Rencontre avec Mgr Isaac Gaglo, évêque du diocèse d’Aného, au Togo

Invité en Suisse à l’occasion du Mois de la mission universelle

Fribourg, 22 octobre 2010 (Apic) Le christianisme est arrivé au Togo avec les Portugais, qui débarquèrent sur les côtes togolaises dès le XVe siècle pour s’adonner au commerce et à la traite négrière. La première mission à l’intérieur du pays ne date cependant que de 1886. Après l’indépendance en 1960, l’Eglise catholique a poursuivi sa croissance. «Si ces dernières décennies, l’Eglise s’est effectivement développée rapidement, il est nécessaire d’approfondir encore la foi et poursuivre l’évangélisation, car nombreux parmi ceux qui se convertissent restent attachés aux pratiques traditionnelles», déclare à l’Apic Mgr Isaac Gaglo, évêque du diocèse d’Aného, au Togo.

Visitant depuis la mi-octobre les diocèses de Suisse à l’occasion du Mois de la mission universelle, Mgr Isaac Jogues Agbémenya Gaglo parcourt le pays à l’invitation de la Conférence des évêques suisses (CES) et de Missio, la branche suisse des Œuvres Pontificales Missionnaires internationales, présentes dans plus de 120 pays.

Ce jeune évêque du diocèse d’Aného, en bord de mer, rend en fait la pareille aux évêques suisses qui avaient effectué une visite pastorale au Togo en automne 2009. A cette occasion, Mgr Gaglo avait accueilli dans son diocèse situé à l’est de la capitale Lomé Mgr Markus Büchel, évêque de Saint-Gall, et l’abbé Felix Gmür, secrétaire général de la CES. Titulaire d’un doctorat acquis à Innsbruck, en Autriche, Mgr Gaglo connaît bien la réalité de l’Eglise en Europe occidentale, ce qui lui permet de faire d’utiles comparaisons avec la situation qu’il vit dans son pays.

Apic: Comme ailleurs en Afrique noire, la foi, chez de nombreux chrétiens, n’a pas effacé les antiques croyances véhiculées par les religions traditionnelles… On parle dans ce cas de double appartenance, ces fidèles étant déchirés entre les contraintes de leur foi chrétienne et les demandes culturelles de leur société…

Mgr Gaglo: C’est vrai, il y de nombreuses personnes qui se convertissent mais qui restent attachées aux religions traditionnelles. Quand les Togolais sont confrontés à des situations difficiles, ils cherchent des réponses partout. Tous ne sont pas convertis profondément, le peuple ne s’est pas approprié totalement la Parole de Dieu. Même lors d’examens à l’Université, ils cherchent diverses assurances. La balle est dans le camp de l’Eglise, pour offrir des possibilités d’approfondissement de la foi. Elle le fait en proposant des enseignements, des sessions de formation.

Nous utilisons alors beaucoup la radio, car nombreux sont ceux qui ne savent ni lire ni écrire, surtout dans les campagnes. L’Eglise s’engage dans le domaine de l’alphabétisation – au niveau des paroisses, des associations, des communautés religieuses – car l’illettrisme représente un grand obstacle à la proposition de la foi.

Apic: Outre le domaine de la santé – où l’Eglise togolaise gère notamment l’Hôpital Saint Jean de Dieu d’Afagnan, le plus grand centre de santé après le CHU de Lomé -, vous êtes très actifs dans le secteur de l’éducation…

Mgr Gaglo: En effet, l’Eglise togolaise est très active dans le domaine scolaire, du jardin d’enfants à l’Université, en passant par les écoles primaires et secondaires. C’est que les jeunes de moins de 20 ans représentent près de 60% de la population. Nos élèves obtiennent d’ailleurs les meilleurs résultats aux examens.

Depuis 2007, nous disposons au Togo d’une unité de l’Université Catholique de l’Afrique de l’Ouest (UCAO) situé à Sanguéra, près de Lomé. L’Unité Universitaire Togo (UCAO-UUT), où l’on enseigne les sciences informatiques, fait partie du réseau des Unités de l’Université Catholique de l’Afrique de l’Ouest (UCAO) regroupant le Bénin, le Burkina Faso, la Côte d’Ivoire, la Guinée Conakry, le Mali, le Sénégal et le Togo. Cette présence dans le domaine de l’éducation est aussi importante pour l’évangélisation.

Apic: L’Eglise togolaise développe-t-elle, comme dans d’autres régions, des activités productrices ?

Mgr Gaglo: Au Togo, seul 17% des terres cultivables sont exploitées et les gens de la campagne vont vers les villes, où il y a des infrastructures. L’agriculture est trop souvent laissée de côté. Dans notre diocèse, l’Eglise possède plus de 750 hectares de terres agricoles que nous aimerions valoriser. Nous cherchons des financements pour mettre sur pied une école d’agriculture ouverte à toute la population. Nous ne souhaitons cependant pas travailler de manière industrielle.

Le but est d’inciter les jeunes à cultiver la terre. Ils quittent les villages et les petites villes pour se concentrer à Lomé, dont l’agglomération accueille déjà près de deux millions d’habitants, soit le tiers de la population totale du pays. La campagne est abandonnée et rien ne retient les jeunes dans les villages. La vie à Lomé n’est cependant pas facile pour ces gens…

Apic: Le pays compte peu d’activités industrielles ?

Mgr Gaglo: Le Togo exporte avant tout du phosphate (plus de 40 % des recettes du pays, ndr) et du ciment. Les exportations agricoles (coton, cacao, ananas) sont moindres. Il faut également compter avec l’activité du port autonome de Lomé, le seul port en eau profonde de la sous-région.

Apic: Certains commerçants et industriels au Togo se plaignent de la concurrence des produits «made in China» qui inondent le marché…

Mgr Gaglo: La population craint de plus en plus la présence chinoise; leurs produits envahissent effectivement nos marchés. La Chine annonce qu’elle va poursuivre et renforcer sa coopération économique avec le Togo. Les Chinois construisent des routes, des infrastructures, achètent des terres. Les Libyens aussi sont très actifs. Pour le moment, on n’en voit pas encore trop les conséquences, mais cela va se ressentir avec le temps, car ils s’installent sans bruit dans des niches stratégiques…

Apic: Pour en venir à la situation politique au Togo, la réélection du président Faure Gnassingbé, le 4 mars dernier, est contestée ! On attend toujours le rapport de la Mission d’observation de la Commission épiscopale nationale Justice et Paix (Cenjp).

Mgr Gaglo: Nous n’avons rien de sûr. Le cas togolais est délicat. Nous voulons mettre les partis en dialogue, favoriser la réconciliation et le pardon. Que peut-on faire de plus ?

On est à l’écoute des gens, on cherche la bonne volonté de part et d’autre. Tout dire ne servirait pas à calmer le jeu. Au niveau des citoyens, l’Eglise est très respectée et écoutée, et les gens sont affolés si elle ne réagit pas. Mais l’Eglise n’abandonne pas les gens, elle ne baisse pas les bras, au contraire. Mais il est vrai que la situation traîne en longueur.

L’Eglise participe aux efforts de vérité sur les violences à caractère politique qu’a connues le pays ces dernières décennies. La Commission «Vérité, Justice et Réconciliation» (CVJR) du Togo (*) est présidée par Mgr Nicodème Barrigah-Benissan. Elle doit enquêter sur les violences politiques de 1958 à 2005, afin de lutter contre l’impunité au Togo (**). Le but est de faire le point sur ces violences, pour parvenir à la réconciliation.

Encadré

Mgr Isaac Jogues Agbémenya Gaglo, né le 7 octobre 1958 à Kpémé, dans l’archidiocèse de Lomé, a étudié la théologie au Grand Séminaire Saint Gall à Ouidah (Bénin), l’Alma Mater des prêtres béninois. Après avoir été ordonné prêtre par le pape Jean Paul II le 9 août 1985, il a occupé la fonction de vicaire. De 1992 à 1997, il a étudié la théologie à Innsbruck, en Autriche, où il a obtenu le doctorat. De retour dans son diocèse d’origine, il a accompli différentes missions pastorales jusqu’à ce qu’il soit nommé administrateur du diocèse en 2005. Il a été ordonné évêque du diocèse d’Aného le 2 février 2008 par le cardinal Théodore-Adrien Sarr, archevêque de Dakar.

Sur le territoire du diocèse d’Aného (2’712 km2) vivent plus de 830’000 habitants dont 22% sont catholiques, 60% adeptes de la religion traditionnelle (animiste), 10% d’autres confessions chrétiennes, 5% fréquentent des sectes et 3% sont musulmans. Le diocèse d’Aného représente environ 13, 6 % de la superficie totale du Togo. Il s’ouvre sur la mer par une étroite bande de terre d’une trentaine de kilomètres. Il est traversé par un lac: le Lac-Togo, et deux fleuves: le Haho à l’Ouest et le Mono à l’Est qui marque la frontière avec la République du Bénin.

(*) Le pays a été le théâtre d’une vague de violences politiques, notamment lors de l’élection présidentielle d’avril 2005, au lendemain du décès du général Gnassingbé Eyadéma qui était resté 38 ans au pouvoir. La Commission nationale d’enquête indépendante mise sur pied par le gouvernement togolais parle de quelque 150 morts dans un rapport publié en 2005, mais la Ligue Togolaise des droits de l’Homme parle elle d’au moins 811 morts enregistrés durant ces événements sanglants.

(**) Ce mécanisme de vérité, de justice et de réconciliation a été proposé par l’Accord politique global (APG) signé le 20 août 2006 à Ouagadougou, au Burkina Faso, par la classe politique et la société civile togolaises. (apic/be)

22 octobre 2010 | 13:17
par webmaster@kath.ch
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