la Chambre apostolique, Mgr Enrico Serafini, qui a la charge de rédiger l’acte de décès.
A partir de ce moment-là, le camerlingue prend également des dispositions pour apposer les scellés au bureau et à la chambre du pape et pour faire briser l’anneau de Jean Paul II ainsi que le sceau de plomb sous lesquels étaient expédiées les Lettres apostoliques du pontificat. Le secrétaire particulier du pape, Mgr Stanislaw Dziwisz, et les soeurs polonaises responsables du quotidien du souverain pontife, sont autorisés à rester dans les appartements pontificaux jusqu’au jour des funérailles de Jean Paul II. A ce moment-là, l’appartement pontifical sera aussi mis sous scellés. IMEDIA/PR
Encadré
Vacance du Siège apostolique – les cardinaux arrivent à Rome
117 cardinaux – uniquement ceux qui ont moins de 80 ans – commenceront à voter d’ici quinze à vingt jours afin d’élire un nouveau pape. Dès l’annonce de la mort de Jean Paul II, tous les cardinaux se sont mis en route pour Rome. Les futurs électeurs ont dû abandonner au plus vite leur diocèse pour rejoindre le Vatican et les responsables de dicastère de la curie ont été immédiatement relevés de leurs fonctions, à l’exception du cardinal camerlingue, Eduardo Martinez Somalo et du cardinal pénitencier majeur, James Francis Stafford.
Au fur et à mesure qu’ils arrivent, les cardinaux électeurs sont logés dans la maison Sainte Marthe, un vaste bâtiment de couleur jaune clair, à cinq étages. Construite entre 1993 et 1996 à la demande de Jean Paul II, elle se trouve derrière la grande salle Paul VI, celle des audiences générales, et à quelques mètres à gauche de la basilique Saint- Pierre. Sa façade arrière donne sur la rue – à l’extérieur de la Cité du Vatican – dont elle est séparée par le mur d’enceinte. Les cardinaux vivant à Rome et ceux qui le souhaitent pourront n’intégrer la maison Sainte- Marthe qu’au moment de la fermeture du conclave et rester jusque-là dans leur résidence personnelle.
Pour la première fois, les cardinaux disposent là de studios modernes et confortables, à la place des chambres austères et peu confortables qui étaient jusqu’au dernier conclave, rapidement aménagées dans une partie du palais apostolique et des musées du Vatican.
En août 1978, lors de l’élection de Jean Paul Ier, ils avaient beaucoup souffert de la chaleur qui était alors étouffante à Rome. Aujourd’hui, les cardinaux auront donc chacun au moins une chambre individuelle avec une salle de bain personnelle. La plupart disposeront également d’une pièce supplémentaire, pouvant servir de bureau. Les 108 suites et 23 chambres seront attribuées par tirage au sort.
Des ascenseurs ainsi que de vastes escaliers de marbre blanc et vert relient les étages où de petites chapelles sont disponibles pour qu’ils puissent y prier et y célébrer la messe. Enfin, les repas sont servis dans une grande salle à manger située au rez-de-chaussée par des religieuses de nationalités variées, appartenant à la congrégation des Filles de la charité. Celles-ci sont chargées de la maison depuis son inauguration, en 1996. Depuis cette date, la maison Sainte Marthe n’a pas désempli, accueillant sans cesse, outre certains prélats travaillant au Vatican, des visiteurs de passage – clercs ou laïcs – à l’occasion des synodes, cérémonies ou autres rassemblements.
Dès l’annonce de la mort de Jean Paul II, tous les pensionnaires ordinaires de la maison Sainte Marthe ont donc dû quitter les lieux et trouver à se loger, ailleurs, dans Rome. En attendant l’ouverture du conclave, les affaires courantes ou urgentes du gouvernement de l’Eglise sont confiées au collège des cardinaux qui se réunissent à l’occasion de réunions appelées Congrégations générales ou particulières. Lors de la mort de Paul VI, le 6 août 1978, la première congrégation générale eut lieu le lendemain après-midi. En revanche, lors de la mort de Jean Paul Ier, le 28 septembre 1978, la première congrégation se tint le surlendemain dans l’après-midi.
Les questions mineures sont traitées par un petit groupe composé de trois cardinaux, tirés au sort par roulement tous les trois jours. Le cardinal espagnol Eduardo Martinez Somalo chargé, en tant que cardinal camerlingue de l’administration des biens du Saint-Siège entre la mort du pape et l’élection de son successeur, est responsable de ces congrégations particulières. Il est assisté dans sa tâche par Mgr Paolo Sardi, vice- camerlingue, d’un auditeur général, de trois clercs de la Chambre apostolique et de son notaire, qui tient le rôle de secrétaire et chancelier de la chambre apostolique.
En revanche, les questions plus importantes, concernant par exemple la prochaine élection, sont soumises à l’ensemble des cardinaux. Ce sont les congrégations dites générales. Revêtus de leur soutane noire, de leur ceinture et calotte rouges, ils doivent se réunir chaque jour soit dans la salle «Bologna», au deuxième étage du Palais apostolique du Vatican, soit dans la maison Sainte Marthe même, sous la présidence du doyen du collège cardinalice, le cardinal Joseph Ratzinger. Le camerlingue leur communique les décisions à prendre et recueille leur avis par vote secret, à la majorité des voix. Ces réunions permettent en outre aux porporati de parler librement des problèmes qui se présentent, et de faire d’éventuelles propositions.
Leur première tâche consiste à fixer le jour où le corps du pape défunt va être exposé à l’hommage des fidèles dans la basilique Saint- Pierre, et à définir la manière dont vont se dérouler les cérémonies des obsèques. L’inhumation du corps de Jean Paul II doit avoir lieu entre le quatrième et le sixième jour suivant sa mort. En 1978, la messe des funérailles de Paul VI et de Jean Paul Ier ont eu lieu 6 jours après leur décès. Cette période des funérailles pontificales est appelée novemdiales. Pendant neuf jours, les cardinaux vont célébrer les services funèbres pour le repos de l’âme du pape défunt. (apic/imedia/ami/ar/pr)