Jacques Berset: «Schaffe, schaffe!»
Le journaliste de cath.ch Jacques Berset prend sa retraite à l’orée de l’année 2021. Hommage en revisitant le parcours de ce grand routier de la presse catholique romande. Durant toute sa vie de journaliste, il a appliqué la sentence souabe «Schaffe, schaffe !» (au boulot!).
«D’une certaine façon, je suis un enfant de «Populorum progressio», suivant le leitmotiv du pape Paul VI, qui voyait dans le développement «le nouveau nom de la paix». Mais j’en ai eu la révélation que plus tard, parce qu’en 1967, je n’avais que 11 ans», raconte Jacques Berset. «A l’époque, dans la maison familiale de Cormérod, dans la campagne fribourgeoise, il n’y avait pas encore de télévision. Par contre, il m’arrivait de lire l’Echo Illustré dans la ferme de mes grands-parents maternels, au Cerneux-Péquignot, près de La Brévine. En dévorant ses pages sépia, j’ouvrais de grands yeux sur le monde.»
Plus tard, au pensionnat de La Corbière, près d’Estavayer-le-Lac, géré par les Missionnaires de Saint-François de Sales, puis au Collège St-Michel, à Fribourg, Jacques approfondit cette intuition: «On parlait alors des pays du Tiers-Monde, de leurs luttes de libération, des dernières colonies en Afrique…»
Avec ATD Quart-Monde
Il veut partir comme volontaire dans un pays d’Amérique latine, mais finalement, après deux ans d’étude de travail social à l’Université de Fribourg, il rejoint, en automne 1977, le mouvement ATD Quart Monde du Père Joseph Wresinski, qui lutte pour les plus pauvres et les plus exclus. «J’y ai travaillé sur les chantiers comme maçon, puis comme chercheur à l’Institut de recherche sur la pauvreté, à Méry-sur-Oise, près de Paris». De retour à Fribourg, après un an et demi à travailler comme manœuvre sur les chantiers, il rejoint l’Institut de journalisme, à l’Université de Fribourg.
De l’APIC à cath.ch, avec l’UCIP et l’AED
Avant même la remise de son travail de diplôme, Jacques Berset est engagé en février 1983 comme journaliste stagiaire par le Père Bruno Holtz, rédacteur en chef de KIPA. La section francophone de l’Agence de presse internationale catholique, fondée en 1917, prendra alors le nom d’APIC, entreprise finalement intégrée à Cath-Info en 2015.
Très vite, le Père Holtz accédant au poste de secrétaire général de l’UCIP, l’Union catholique internationale de la presse, aujourd’hui disparue, Jacques Berset est propulsé rédacteur en chef d’APIC. Grâce à l’UCIP qui regroupait au plan mondial des journalistes, des éditeurs, professeurs et chercheurs en communication, il tisse un réseau sur tous les continents. Durant deux périodes, il sera vice-président de l’UCIP.
Ces contacts internationaux ont été très utiles au cours des dernières décennies qui ont vu tant de transformations au plan mondial, et particulièrement en Europe de l’Est, avec la chute du Mur de Berlin, en novembre 1989.
A ce moment, il est sollicité pour entrer dans le comité suisse de l’œuvre d’entraide catholique «Aide à l’Eglise en Détresse«. L’occasion pour lui de tisser des liens «partout où les chrétiens souffrent» et de réaliser de nombreux reportages quelques fois risqués.
L’homme en blanc à côté de Jean Paul II
Il en rapportera aussi le récit de nombreuses aventures dignes de Tintin reporter, au pays des Soviets au San Théodoros, ou au pays de l’Or noir. Ses anecdotes deviendront légendaires au sein de la rédaction. A l’aise aussi bien avec les loubards de Sao Paulo que les réfugiés Irakiens, ou les cardinaux vêtus de pourpre, Jacques Berset poussera l’impertinence jusqu’à se présenter tout en blanc devant le pape Jean Paul II qui ne s’en formalisa pas… De quoi sans doute rédiger quelques volumes de Mémoires.
«Suivre le courant? Très peu pour moi»
Actif pour le site cath.ch jusqu’à la fin 2020, Jacques Berset ne renie pas ses élans de jeunesse: «Ces presque 40 ans de journalisme m’ont permis, dit-il, de passer du Populorum progressio de ma jeunesse à l’encyclique Laudato Si’ du pape François. Elle me sert aujourd’hui de boussole».
A ses successeurs, il souhaite rappeler que l’information ne doit pas être dépendante des courants dominants du Mainstream. «Nager dans le courant, comme les poissons morts, ne m’intéresse pas. Nous devons être capables d’éclairer les recoins de la réalité, par exemple la situation des chrétiens d’Orient ou celle des chrétiens persécutés, même si ces thèmes ne sont a priori pas très vendeurs.» Pour lui, tout est intéressant, il s’agit de solidarité humaine mais aussi d’éthique journalistique. «Nous devons porter notre regard sur les pauvres, ici et au-delà de nos frontières.»
Le «Schaffe, schaffe!» («Au boulot!»), souvent poussé par Jacques lorsqu’une séance, mais qui se prolongeait en palabres, va nous manquer. La rédaction de cath.ch lui souhaite une belle retraite! Les liens ne sont d’ailleurs pas rompus puisque Jacques Berset continuera de collaborer occasionnellement à cath.ch. (cath.ch)
Deux «piliers» du journalisme catholique en Suisse romande
Bernard Litzler et Jacques Berset, respectivement directeur de Cath-Info et journaliste à cath.ch, étaient les invités à l’assemblée générale de l’Association suisses des journalistes catholiques (ASJC) le 19 septembre dernier. Les deux «piliers» du journalisme catholique ont témoigné sur leur parcours professionnel et sur le rapport parfois difficile de l’Eglise et de la presse.
«Suis-je journaliste catholique ou catholique journaliste?», s’est interrogé Bernard Litzler pour saisir la tension féconde entre la profession de journaliste et sa foi catholique. Il est l’un et l’autre, deux aspects qui selon lui ne sont pas antinomiques. Il constate que l’Eglise garde un faible pour une info contrôlée. Communio et progressio, publié en 1971, a encore de la peine à passer. «L’info du haut vers le bas continue d’imprégner les circuits ecclésiaux», observe-t-il.
Un travail de vérité
Pour Bernard Litzler, les journalistes catholiques ont à effectuer un travail de vérité sur l’Eglise, si difficile soit-il, particulièrement en ces temps de révélation des multiples scandales, entre autres sexuels, qui ternissent l’image de l’Eglise. «Nous n’avons pas à rougir des hontes de l’Eglise», pourvu que l’information tienne dans les limites de la déontologie de la profession.
«Nous avons le devoir de dénoncer ces actes, a appuyé Jacques Berset, de manière professionnelle et sobre, avant que les réseaux sociaux s’emparent de cette actualité et ne la déforment». Cela n’est pas en contradiction avec sa foi.
Il reconnaît qu’il est difficile de tenir la ligne d’une part, entre des confrères généralistes considérant parfois les journalistes catholiques comme des communicants de l’Eglise – voire des ›propagandistes’ – et d’autre part, des pratiquants les accusant de salir l’image de l’Eglise.
Les deux journalistes s’entendent sur le fait de travailler à chercher la beauté et la tendresse, deux dimensions humaines pleinement compatibles avec le récit journalistique. «Je l’ai trouvée au plus profond de la misère, dans des camps de réfugiés», se souvient Jacques Berset. Il estime que l’objectivité n’existe pas et surtout qu’il «n’écrit pas à partir de rien». La vraie question à se poser, selon lui, est celle de l’honnêteté avec laquelle on exerce cette profession. BH