Irak: Aide à l'Eglise en Détresse craint la disparition des chrétiens
A l’approche de l’anniversaire de la prise de Qaraqosh par les terroristes de l’Etat islamique (Daech) dans la nuit du 6 au 7 août 2014, «Aide à l’Eglise en Détresse» (ACN) craint la disparition définitive des chrétiens de la Plaine de Ninive, leur fief historique près de Mossoul, au nord de l’Irak.
L’œuvre d’entraide catholique internationale publie un rapport détaillé sur la vie des chrétiens après l’occupation de leurs villages par les djihadistes de Daech, qui en ont été chassés en octobre 2016. La conclusion de cette série d’enquêtes inédites est sans appel: 100 % des chrétiens de la Plaine de Ninive se sentent en insécurité. «Sans réaction politique immédiate, la plupart quitteront le pays sous peu !», écrit ACN.
Dans son un rapport intitulé «La vie après l’Etat islamique: nouveaux défis pour le christianisme en Irak», Aide à l’Eglise en Détresse (ACN) compile les résultats d’une série d’enquêtes menées sur une période d’un an. L’étude de 80 pages présente les défis actuels auxquels sont confrontés les chrétiens irakiens, qui sont retournés dans leur ville d›origine depuis la libération de la Plaine de Ninive fin 2016.
La communauté internationale interpellée
Le rapport avertit que si la communauté internationale ne prend pas de mesures immédiates, l’émigration forcée pourrait réduire la population chrétienne de la région au cinquième de sa situation d’avant 2014. Cela ferait passer la communauté chrétienne de la catégorie des «vulnérables» à la catégorie critique des «menacés d’extinction».
Avant l’invasion américaine de l’Irak décidée par le président George W. Bush en 2003, qui a complètement déstructuré le pays, les chrétiens étaient 1,5 million et ils ne seraient maintenant plus qu’environ 150’000. L’étude a été dirigée par l’ancien chef du département Moyen-Orient d’ACN International, le Père Andrzej Halemba, et préparée par Xavier Bisits, collaborateur d’ACN en Irak en 2019.
Menace des milices locales soutenues par l’Iran
Selon le rapport, 100 % des chrétiens vivant dans la région éprouvent un manque de sécurité et 87 % d’entre eux indiquent même qu’ils le ressentent «beaucoup» ou «considérablement». Les enquêtes montrent que l’activité violente des milices locales et la possibilité d’un retour des djihadistes de l’Etat islamique apparaissent comme les principales raisons de cette crainte. 69 % indiquent que c’est la première cause d’une éventuelle migration forcée.
Ce sont surtout les milices chiites Chabak, soutenues par l’Iran, opérant dans la Plaine de Ninive, qui font l’objet de griefs. Elles agissent avec la permission du gouvernement irakien parce qu’elles ont aidé à vaincre Daech, mais 24 % des personnes interrogées disent que «leur famille a été affectée négativement par une milice ou un autre groupe hostile». Le harcèlement et l’intimidation, souvent liés à des demandes d’argent, sont les formes d’hostilité les plus couramment signalées.
Sans action politique immédiate, les chrétiens disparaîtront
Outre l’insécurité, les chrétiens avancent le manque de perspective d’emploi et de développement économique (70 %), la corruption financière et administrative (51 %) et la discrimination religieuse (39 %) qu’ils ressentent au niveau social. Ce sont les défis actuels qui continuent de pousser les chrétiens à émigrer. Les différends entre le gouvernement central de Bagdad et le gouvernement régional du Kurdistan, notables dans certaines zones à majorité chrétienne, renforcent le sentiment d’insécurité.
«Le rapport n’est pas pessimiste, mais c’est un avertissement clair, car sans action politique concertée et immédiate, la présence de chrétiens dans la région de la Plaine de Ninive et ses environs sera éliminée», assure le Père Andrzej Halemba.
La reconstruction soutenue par ACN a permis le retour de 36,2 % de chrétiens
Cependant, malgré l’appel urgent à la communauté internationale, le chef de projet de l’ACN, désormais retraité, note «une évolution positive» si l’on tient compte du fait que, dans la première enquête réalisée par ACN en novembre 2016, seulement 3,3 % des chrétiens de la Plaine de Ninive avaient l’espoir de retourner dans leurs villes et villages, en raison de problèmes de sécurité et du manque de logements. «Aujourd’hui, 36,2 % des chrétiens sont revenus», affirme le Père Halemba.
Cet équilibre positif, selon lui, est dû au plan de reconstruction à long terme qu’ACN a lancé au début de 2017 pour s’attaquer avec d’autres organisations à la réhabilitation des maisons chrétiennes dévastées dans les villages de la Plaine de Ninive. «Le plan visait à restaurer les maisons et à créer des emplois. Toutes les Eglises locales ont fait preuve de solidarité et se sont réunies au sein du ‘Comité de reconstruction de Ninive’ (NRC), un organisme créé pour coordonner le processus de reconstruction», explique le Père Halemba.
De 2014 à fin 2019, les bienfaiteurs d’ACN ont donné 46,5 millions d’euros pour maintenir la présence chrétienne en Irak et en particulier dans la Plaine de Ninive. Aide à l’Eglise en Détresse (ACN) a financé la reconstruction ou la réparation de 2’860 maisons dans six villes et villages. Ces efforts ont eu l’effet souhaité et un nombre important de familles sont rentrées chez elles. «En avril 2020, 45 % des familles sont revenues. Cependant, de nombreuses familles se sont séparées, c’est pourquoi souvent seule une partie des membres de la famille sont retournés dans leur village».
Le droit à l’égalité en tant que citoyens
Malgré ces chiffres encourageants, les dernières enquêtes d’ACN inquiètent la fondation catholique, car elles révèlent que même si les chrétiens irakiens ont désormais un toit, la peur et l’insécurité continuent à régner dans la région. «Les perspectives sont inévitablement sombres parce que les chrétiens ont le sentiment d’avoir atteint un tournant en termes de viabilité de leur présence dans la région», estime encore le Père Halemba.
Outre les mesures favorisant le développement économique, l’ancien responsable des projets d’ACN au Moyen-Orient appelle à «une représentation permanente des chrétiens au sein des autorités nationales et locales pour assurer la défense de leurs droits fondamentaux, en particulier le droit à l’égalité en tant que citoyens», ce qui n’est pas le cas aujourd’hui.
Une nouvelle phase de reconstruction
ACN mène actuellement une nouvelle phase de son plan de reconstruction pour les chrétiens irakiens. L’objectif principal est de reconstruire les installations gérées par l’Eglise dans les villes et villages chrétiens de la Plaine de Ninive. Sur les 363 établissements ecclésiastiques destinés à la reconstruction ou à la réparation (34 totalement détruits, 132 incendiés, 197 partiellement endommagés), 87 % auront, en plus des activités religieuses, une fonction sociale et caritative. Ainsi les salles paroissiales qui servent de centres communautaires pour les activités pastorales et sociales, les établissements d’enseignement, les orphelinats, les centres de soins ou les cliniques, ainsi que les résidences des religieux qui fournissent des services à ces centres. (cath.ch/acn/be)