L'entrée d'Itamar Ben-Gvir (g.) et de Bezalel Smotrich dans le gouvernement israélien l'oriente fortement à droite | © KEYSTONE/NEWSCOM/Maya Alleruzzo
International

Israël: l’ultra-droite religieuse accède au pouvoir

Les négociations sont toujours en cours pour la formation d’un gouvernement israélien qui s’annonce déjà comme le plus radical et religieux de l’histoire du pays.

Clémence Levant pour cath.ch

Si le gouvernement précédent était le plus diversifié de l’histoire d’Israël, celui qui se profile s’annonce comme le plus radical. Un mois après la victoire du bloc de droite de Benyamin Netanyahou lors des élections israéliennes, celui-ci négocie toujours la répartition des différents portefeuilles ministériels. Une diplomatie subtile, qui demande au futur Premier ministre de composer avec les exigences de ses alliés ultra-orthodoxes et d’extrême-droite, sans écorner l’image du pays à l’international. Dans ce jeu d’équilibriste qui avance poussivement, les premiers accords de coalition donnent le ton.

Un pyromane fait pompier

Étoile montante de la politique israélienne, Itamar Ben-Gvir (voire encadré), chef du parti Force Juive, s’est vu octroyer le portefeuille de la Sécurité nationale. Cet avocat, promoteur de la colonisation et héritier de l’idéologie raciste et suprématiste kahaniste (voire encadré), va concrètement devenir le chef de la police israélienne. En plus d’un pouvoir discrétionnaire sur la nomination des hauts officiers, il espère obtenir un droit de regard sur la police des frontières, une unité largement déployée à Jérusalem-Est et en Cisjordanie occupée.

«Netanyahou est prêt à sacrifier l’intérêt et l’image d’Israël pour sa survie politique»

Emmanuel Navon

Celui qui milite pour l’assouplissement des règles d’ouverture de feu de la police et de l’armée sera aussi responsable du maintien de l’ordre sur l’Esplanade des mosquées, où la cristallisation des tensions à tendance à dégénérer en conflit ouvert. Ce qui équivaudrait, selon Benny Gantz, actuel ministre de la défense, à lui remettre «une milice privée» entre les mains. «On fait d’un pyromane le pompier de la situation», résume Denis Charbit, professeur de Sciences politiques à l’Open University d’Israël.

Un colon pour gérer les territoires occupés

Particulièrement houleuses, les négociations avec Bezalel Smotrich, chef du parti Sionisme religieux ont abouti, le 23 novembre avec un accord qui fera de cet avocat de 42 ans ultranationaliste et anti-arabe, le ministre des Finances pour les deux années à venir. Intransigeant, Smotrich exigeait initialement le portefeuille de la Défense. Face à la bronca américaine, Benyamin Netanyahou a préféré lui offrir certains des pouvoirs de l’Administration civile, qui relève du ministère de la Défense.

Cet organe est chargé d’approuver les plans de construction palestiniens et la construction de colonies en zone C (secteur à population mixte). Lui-même issu d’une colonie, Bezalel Smotrich a cofondé la puissante association Regavim, qui soutient le développement de ces implantations, jugées illégales par le droit international. L’Administration civile gère également la distribution des permis autorisant les Palestiniens vivant en Cisjordanie de se rendre en Israël pour travailler, prier ou bénéficier de soins.

Virage à droite dans l’éducation?

Dans le monde de l’éducation israélien, on s’inquiète de l’accord signé avec Avi Moaz, député homophobe et ultraconservateur à la tête du micro parti d’extrême-droite Noam. En plus du poste de vice-ministre en charge de «l’identité nationale-juive» dans le cabinet du Premier ministre, il obtiendrait la direction des programmes scolaires des écoles laïques, dépendante du ministère de l’Education.

Une colonie israélienne en Cisjordanie | © the kincaidibles/Flickr/CC BY 2.0

«Il existe actuellement 3’000 programmes éducatifs écrits par des ONG d’extrême gauche et financés par des fondations étrangères ou l’Union européenne. Ils ne sont pas là pour renforcer l’État Juif, mais pour faire d’Israël un État comme tous les autres», a accusé le député dans une interview à l’hebdomadaire Olam Katan avant de préciser que son travail serait de rétablir l’équilibre. Certaines des figures les plus puissantes de l’éducation israélienne ont annoncé qu’elles ne coopéreraient pas et bloqueraient l’application des nouveaux programmes.

Réforme judiciaire en ligne de mire

En habile politicien, «Benjamin Netanyahou a toujours préféré gouverner en s’entourant d’au moins un parti modéré», explique Emmanuel Navon, professeur de relations internationales à l’Université de Tel-Aviv. Mais après 16 mois dans les limbes de l’opposition, et avec son procès pour corruption en cours, «il se retrouve piégé par des partenaires qui lui promettent de soutenir une réforme judiciaire majeure«, poursuit cet ancien membre du Likoud.

Cette réforme de la «clause dérogatoire», permettrait au parlement israélien de revoter des lois annulées par la Cour Suprême, seul véritable contre-pouvoir dans une démocratie qui ne dispose pas de Constitution. Depuis 2005, l’extrême-droite multiplie les attaques contre une institution qu’elle accuse de s’être arrogée le pouvoir d’invalider des lois votées par le Parlement (22 lois annulées depuis 1992), bridant selon eux la démocratie représentative. «Avec cette législation de république bananière, Bibi pourrait se sortir de son procès pour corruption. Il est prêt à sacrifier l’intérêt et l’image d’Israël pour sa survie politique», observe Emmanuel Navon.

Déjà, l’atmosphère s’épaissit. A Hébron, ville du sud de la Cisjordanie où la colonisation crée des tensions régulières, un soldat a été filmé en train de frapper un militant israélien de gauche venu exprimer sa solidarité aux familles palestiniennes de la ville, pendant qu’un de ses camarades expliquait à la caméra d’un autre militant: «Ben Gvir va enfin régler les choses ici.” (cath.ch/cl/bh)

Avec Ben Gvir, la montée des idées kahanistes
Le kahanisme, né dans les années 1980, est une idéologie d’extrême-droite qui tire son nom de celui qui en formulera les lignes directrices: le rabbin israélo-américain Meir Kahan. Fondateur de l’organisation terroriste «Ligue de la Défense juive», en 1968, il était partisan d’une théocratie juive et militait pour l’expulsion de tous les Palestiniens, qu’ils vivent dans les territoires occupés ou en Israël, hors du pays. Son parti, Kach, sera interdit en Israël pour cause de «racisme».
Un membre de la Ligue de la Défense Juive, Baruch Goldstein, sera notamment à l’origine du massacre du caveau des Patriarche, à Hébron, en 1994. La fusillade, en pleine prière musulmane, fera 29 morts et 125 blessés avant que son auteur ne soit arrêté et battu à mort. Jusqu’en 2020, Itamar Ben-Gvir, héritier de ces idées extrémistes, possédait une photo de Baruch Goldstein chez lui. Passé des marges infréquentables de la politique israélienne au centre du jeu en l’espace de deux ans, l’explosif homme politique a contribué à imposer et banaliser les idées d’une droite de plus en plus nationaliste et religieuse dans le pays. CL

L'entrée d'Itamar Ben-Gvir (g.) et de Bezalel Smotrich dans le gouvernement israélien l'oriente fortement à droite | © KEYSTONE/NEWSCOM/Maya Alleruzzo
6 décembre 2022 | 17:00
par Rédaction
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