L'architecte alsacien Bernard Geyler, fondateur de l'association 'Aux porteurs de lumière-solidarité Irak' | © Jacques Berset
Suisse

Inspiré par Zundel, Bernard Geyler découvre la détresse des chrétiens d'Irak

«Le phénomène déclenchant, c’est Maurice Zundel… Ce prêtre et théologien catholique neuchâtelois m’a fait toucher du doigt la notion de désappropriation, de don de soi, qui devient une finalité de la vie». C’est ainsi que Bernard Geyler, un entrepreneur alsacien retraité, explique son engagement en faveur des chrétiens d’Irak.

L’architecte strasbourgeois était invité par l’abbé Lionel Girard, mardi 6 mars 2018, à témoigner à la cathédrale de Sion dans le cadre du programme de carême «En chemin vers Pâques».  Ce passionné de Zundel – la maison d’édition Parole et Silence va prochainement faire paraître son ouvrage «Maurice Zundel, le passeur de gué» – s’est confié à cath.ch sur ses motivations et son parcours de vie.

L’abbé Lionel Girard accueille Bernard Geyler à la cathédrale de Sion | © Jacques Berset

Un entrepreneur chrétien

Bernard Geyler, septuagénaire l’an prochain, aurait pu jouir d’une retraite bien méritée sur les hauts du paisible village de Furdenheim, à une quinzaine de kilomètres de Strasbourg. Il avait cédé il y a dix ans déjà son agence d’architecture à ses anciens collaborateurs.  Il avait entretemps passé une maîtrise de théologie au Département de théologie de l’Université de Metz, sous la responsabilité de Marie-Anne Vannier.

Un visage rond, souriant derrière des lunettes rondes, quelques cheveux blancs bordant un crâne dégarni, Bernard Geyler est un hyperactif. Il a dirigé une entreprise de 630 personnes, des années 1970 à 1985. Son entreprise construisait des bâtiments préfabriqués pour les marchés d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient. Il a ainsi travaillé pour le marché irakien du temps de Saddam Hussein. «Il fallait bien trouver du travail pour tout ce monde», lâche ce catholique qui a toujours voulu se mettre au service des autres. Mais à cette époque, Bernard Geyler n’avait pas de relations particulières avec les chrétiens locaux dans ces pays à majorité musulmane.

Le bénévolat dès l’enfance

Le Strasbourgeois a toujours exercé des activités bénévoles, déjà tout jeune, quand il était scout de France. «Dès que j’ai rencontré l’œuvre de Zundel, cela a déclenché chez moi quelque chose qui est vite devenu évident: aller vers les autres, se mettre au service des autres. On fait du bien autour de soi, avec un effet collatéral: on fait aussi du bien à soi-même».

«Comme architecte, j’ai fait des actions bénévoles pour Emmaüs, mais aussi pour certains couvents». Il a en effet apporté son aide à de nombreux projets architecturaux menés par l’ordre des dominicains. Il s’est ainsi mis à disposition pour rénover l’ancien couvent Saint-Dominique, au boulevard de La Tour-Maubourg, qui a abrité les Editions du Cerf, à Paris.

«Le hasard, c’est Dieu incognito»

Pour expliquer sa rencontre, fortuite, avec des dominicains irakiens, l’architecte cite Einstein: «le hasard, c’est Dieu incognito». «J’avais pu récupérer un site industriel de 35’000 m2 avec des bâtiments. Après avoir rencontré le cardinal Philippe Barbarin, archevêque de Lyon, qui avait jumelé l’archidiocèse avec Mossoul, je pensais rénover un bâtiment pour accueillir des chrétiens d’Irak chassés de leurs villes et villages par les djihadistes de Daech, les héberger, les aider à acquérir le français, à obtenir une formation, afin de pouvoir s’intégrer dans la société française. J’ai ensuite discuté à Paris avec Mgr Yousif Thomas Mirkis, archevêque chaldéen de Kirkouk et de Souleymanieh, qui m’a bien fait comprendre que les chrétiens devaient rester en Irak, qu’il fallait leur donner les moyens de s’enraciner dans leur patrie».

Bernard Geyler a assisté avec Mgr Yousif Thomas Mirkis à la pose de la première pierre de la Maison de la Miséricorde | © Jacques Berset

C’est le déclic: Bernard Geyler effectue alors son premier voyage à Kirkouk en décembre 2015, puis émerge l’idée de créer une association. Avec quelques amis il fonde, début 2016, «Aux porteurs de lumière-solidarité Irak» (APL). Rapidement est mise sur pied une équipe de 11 membres, composée d’acteurs économiques et religieux: architecte, assureur, comptable, notaire, publicitaire, personnalités de la société civile et religieuse.

Parqués dans les camps, sans avenir

Sur place, les projets s’enchaînent: un cabinet dentaire destiné à la communauté chrétienne de Kirkouk, une grotte dédiée à la Vierge Marie, mais aussi deux écoles maternelles et surtout le financement, actuellement à hauteur de 120’000 francs suisses, de 50 étudiants qui poursuivent leur cursus universitaire. Le financement principal des étudiants soutenus par Mgr Mirkis est assuré par l’Œuvre d’Orient, sous l’impulsion de la Conférence des évêques de France (CEF).

Les réfugiés chrétiens qui ont fui Mossoul et la Plaine de Ninive, après l’offensive de Daech à l’été 2014, se sont retrouvés parqués dans des camps au Kurdistan, sans perspective d’avenir. Les étudiants ne pouvaient reprendre leur cursus, les cours étant dispensés en kurde, alors qu’ils étaient arabophones. C’est alors que Mgr Mirkis les a invités à Kirkouk, en territoire irakien, où ils ont pu reprendre les études.

Au début, pour l’année 2014/2015, ils n’étaient que 80, mais aujourd’hui, ils sont près de 800. Et ils sont désormais retournés dans les villages de la Plaine de Ninive et étudient à l’Université de Mossoul, dont la plupart des bâtiments ont échappé aux destructions qui ont dévasté une bonne partie de cette grande ville du nord de l’Irak, qui comptait près de 3 millions d’habitants avant la guerre et son occupation par les djihadistes de Daech.

La Maison de la Miséricorde

Outre le financement des études pour des universitaires chrétiens déplacés internes, la petite ONG APL s’est engagée dans un projet très ambitieux: la construction à Souleymanieh, à l’est du Kurdistan, de la Maison de la Miséricorde, dont la première pierre a été posée le 22 février dernier et qui devrait être achevée cet automne déjà. Bernard Geyler avait remarqué, en se rendant sur place, que de nombreuses familles déplacées par la guerre n’avaient aucun moyen de s’occuper de leurs personnes âgées, trop occupées par leur propre survie et celle de leurs enfants.

Souvent ceux qui ont réussi à émigrer laissent leurs vieux parents sur place, abandonnés sans aide. L’Alsacien a également remarqué qu’il n’y avait aucune prise en charge des personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer. C’est alors que le gouvernement kurde lui a remis gratuitement un terrain dans la ville de Souleymanieh, pour y construire un bâtiment de cinq étages.

Un projet à deux millions

L’architecte alsacien, qui a dessiné les plans de ce projet de 4’500 m2 devisé à 2 millions de francs suisses, précise que son association amènera 600’000 francs, ce qui financera le «squelette» en béton du bâtiment, le reste étant apporté par divers sponsors. La Maison de la Miséricorde abritera cette année encore un accueil pour la petite enfance, une section de gériatrie et une autre pour les malades d’Alzheimer. Bernard Geyler a assisté le 22 février dernier à la pose de la première pierre lors d’une cérémonie à laquelle assistaient de nombreuses personnalités, dont la veuve de Jalal Talabani, qui fut président de l’Irak, ainsi que le gouverneur du Kurdistan.

Sur place, la surveillance a été confiée à un architecte arabe, qui s’est chargé de la mise à l’enquête, et les travaux ont été attribués en sous-traitance à des entreprises locales. «L’architecte est un musulman, souligne Bernard Geyler, signe qu’il est possible d’imaginer en Irak un avenir commun entre les diverses communautés et qu’il faut par conséquent œuvrer pour que les chrétiens y aient leur place et ne soient pas forcés à quitter le pays après 2000 ans de présence ininterrompue sur leur terre!» (cath.ch/be)

L'architecte alsacien Bernard Geyler, fondateur de l'association 'Aux porteurs de lumière-solidarité Irak' | © Jacques Berset
10 mars 2018 | 06:32
par Jacques Berset
Temps de lecture : env. 5  min.
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