Fribourg: Face à l’effondrement éthique du communisme, les Eglises sont pleines en Chine
Inculturer le christianisme, habiller le Christ d’habits chinois!
Fribourg, 21 mars 2012 (Apic) Face à la banqueroute éthique du communisme en Chine, les Eglises sont pleines et les plus grands lieux religieux sont les campus universitaires. Ce constat a été dressé par le diplomate suisse William Frei, qui fut de 2006 à 2010 consul général et chef du consulat général de la Suisse à Shanghai. Actuel ministre à la Mission de la Suisse auprès de l’Union européenne et chargé des relations avec le Parlement européen à Bruxelles, il était l’hôte des «Jeudis de Philanthropos».
Près d’une centaine de personnes avaient fait le déplacement le 15 mars à l’Institut européen d’études anthropologiques Philanthropos, situé à Bourguillon, au-dessus de Fribourg, pour entendre ce témoin de la vivacité du christianisme en Chine. Visiblement fasciné par l’histoire du christianisme en Chine, William Frei a rappelé que ce pays de près de 9,6 millions de km2 a une population de plus 1,3 milliard d’habitants, concentrée sur la Côte Pacifique. «Aujourd’hui, souligne le diplomate suisse, la Chine est devenue la 2ème puissance économique mondiale, dépassant le Japon et l’Allemagne».
#L’empereur était investi d’un «mandat céleste»
La Chine a une population plutôt homogène, puisque les Hans, largement majoritaires, représentent quelque 94 % de la population, alors que les cinquante-cinq ethnies minoritaires vivent essentiellement aux marges de ce vaste pays dont les origines remontent au IIIe millénaire avant notre ère. Dans le passé, en Chine, le souverain était investi d’un «mandat céleste» qui faisait de lui le «Fils du Ciel», garant de l’harmonie du Ciel et de la Terre.
«Le pays a une longue tradition dynastique et son héritage confucéen empreigne la culture chinoise. C’est, pourrait-on dire, l’ADN du peuple chinois, souligne William Frei. Dans le confucianisme, la hiérarchie est très importante, de même que l’harmonie de l’ordre social et la vertu d’humanité, le service aux autres, l’amour de l’enfant pour ses parents (la piété filiale)».
Face au confucianisme, la philosophie humaniste officielle dans le passé, qui insérait l’homme dans un univers avant tout moral et social, le taoïsme était la religion de la Chine profonde, faisant appel à des croyances anciennes des couches les plus populaires de la société. Le taoïsme se montre davantage préoccupé de la recherche d’une harmonie avec la nature et l’univers. La troisième tradition qui empreigne la culture chinoise est le bouddhisme, qui est venu de l’Inde. Cette spiritualité sans dieu (au sens abrahamique du terme), qui au départ n’était pas adaptée à la culture chinoise, s’est rapidement sinisée. Mais dans la pratique, relève William Frei, les Chinois n’ont aucune crainte à visiter le matin un temple taoïste, un temple dédié à Confucius à midi et le soir un lieu de culte bouddhiste: «C’est la religion des 3 en 1…»
#Le christianisme a pénétré pour la première fois en Chine au 7e siècle
Le christianisme fut accepté en Chine au 7ème siècle quand le nestorianisme fut introduit en 635, par le moine syriaque Aluoben (ou Alopen). Ces premiers chrétiens furent chassés au 9e siècle par l’empereur Tang Wuzong qui avait décidé d’éradiquer les religions professant la vie contemplative, visant le bouddhisme, et le nestorianisme avec ses milliers de moines.
Au XIIIe siècle, sous le règne de la dynastie mongole des Yuan, ce sont les franciscains qui arrivent en Chine à la suite de Jean de Montcorvin , qui devint archevêque de Pékin. Le gouvernement de la dynastie chinoise des Ming mit fin à leurs tentatives missionnaires au début du XIVe siècle. Ce n’est qu’au XVIe siècle que s’installent les jésuites, dont le fameux Matteo Ricci.
«Matteo Ricci s’introduit chez les lettrés, les mandarins, essayant de montrer la syntonie du christianisme avec la religion confucéenne, acceptant les rites chinois et le culte des ancêtres. De leur côté, dominicains et franciscains s’intéressent au peuple…»
Les rivalités entre ces ordres religieux débouchent sur la «querelle des rites», et en 1704 le pape Clément XI condamne définitivement par décret les «rites chinois», c’est-à-dire les «accommodations» acceptées par les jésuites. Les chrétiens vont alors être chassés de Chine dans les décennies suivantes. William Frei constate qu’il s’agit là d’une occasion manquée pour installer le christianisme en Chine, une autre occasion manquée résultant de la «guerre de l’opium» et des «traités inégaux» imposés à la Chine au XIXe siècle.
#Les chrétiens chinois devaient choisir leur camp
Les chrétiens sont alors protégés par les canonnières des puissances occidentales en guerre contre la Chine, «c’est du moins ainsi que c’est perçu par les Chinois», souligne le diplomate William Frei. C’était l’époque où était utilisée l’expression «Un chrétien de plus, un Chinois de moins!». «Le chrétien devait choisir l’autre camp: un déni de patriotisme… La hiérarchie ecclésiastique était étrangère et l’Eglise était très liée aux intérêts des puissances occupantes». Cette période pèsera longtemps sur les relations entre les chrétiens occidentaux et le monde chinois. Après l’instauration de la République en 1912, on assiste à une vague de conversions au christianisme: le premier président, Sun Yat-sen, était protestant, tout comme Tchang Kaï-chek, qui allait diriger la «République de Chine» à Taïwan après l’arrivée au pouvoir des communistes en 1949.
Avant la prise de pouvoir par Mao Tsé-toung, l’Eglise en Chine était divisée selon les sphères d’influence des puissances étrangères. Le pouvoir communiste chasse les évêques et les missionnaires étrangers. Il impose dans les années 50 le Mouvement des Trois Autonomies, ainsi que l’Association patriotique des catholiques chinois (APCC) à l’Eglise catholique restée en Chine. Toutes les religions seront décimées durant la Révolution culturelle (1966-1976), «une catastrophe», précise William Frei. Les églises et les temples seront fermés, nombre d’entre eux détruits ou transformés en usines ou logements, les religieux envoyés dans des camps de travail… Puis après la chute de la «Bande des Quatre», sous Deng Xiaoping, les religions seront reconnues, mais placées sous étroite surveillance.
#Les religions toujours sous contrôle
Le Bureau des affaires religieuses (BAR) du gouvernement chapeaute ainsi les 5 religions reconnues, à savoir le taoïsme, le bouddhisme, l’islam, le catholicisme et le protestantisme. Le confucianisme est plus une doctrine morale, sociale et politique qu’une religion. Il n’est pas reconnu officiellement comme religion par le gouvernement chinois. Les bouddhistes seraient entre 140 à 230 millions, et le bouddhisme, avec ses 70’000 moines et ses 9’000 temples, est la religion la plus coopérative et la moins menaçante pour le régime.
Les musulmans se trouvent en grande partie à l’Ouest de la Chine, au Xinjiang, notamment parmi les Ouïghours, et également chez les Huis, des Hans islamisés. Les chrétiens sont près de 60 millions (dont moins d’un tiers de catholiques, si l’on compte catholiques «officiels» et «clandestins»).
Les protestants chinois, soit ceux qui appartiennent aux Eglises enregistrées, mais également aux Eglises domestiques, semblent se développer plus rapidement que les catholiques, étant plus en phase avec la modernité.
#Le régime évolue dans sa vision de la religion
Il semble également que la vision qu’a le pouvoir communiste de la religion tend à évoluer. En décembre 2001, Pan Yue, directeur adjoint du Bureau du Conseil d’Etat pour la Restructuration des systèmes économiques, publiait un article préconisant un changement de politique religieuse.
Intitulé «Quel type de perspective devrions-nous avoir sur la religion: le point de vue marxiste sur la religion doit évoluer avec le temps», l’article proposait que le Parti communiste chinois (PCC) adopte une politique de plus grande tolérance en matière religieuse. Il allait jusqu’à préconiser l’entrée de croyants au sein du PPC, l’appartenance au Parti ayant toujours eu, jusqu’à ce jour, pour corollaire la profession de l’athéisme. Il remettait en question la définition de la religion comme «opium du peuple». Il souligne que le PCC a fait de cette définition la pierre angulaire de sa politique envers les religions, ce qui a «conduit à une politique religieuse un temps dévoyée» et dont le Parti «a payé le prix», références sans doute aux campagnes anti-droitières des années 1950 et à la Révolution culturelle (1966-1976).
#Faire perdre au christianisme ce qu’il a de trop occidental
Aujourd’hui, poursuivait Pan Yue, le Parti doit «réévaluer le rôle de la religion et aborder cette question rationnellement afin de résoudre les problèmes des relations entre les Eglises et l’Etat». Cet ancien membre de la Ligue des jeunesses communistes et ex-rédacteur en chef de «Stratégie et Management», magazine contrôlé par l’Armée populaire de libération, est d’avis que les dimensions spirituelle et morale de la religion peuvent servir le socialisme, car elles poussent les gens à être meilleurs. Il estime que les fonctions caritatives et culturelles de la religion ne sont pas contraires aux buts poursuivis par l’administration.
Selon le «Livre bleu» sur les religions en Chine, publié en août 2010 par l’Académie chinoise des sciences sociales, les Eglises chrétiennes en Chine sont en train de changer de statut, passant de celui d’Eglises de campagne entourant les villes à celui d’Eglises de villes modernes, une situation finalement normale dans le processus de globalisation que connaît aujourd’hui la Chine. Pour le diplomate William Frei, le défi pour l’avenir des catholiques de Chine est notamment celui de l’inculturation: faire perdre au christianisme ce qu’il a trop d’occidental et habiller le Christ d’habits chinois! (apic/be)