Israël: Polémique sur l’immigration des Falash Mouras d’Ethiopie
La «loi du retour» ne s’applique pas aux non juifs
Jérusalem, 2 décembre 2003 (Apic) La polémique sur l’immigration des Falash Mouras d’Ethiopie – des convertis d’ascendance juive qui attendent depuis des mois leur visa dans les villes éthiopiennes d’Addis Abeba et de Gondar – bat son plein en Israël. La droite religieuse accuse le ministre israélien de l’Intérieur, Avraham Poraz, du parti laïc Shinouï, d’entraver leur venue parce que ces juifs seraient des électeurs potentiels du parti religieux séfarade Shass. Poraz avait déclaré que ce ne sont pas de «vrais» juifs.
En février de l’an dernier, alors qu’Elie Yishai, du parti Shass, était ministre de l’Intérieur du précédent gouvernement Sharon, Israël avait décidé de faciliter l’immigration des derniers descendants des juifs d’Ethiopie, les Falash Mouras, également appelés Beta Israel. Ce sont des Falashas ayant embrassé le christianisme sous la pression, mais qui seraient retournés au judaïsme. Ils pourraient ainsi bénéficier de la «loi du retour», qui permet à tout juif partout dans le monde de venir s’installer en Israël. On estime à 20’000 le nombre d’Ethiopiens d’origine juive restés au pays.
Pour le ministre actuel de l’Intérieur, Avraham Poraz, comme ce sont des personnes voulant retourner au judaïsme, il ne s’agit donc pas de vrais juifs. Ils devront donc passer par une procédure de conversion en Israël pour être reconnus comme juifs. C’est pourquoi la «loi du retour» ne peut s’appliquer dans ce cas. Cette position a provoqué une controverse «halachique», à savoir une querelle d’experts basée sur l’interprétation de la loi religieuse juive. En mai dernier, le grand rabbin séfarade d’Israël Shlomo Amar a publié son «opinion sur la question des Falash Mouras» qui exprime la «conclusion halachique» selon laquelle ces ressortissants éthiopiens sont bien «des juifs complets». Ils n’ont par conséquent pas besoin de passer par une procédure de conversion.
Le ministre laïc affirme par ailleurs que le gouvernement éthiopien est fermement opposé à une «aliya» de masse (venue en Israël). Addis Abeba considère les campagnes menées dans ce sens par les organisations sionistes comme un affront et une atteinte à l’honneur national. L’Ethiopie ne veut pas passer pour un pays où les citoyens meurent de faim et ne bénéficient pas de soins médicaux. Avraham Poraz estime que l’»aliya» d’Ethiopie doit se poursuivre à un rythme qui permette à l’Etat d’Israël d’absorber les nouveaux arrivants, soit 3 à 4’000 par an. Ce n’est un secret pour personne que l’absorption des juifs noirs d’Ethiopie est beaucoup plus onéreuse que celle de populations venant d’autres régions du monde, laisse-t-on entendre dans l’entourage du ministre du Shinouï.
Accusations voilées de racisme
Des personnalités comme le Prix Nobel de la paix Elie Wiesel, le professeur Irwin Cutler, parlementaire canadien, et Alan Dershowitz, professeur à Harvard, ainsi que l’organisation sioniste nord-américaine SSEJ (Struggle to Save Ethiopian Jewry), militent pour l’accueil par l’Etat hébreu de ce groupe d’Ethiopiens qui seraient dans un état de dénuement extrême. Des pétitions ont été déposées devant la Cour suprême israélienne pour faire exécuter la décision prise en son temps par le gouvernement israélien. Selon une pétition déposée devant la Cour suprême par le cabinet d’avocats Goldfarb, Levy et Eran, il s’agit «littéralement d’une question de vie ou de mort» pour cette population souffrant de famine et de maladies, rapporte le quotidien israélien «Ha’aretz».
Lors d’un débat à la Knesset, le parlement israélien, le ministre Poraz n’a pas confirmé les informations selon lesquelles les Falash Mouras mouraient de faim ou ne bénéficiaient pas de soins médicaux. Le député Nissim Zeev, du parti Shass, a accusé le ministre laïc de ne pas vouloir les Ethiopiens: «Vous ne voulez pas de noirs dans le pays, dites la vérité!», a-t-il lancé. JB
Encadré
75’000 Falashas vivent en Israël
Les Falashas sont présents sur la côte d’Abyssinie depuis très longtemps. Après la conversion à la chrétienté de la dynastie impériale d’Axoum au 4ème siècle, ils se sont réfugiés sur les hauts plateaux d’Ethiopie, dans des villages du Tigré, autour du Lac Tana, à Gondar et dans les montagnes du Semyen. Les Falashas ou «Beta Israel» ont été retrouvés dans un dénuement matériel et spirituel total en 1830 par des missionnaires anglicans.
Selon la tradition, ces juifs seraient les descendants de la tribu de Dan dispersée aussi bien au Yémen qu’en Arabie septentrionale. Leur population aurait atteint le million, à l’apogée du royaume falasha au Moyen Age, pour se réduire à quelque 100’000 âmes au début du 20ème siècle. Les Falashas observent depuis toujours les lois bibliques de pureté et de kashrout (lois concernant l’alimentation) et d’abattage rituel des animaux. Les Falashas ou «Beta Israel» ont des prêtres qui disent descendre d’Aaron, mais ils ne connaissent pas la tradition rabbinique ni le Talmud. Ils ont également des religieux et des nonnes qui vivent reclus dans des monastères. Ils respectent le caractère sacré du sabbat. Grâce aux opérations Moïse en 1984 et Salomon en 1991, quelque 75’000 Falashas vivent en Israël, rejoints par leurs «parents non juifs», les «Falash Mouras», qui seraient encore environ 20’000 en Ethiopie. (apic/haar/encycl/be)