Jean-Charles Putzolu: «Nous avons le souci d'inculturer la parole du pape»
Jean-Charles Putzolu, rédacteur en chef de la rédaction française de Radio Vatican et Vatican News, a reçu cath.ch dans les locaux de la célèbre station vaticane. Il explique le fonctionnement complexe de cette «petite planète» répartie sur six étages où on porte le souci «d’inculturer la parole du pape» et la vie de l’Église universelle en 57 langues.
Faut-il être baptisé pour entrer à Vatican News?
Jean-Charles Putzolu: Baptisé et confirmé, c’est une condition pour entrer à Radio Vatican. Cela dit, l’obligation de la confirmation a connu des fluctuations et nous avons engagé des gens qui n’étaient pas baptisés et parfois des non catholiques. Dans la rédaction anglophone, nous avons eu une journaliste anglicane, des orthodoxes et un musulman dans d’autres rédactions. Nous ne sommes pas fermés. Il est clair que lorsque vous postulez à Radio Vatican, il faut avoir un intérêt pour la religion et le fait religieux. Il nous est arrivé d’engager des gens qui n’étaient ni catholiques ni chrétiens mais qui avaient un intérêt marqué pour travailler chez nous. Nous avons eu parfois la nécessité d’engager ces profils, notamment un journaliste de langue ourdoue (parlée au Pakistan et dans le nord de l’Inde, ndlr) qui était musulman parce que nous n’avions pas trouvé un catholique qui parlait cette langue.
À qui s’adresse Vatican News?
Je reprends volontiers l’expression de François: aux périphéries de l’existence. Nos nouvelles partent de Rome en 57 langues (voir encadré) dans le monde entier. Si nous nous adressons uniquement à un peuple de fidèles catholiques pratiquants, nous risquons de nous enfermer dans notre monde. Notre souhait est d’aller de Dieu à ceux qui n’en ont pas entendu parler ou qui s’en sont éloignés.
«Il nous est arrivé d’engager des gens qui n’étaient ni catholiques ni chrétiens mais qui avaient un intérêt marqué pour travailler chez nous.»
Combien de journalistes travaillent à la rédaction française?
Nous sommes 17, dont trois journalistes travaillant pour l’Osservatore Romano (OR). L’équipe comprend un service international, avec le but d’inculturer la parole du pape et un service Afrique qui reflète la vie de l’Église en Afrique. Dans le magazine français (radio, ndlr) destiné à l’Afrique, il y a des rubriques en langue africaine: le lingala, le malgache, le kirundi, ces langues qui reviennent toutes les trois ou quatre semaines.
Nous travaillons aussi sur la France qui a peut-être besoin d’entendre à nouveau la parole du Christ. Une centaine de correspondants pigistes à travers le monde nous proposent des reportages ou nous leur en commandons. Il y a des religieux, des prêtres, des sœurs. Nombre d’entre eux parlent italien, j’en trouve en Mongolie ou en Ukraine. Beaucoup sont passés par Rome. Au Moyen-Orient, en Syrie ou au Liban, je trouve facilement des francophones.
Comment la rédaction est-elle structurée entre le site, la radio et l’Osservatore Romano?
Jusqu’en 2015, et la réforme de la curie et des médias du Saint-Siège voulue par le pape François, nous travaillions presque uniquement en radio. Depuis, les journalistes travaillent sur tous les supports: la radio, le web, les réseaux sociaux.
Radio, web et réseaux sociaux. Comment avez-vous opéré le virage du numérique?
Ce fut un long processus et un vrai défi. Nous avons dû sortir de notre zone de confort, changer nos habitudes, le virage a été difficile. Une partie de la rédaction a été engagée il y a plus de 15 ans pour faire uniquement de la radio. À l’époque, notre formation n’incluait ni le web ni les réseaux sociaux. La nouvelle génération, sortie des écoles de journalisme il y a 10 ans, est formée à tous ces nouveaux médias.
Nous, les anciens, leur offrons notre connaissance du fait religieux, du Vatican et de l’Église. La jeune génération nous apporte en retour ses compétences sur le web, le digital et les réseaux sociaux. Actuellement, un journaliste traite un discours du pape pour la radio, pour le web et les réseaux sociaux. Il n’est pas exclu qu’il traite aussi prochainement cette information à l’écrit pour l’Osservatore Romano, entre temps devenu mensuel en langue française.
Cela a-t-il amené une nouvelle dynamique dans le traitement de l’info?
Il a fallu adapter nos contenus pour le web en les développant différemment. Le traitement de l’information a été plus marqué par la réforme curiale de 2015 que du point de vue technique. Nous avons été intégrés à un système curial: nous sommes devenus une institution de la curie romaine. Historiquement, Radio Vatican était rattachée au Saint-Siège et avait plus d’autonomie. Aujourd’hui nous sommes institutionnalisés. Il est clair que notre ligne doit refléter à la perfection la ligne du pape. Nous avons un éditeur qui est le Saint-Siège.
«Le traitement de l’information a été plus marqué par la réforme curiale de 2015 que du point de vue technique.»
Quel est donc l’équilibre entre la communication et le journalisme?
C’est un vrai débat. Nous sommes sur une ligne de crête. Nous communiquons et nous informons. En France, il y a des écoles de communication et de journalisme, la différence est plus marquée. Il n’en va pas de même dans tous les pays. Dans certaines cultures, la ligne est plus floue. À Vatican News, nous parlons 57 langues, toutes les cultures sont représentées et c’est complexe. À la rédaction française, nous essayons de maintenir cette séparation information/communication le plus nettement possible. Mais parfois nous jonglons entre les deux. Nous ne sommes pas une agence de presse et pas une agence de communication. Notre site propose des contenus visant à donner des clés de lecture à nos lecteurs et à les faire réfléchir. Nous nous attachons à l’analyse.
Comment couvrez-vous des actualités sur des sujets sensibles comme l’accord avec la Chine ou le procès de l’immeuble de Londres?
Sur ce type de sujet, nous nous situons plus dans la communication que dans le domaine de l’information. Nous avons couvert le procès de manière institutionnelle. Nous sommes, selon l’expression consacrée, «restés dans les clous». Un journaliste était présent à toutes les audiences et une équipe est allée à Londres pour couvrir les audiences concernant le volet anglais de cette affaire.
Il en va de même pour les accords avec la Chine. Nous avons communiqué que l’accord avec la Chine a été reconduit pour quatre ans. Nous pouvions en savoir plus en «off». Mais nous sommes astreints à un exercice de diplomatie. On ne peut pas, avec une analyse pouvant paraître subjective, mettre en péril des négociations qui durent depuis des années et heurter la sensibilité de la Secrétairerie d’État qui se sentirait menacée avant un prochain round de négociations avec les Chinois. On ne peut pas non plus froisser les autorités chinoises qui pourraient se sentir trahies.
«Nous sommes astreints à un exercice de diplomatie.»
L’enjeu institutionnel est parfois prépondérant
Nous assumons cela parce qu’il y a des enjeux diplomatiques et institutionnels. Nous ne sommes pas une radio sur les ondes de laquelle nous pouvons dire ce que nous voulons, quand nous le voulons. Cela dit, nous avons une grande liberté sur beaucoup de sujets. Au-delà de ce qu’on pourrait nous reprocher en termes de liberté éditoriale, je prends un autre exemple: le Nicaragua. Actuellement, le pays connaît une situation extrêmement sensible.
Le gouvernement veut réduire l’Église au silence. On pourrait en parler librement. Or il y a encore des religieux et des prêtres présents dans le pays. Ceux qui ont été expulsés ont encore de la famille sur place. Avec une parole trop critique, certes vraie et vérifiable, vis-à-vis du gouvernement, est-ce que je ne risque pas de mettre en danger l’intégrité physique, voire la vie de ces religieux ou les proches des prêtres qui ont dû quitter le pays? C’est une question à laquelle je n’ai pas la réponse. Donc j’évite de créer la situation. J’entends les critiques, mais c’est délicat.
Internet et les réseaux sociaux sont très énergivores. Vatican News a-t-il intégré le grand principe de Laudato si’?
Indirectement, oui. Le toit de la salle Paul VI est recouvert de panneaux solaires. Le Vatican assure une partie de sa consommation d’électricité, ce dont profite Vatican News.
Quelles sont les audiences de Radio Vatican et Vatican News?
Toutes langues confondues, plusieurs centaines de millions de personnes peuvent écouter Radio Vatican à travers le monde, dont 275 millions de francophones. Nous estimons à 22 millions le nombre d’auditeurs francophones susceptibles de nous écouter. Pour le web, je peux simplement parler d’un chiffre suivi de huit zéros avec un temps moyen de lecture de trois minutes. Une durée très élevée mais qui s’explique par les podcasts, les interviews et les vidéos que nous intégrons dans nos articles. (cath.ch/bh)
Combien parle-t-on de langues à Radio Vatican?
Radio Vatican et Vatican News informent en 57 langues. Elles sont écrites, mais elles ne sont pas toute parlées. En radio, nous nous exprimons entre 40 et 50 langues. On tend à les développer. Vatican News regroupe donc 57 rédactions, de plus ou moins grande taille. L’italien est la langue de travail commune, tous les textes sont traduits en italien et mis à la disposition des rédactions. Le contingent italien est le plus représenté puisque Radio Vaticana émet 24h sur 24 sur la FM et le DAB. Les rédactions sont interconnectées, un peu à l’image des neurones du cerveau. Les petites rédactions vont reprendre et adapter les contenus émanant des équipes plus étoffées. J’insiste sur «adapter» car on parle d’inculturation, nous avons le souci d’inculturer la parole du pape. La rédaction ukrainienne ne fait pas partie des rédactions les mieux dotées: trois personnes et un collaborateur parmi lesquels un religieux et une religieuse. Ils fournissent des informations pour toutes les langues de la radio. Ils ont des nombreux contacts dans le pays et sont au courant de tout ce qui passe. Ce qui est très précieux pour nous depuis le début de la guerre.
En amont, il se déroule une conférence de rédaction globale de toutes les langues de manière à connaître, par le biais d’une équipe de coordination éditoriale centrale (CEM,) les activités importantes du pape à suivre tout au long de la journée. Les rédactions proposent en parallèle leurs actualités, libre aux autres de reprendre ou non les propositions pour compléter leur offre rédactionnelle. BH
Jean-Charles Putzolu
Jean-Charles Putzolu est né en 1966 à Lyon où il a passé son enfance et suivi sa scolarité. Après un bac G, il s’est lancé dans des études d’informatique et de gestion à l’université de Lyon 3. «Au lieu de faire le pitre, viens donc donner un coup de main à la radio!», lui lance un jour de 1983 le prêtre qui anime le catéchisme. La petite station Radio Fourvière vient de voir le jour et l’équipe cherche du monde. Jean-Charles se passionne pour ce média où, bénévole, il fait de tout: technique, animation et journalisme. Il a trouvé sa voie, abandonne ses études d’informatique et se forme au journalisme. Il est finalement engagé à la radio en 1986. Il reçoit un appel de Radio Vatican où il est engagé en septembre 1989. Il y travaille toujours. Il est actuellement rédacteur en chef de la rédaction française. BH
La rédaction de cath.ch s'est rendue à Rome durant le jubilé des journalistes. L'équipe a ramené différents sujets "Jubilé 2025 - cath.ch" en lien avec Rome, la communication et le jubilé.