Selon le Père Khader, "seule une paix juste avec les Palestiniens garantira la sécurité d’Israël" | DR
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Jamal Khader, curé de Ramallah: «Le problème n'est pas religieux»

Cathobel/Benoît Lannoo

En Terre Sainte, il n’y a pas seulement des Juifs et des musulmans, mais il y a aussi, et depuis deux millénaires, des chrétiens. Les 50’000 chrétiens vivant dans les territoires occupés n’ont pas la vie facile, vu l’occupation israélienne.

«Les célébrations de la Semaine sainte à Jérusalem nous ont manquées», regrette le Père Jamal Khader, curé de la paroisse de la Sainte Famille à Ramallah. «Le Dimanche des Rameaux dans les rues de Jérusalem, le soir du Jeudi Saint à Gethsémani, le Vendredi Saint avec le Chemin de la Croix, le Samedi Saint avec la célébration principale du feu…» Mais les paroisses du Patriarcat latin de Jérusalem situées au nord de la Cisjordanie fêtent Pâques avec les orthodoxes, étant donné qu’il y a beaucoup de familles mixtes – en revanche, Noël est célébré par tous conformément au calendrier liturgique romain.

Occupation israélienne

Les difficultés pour les chrétiens de Terre Sainte, en particulier ceux des territoires occupés, n’ont en revanche pas commencé avec les mesures prises contre le coronavirus. Depuis des années déjà, il n’est pas évident du tout pour les chrétiens de Cisjordanie de se rendre à Jérusalem ni pour ceux de Jérusalem de rejoindre Hébron, Jéricho, Ramallah, etc. La procession annuelle de Noël du Patriarche latin de Jérusalem à Bethléem – neuf kilomètres à vol d’oiseau – est chaque fois une réelle prouesse, vu les nombreux check-points sur la route. Car dans les faits, les Israéliens ont coupé les territoires occupés en miettes et les ont isolés (même ceux dont la souveraineté d’après les Accords d’Oslo de 1993 revient aux autorités palestiniennes) du territoire israélien ainsi qu’entre eux.

Et le plan de paix que le Président américain Donald Trump a lancé et qui s’est déjà fortement installé dans l’opinion publique israélienne, ne simplifie pas les choses. «C’est un plan ni de paix ni de prospérité, mais une formule d’apartheid», dit le Père Khader. «Tout est donné aux Israéliens, et rien aux Palestiniens. Si ce plan passe, nous, les Palestiniens, serons soumis pour toujours à l’occupation et au contrôle des Israéliens. Les chrétiens palestiniens ne sont même pas mentionnés dans ce plan! Jérusalem y est présentée d’un point de vue purement occidental et colonialiste. Apparemment, Trump et beaucoup d’autres avec lui ne considèrent pas les Palestiniens comme des êtres humains égaux aux autres, avec des droits humains et nationaux.»

Kairos Palestine

Le Père Khader, curé de paroisse, mais aussi responsable des établissements d’enseignement du Patriarcat latin en Cisjordanie, est un ancien de la cause palestinienne. Il faisait partie du groupe œcuménique de chrétiens palestiniens «Kairos Palestine». Les autres membres de ce groupe étaient, entre autres, le Patriarche latin émérite, Mgr Michel Sabbah, l’archevêque grec-orthodoxe Théodose de Sebastia (connu plus souvent sous le nom de Attalah Hanna), les théologiens influents anglicans Naim Stiffan Ateek et luthérien Mitri Raheb. Le groupe était par ailleurs coordonné par Rifat Oddeh Kassis de Defence for Children International, l’ONG que la Belgique a voulu entendre en février dernier au Conseil de Sécurité des Nations Unies à New York, mais Israël et ses partenaires l’ont récusée.

«Le problème en Terre Sainte n’est pas religieux. Regardez comment les chrétiens vivent ici à Ramallah, en parfaite harmonie avec nos frères musulmans.»

Il y a dix ans, ce groupe a publié une analyse fouillée de la vocation de la Terre Sainte, intitulée «Un moment de vérité: une parole de foi, d’espérance et d’amour venant du cœur de la souffrance palestinienne». Jamal Khader cite ce texte toujours d’actualité: «Nous croyons que notre terre a une vocation universelle. Dans cette vision, le concept des promesses, de la terre, de l’élection et du peuple de Dieu s’ouvre pour embrasser toute l’humanité, à commencer par tous les peuples de cette terre. A la lumière des Ecritures Saintes, nous voyons que la promesse de la terre n’a jamais été à la base d’un programme politique, mais est plutôt une introduction au salut universel: ‘Au Seigneur le monde et sa richesse, la terre et tous ses habitants’ (Ps 24,1).»

Sécurité

«Il ne s’agit pas seulement de garantir les droits de Palestiniens», dit le père Khader. «Mettre fin à l’occupation illégitime israélienne est aussi la seule garantie pour la paix pour Israël. Une paix juste avec les Palestiniens peut bien mieux garantir la sécurité des Israéliens que l’occupation militaire et astreignante de nos territoires d’aujourd’hui. Qui peut menacer Israël le jour où il y aura un accord de paix avec les autorités palestiniennes: l’Iran, le monde musulman, les Saoudiens, les Turcs? Mais non, nous allons les arrêter le jour où la question palestinienne sera résolue! Nous allons leur dire: ‘Laissez-nous tranquilles’, car nous vivons en paix ensemble. Car il ne s’agit pas de se tourner contre les Juifs, au contraire.»

Le père Khader insiste: «Le problème en Terre Sainte n’est pas religieux. Regardez comment les chrétiens vivent ici à Ramallah, en parfaite harmonie avec nos frères musulmans. Voyez comment plusieurs postes politiques en Cisjordanie sont réservés pour des chrétiens, le mayorat de Bethléem par exemple. Le problème est politique! Notre présence, en tant que Palestiniens – chrétiens et musulmans – sur cette terre n’est pas un accident. Elle a des racines profondes historiques et religieuses. Une injustice a été commise à notre égard – et elle l’est toujours – en nous déracinant. L’Occident a voulu réparer l’injustice qu’il avait commise à l’égard du peuple juif dans les pays d’Europe, et il l’a fait à nos dépens. Il a ainsi créé une nouvelle injustice, qui perdure toujours.» (cath.ch/cathobel/bl//bh)

Le Père Jamal Khader
Jamal Khader est un théologien chrétien palestinien et professeur, prêtre catholique et militant pour la paix. Jamal Khader est né en 1964 dans le village palestinien de Zababdeh, dans le nord de la Cisjordanie. Il a été ordonné prêtre en 1988. Professeur à l’Université catholique de Bethléem depuis 2003, il est titulaire de la «Chaire Cardinal Hume et Cardinal Furstenberg». Le Père Khader a obtenu son doctorat en théologie dogmatique à l’Université pontificale Gregoriana de Rome, avec une thèse sur le dialogue officiel entre l’Eglise catholique romaine et l’Eglise orthodoxe orientale. Il est membre du Comité de réflexion théologique et du Comité de dialogue avec les juifs du Patriarcat latin de Jérusalem.

Selon le Père Khader, «seule une paix juste avec les Palestiniens garantira la sécurité d’Israël» | DR
26 avril 2020 | 09:00
par Rédaction
Temps de lecture : env. 4  min.
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