Sara Akhavan, une musulmane iranienne convertie, a connu la prison à cause de sa foi. Genève, février 2025, JC2033 | © Lucienne Bittar
Suisse

«J'avais de l'or entre mes mains»: Sara Akhavan, musulmane iranienne convertie

Emprisonnée en Iran à cause de sa foi, Sara Akhavan, une musulmane devenue chrétienne, vit aujourd’hui en Espagne. Depuis sa conversion, elle voue sa vie à l’évangélisation de ses compatriotes, en Iran et à l’étranger, et au témoignage du harcèlement auxquels sont soumis les convertis dans son pays.

De ce moment, Sara Akhavan, se souvient comme si c’était hier. C’était en 1998 et elle avait 18 ans à peine. Lors d’une visite rendue à sa famille musulmane en Iran, sa tante, installée au Royaume-Uni, leur a annoncé qu’elle était chrétienne depuis des années. «Cela a fait l’effet d’une bombe! Toute la famille l’a rejetée. Nous refusions qu’elle nous parle de Jésus en ces termes, c’est interdit pour les musulmans. Et nous lui disions: ›tu n’es pas propre’. Mais elle a tenu bon et elle a dit à ma mère: ›Un jour tu vas chercher mon Dieu, Jésus.’» Et sa prédication s’est réalisée. Toute la famille est devenue chrétienne.

Témoignage de Sara en Corée du Sud, septembre 2024 | capture d’écran, Mouvement de Lausanne

Passionnée par Jésus, Sara Akhavan l’est sans conteste. Cath.ch s’est entretenu avec elle à Genève, le 26 février 2025, à l’occasion des Rencontres mondiales JC2033.«C’est une lionne», assure le pasteur Olivier Fleury, fondateur de JC2023.

Ses longs cheveux noirs librement détachés sur son dos, cette Iranienne de 42 ans témoigne sans crainte depuis plusieurs années, à visage découvert, en Europe et en Amérique latine. Avec une voix qui porte, elle parle de sa foi lors de grands événements évangéliques, mais aussi de la difficile situation des chrétiens dans son pays, comme devant les parlementaires britanniques et européens. Le témoignage qu’elle partage ce jour-là recoupe parfaitement des données plus officielles sur le harcèlement auquel sont soumis les convertis en Iran (voir encadré).

Récit d’une chaîne de conversion

«Un an après la visite de ma tante, je me suis rendue en Allemagne chez un oncle et sa femme, sans savoir que ceux-ci avaient été convertis par ma tante. Il n’y avait pas de Coran dans la maison et mon oncle n’accomplissait pas ses prières. Ça m’a inquiétée.»

JC2033
Le rassemblement mondial JC2033 (Jesus Celebration 2033) a réuni à Genève une centaine de participants, réformés, évangéliques, orthodoxes et catholiques, d’une trentaine de pays, du 26 février au 2 mars. A été invité à y intervenir, notamment, Jerry Pillay, secrétaire général du Conseil œcuménique des Eglises: «Un monde brisé et souffrant a besoin de l’unité des chrétiens», a-t-il lancé.
Ainsi sont revenues, tels des mantras, la question de l’unité des chrétiens et la fête des 2000 ans de la résurrection du Christ, raisons mêmes de la création de JC2033. Cette organisation encourage les Églises du monde à préparer et célébrer ensemble «la mort et de la résurrection de Jésus-Christ avec comme point culminant Pâques 2033». L’espoir est que Pâques puisse être célébré par tous les chrétiens le même jour cette année-là, tout comme cela sera le cas le 20 avril 2025, à l’occasion des 1500 du concile de Nicée. LB

La jeune fille interroge alors son parent, le cœur battant. «Dès le jour de notre naissance, en tant que musulman, on nous chante le Coran au creux de nos oreilles, pour que nous grandissions avec. Je craignais que Dieu ne me punisse alors que mon oncle évoquait Jésus.» Or, une heure après seulement, la voilà qui affirme vouloir elle aussi donner son cœur au Seigneur. «Nous avons appelé ma tante d’Angleterre. Elle n’était pas étonnée. Cela faisait 15 ans qu’elle priait en ce sens pour ma famille. Sa prière a préparé mon destin.»

De retour en Iran, le pied à peine posé sur le tarmac, Sara raconte fébrilement à sa sœur Lily son expérience. «Je ressentais dans mon cœur la paix de Dieu. J’avais de l’or entre mes mains et j’ai entendu l’appel du Seigneur qui m’envoyait en mission. Je ne savais pas comment faire, je n’avais aucune formation. J’ai dit à ma mère: ›maman, je suis chrétienne. Jésus est le Fils de Dieu, le roi des rois.’ Je voulais partager ça avec tout le monde.»

Sara remet la conversion de sa famille entre les mains du Seigneur. Six mois plus tard, alors que sa mère accomplit dans sa chambre le namaz (prière islamique en persan), elle entend une voix, qu’elle «ressent avec tout son cœur et qui brûle dans sa tête»,  qui lui dit: «Je suis le vrai, je suis la voie. Crois en moi.» Alertée par les cris de sa mère, Sara reconnait une phrase qu’elle a entendu relative à Jésus. Ses parents se convertissent presque instantanément, puis, à quelques mois de distance, sa sœur et son frère.

Une Église souterraine en Iran. 

La famille va vivre sa nouvelle foi tranquillement au début, jusqu’à ce que leur tante d’Angleterre leur envoie, en 2005, un jeune chrétien iranien pour les aider à grandir dans leur foi. Il restera un an auprès d’eux. Avec lui, Sara commence à comprendre le concept d’Église et réalise qu’elle peut à son tour évangéliser d’autres Iraniens. Elle part se former à Istanbul, en Turquie, dans une école dirigée par le mouvement Elam Ministries, un groupe irano-chrétien basé au Royaume-Uni et menant des activités missionnaires en Iran et dans les pays voisins.

Pour la première fois, la jeune Iranienne est autorisée à se rendre dans une église «pour chanter à tue-tête». «En Europe, vous trouvez plein de magnifiques Bibles dans les librairies. Les chrétiens sont libres, mais ils ne crient pas leur foi! Et moi, je disais à quel point j’aimerais pouvoir sortir librement en Iran pour partager la Bonne Nouvelle avec d’autres», poursuit-elle.

«En Europe, vous trouvez de magnifiques Bibles dans les librairies. Les chrétiens sont libres, mais ils ne crient pas leur foi!»

«Lors d’une nuit de prière, le Seigneur m’a indiqué la ville d’Ispahan. Je suis retournée en Iran et j’ai permis l’ouverture là-bas de sept églises maisons. [Ces églises domestiques se développent dans les pays où être chrétien n’est pas autorisé, à l’image de ce qui se faisait du temps du christianisme primitif. Des toutes petites communautés se réunissent dans des maisons de particuliers pour prier ou partager la Parole: ndlr]

37 jours à la prison d’Evin, dont 23 en isolement

Mais le 26 décembre 2010, à l’instar de ce qui va devenir une habitude (voir encadré), la sécurité iranienne arrête 72 pasteurs et responsables d’Eglises chrétiennes à travers différentes villes du pays. Parmi eux, Sara et Lily, respectivement âgées de 27 et 28 ans. Sara passera 37 jours, dont 23 en isolement, à la prison d’Evin, à Téhéran, réputée comme une des plus dures du pays.

«Ils m’ont interrogée au poste durant sept heures pour que je leur donne des noms d’autres responsables d’églises de maison, tout en me menaçant de prison ›jusqu’à ce que mes cheveux soient aussi blancs que mes dents’. Je leur ai dit que j’étais prête. J’avais peur, mais j’étais jeune et passionnée.»

Mise en isolement, l’abattement s’abat sur elle. Alors qu’elle ne peut plus ni manger ni boire, elle entend Jésus lui dire: «Regarde-toi, tu fais comme si j’étais mort !» Aussitôt elle se lève et chante en farsi: «En le nom de Jésus, il y a notre victoire», relate-t-elle.

A sa sortie de prison, Sara, qui veut continuer à évangéliser les Iraniens, quitte le pays pour la Turquie, puis l’Argentine et enfin l’Espagne. Lily est restée pour sa part en Iran, où elle ne risque rien tant qu’elle ne cherche pas convertir des musulmans et qu’elle se contente de vivre sa foi de manière privée. «Ce n’est pas qu’elle ne fait rien là-bas, nuance sa sœur. Elle prie beaucoup pour que cette terre soit à Jésus.»

Des croyants courageux

Les chrétiens convertis d’Iran sont forts dans leur foi, assure Sara Akhavan. Il y a quelques mois, la police a arrêté un homme, raconte-t-elle. Sa femme était sans nouvelles de lui depuis quelques semaines. Quand elle a enfin pu l’avoir au téléphone, il lui a demandé de dire à ses frères de ne pas prier pour qu’il sorte de prison; il estimait que trop de prisonniers avaient besoin de recevoir la Bonne Parole.

«J’ai aussi vu la force de ma mère la nuit où cinq policiers en colère sont venus nous arrêter ma sœur et moi. Ma mère avait revêtu un long manteau qui couvrait tout son corps, conformément aux prescriptions islamiques en vigueur. Ils ont tout fouillé, puis ont demandé à Lily de les suivre. Ma sœur a demandé de pouvoir dire au revoir à mes parents. Elle s’est approchée de ma mère, qui se tenait assise et silencieuse depuis le début, je l’ai entendu dire: ›Maman, je suis tellement effrayée.’ Ma mère est restée calme et ne l’a pas embrassée. J’étais triste pour ma sœur.»

«J’ai aussi vu la force de ma mère la nuit où cinq policiers en colère sont venus nous arrêter ma sœur et moi.»

Mais subitement, sa mère s’est levée et s’est adressée aux hommes, rapporte Sara. «Depuis deux heures, vous êtes dans ma maison et cherchez tout autour de nous tandis que nous restons silencieux. Vous vous en prenez à nous à cause de notre foi. Mon front est haut car je me tiens devant Jésus. Prenez ma fille. Nous allons en prison pour notre foi et pour le Christ.» Puis elle a dit Lily: «N’aie pas peur, car je serai avec toi. Les policiers sont devenus silencieux. Ils ont pris ma sœur et ont fermé la porte.»

La mère a alors enlevé sa veste. Sous ses bras, elle avait caché des Bibles – une donnée précieuse en Iran quinze ans en arrière – de crainte que celles-ci ne soient détruites par les hommes de la sécurité. Raison pour laquelle elle n’avait pas pu embrasser sa fille. Le lendemain, Sara et sa mère se rendent au poste pour prendre des nouvelles de Lily. Ce n’est qu’à ce moment que la sécurité reconnait Sara et l’arrête à son tour.

«Je pense que la persécution n’est pas la fin de l’histoire, affirme Sara Akhavan. Notre histoire, montre que l’Eglise est en vie, en croissance. En tant que musulmane, j’ai toujours eu peur d’Allah. Je ne pouvais pas communiquer et être en relation avec lui. Je suis venue à Christ parce que j’ai trouvé en lui une vraie espérance.» (cath.ch/lb)

Menaces sur les convertis en Iran
Les données ci-dessous sont issues de Iran: menaces pesant sur les personnes converties, un rapport publié en 2018 par l’Organisation suisse d’aide aux réfugiés. L’OSAR s’est appuyée sur de nombreuses sources croisées, comme l’UK Home Office, l’US Department of State, le Danish Immigration Service et Amnesty International, mais aussi Elam Ministries, le groupe de chrétiens auquel est affilié Sara Akhavan, et sur Mansour Borji, de l’organisation britannique Article 18.
Officiellement, la population chrétienne du pays (près de 118’000 selon le recensement de 2011) se compose majoritairement de chrétiens de souche, Arméniens et Assyro-Chaldéens. Il existe aussi cependant des groupes protestants et évangéliques, auxquels appartiennent de nombreux convertis qui pratiquent leur foi en secret. Selon les estimations – non confirmées – d’Elam Ministries, 500’000 à 1,5 million d’Iraniens se seraient convertis au christianisme.
La constitution iranienne reconnaît, en effet, les chrétiens de souche, mais pas les convertis. La conversion de l’islam à une autre religion n’est pas explicitement interdite par le Code pénal, mais la charia est applicable et les juges peuvent invoquer des fatwas. Les chrétiens les plus susceptibles de mesures de rétorsions (expropriations, perte d’emploi, arrestation, menaces contre leur famille) sont donc les évangéliques et les convertis.
Depuis la «révolution verte» de 2009, il est courant d’assister autour de Noël à des arrestations de chrétiens responsables d’églises maison non enregistrées: 142 personnes ont été arrêtées, par exemple, en décembre 2018 et 46 en décembre 2023. Ils sont généralement libérés au bout de quelques heures ou de quelques jours, mais il arrive que la peine soit lourde: le 27 mai 2024, Yasin Mousavi, converti au christianisme et accusé de «promotion du christianisme sioniste», a été condamné à 15 ans de prison.
Il existe, en effet, une grande méfiance envers les chrétiens et les convertis, perçus au mieux comme des instruments de l’Occident visant à saper les structures politiques et religieuses de l’Iran, au pire comme des espions. LB

Sara Akhavan, une musulmane iranienne convertie, a connu la prison à cause de sa foi. Genève, février 2025, JC2033 | © Lucienne Bittar
14 mars 2025 | 17:00
par Lucienne Bittar
Temps de lecture : env. 8  min.
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