«Immeuble londonien»: l'enquête se poursuit
À la suite de l’arrestation de Gianluigi Torzi par la justice du Vatican, le 5 juin 2020, dans le cadre de l’affaire dite «de l’immeuble londonien», la justice du Vatican cherche aujourd’hui à savoir quels sont les responsables à l’intérieur de son administration des irrégularités observées dans l’acquisition d’un immeuble de Londres en 2019. Sont concernés à différents niveaux de responsabilité plusieurs membres de la Secrétairerie d’État du Saint-Siège.
Dans l’optique d’un investissement visant à acquérir un immeuble des quartiers chics de Londres, sur Sloane Avenue, le Saint-Siège a investi en 2019 dans une société luxembourgeoise nommée Athena Capital, détenue par un financier italo-britannique, Raffaele Mincione. Dans cette opération financée par l’argent du Denier de Saint-Pierre, le Vatican a eu recours à un tiers, Gianluigi Torzi, courtier à la tête d’une entreprise nommée Gutt SA.
Ce dernier, selon un rapport d’enquête consulté par l’agence de presse italienne ADN Kronos le 5 juin dernier, se serait joué de la Secrétairerie d’Etat en s’accaparant sans l’en informer 1’000 actions dotées d’un droit de vote et vendant au petit Etat 30’000 actions sans droit de vote, l’empêchant ainsi d’acquérir le bien immobilier.
L’opération mise en place par le Vatican pour permettre la restitution des parts détenues par Gianluigi Torzi a poussé les différentes parties à trouver un premier accord. Le courtier italien aurait d’abord accepté oralement un compromis afin de restituer les parts pour 3 millions d’euros. Cependant, Gianluigi Torzi aurait par la suite réclamé jusqu’à 30 millions d’euros, affirmant devoir rétribuer d’autres intermédiaires.
L’utilisation du fonds spécial du pape François
C’est cette manœuvre aujourd’hui qui a été définie par la justice du Saint-Siège comme de l’extorsion. Elle aurait mené plusieurs membres de la Secrétairerie d’Etat à retirer 20 millions d’euros du «fonds spécial» du pape François pour payer la somme demandée. Celle-ci sera finalement ramenée à 15 millions d’euros et payée à Gianluigi Torzi par le biais d’une entreprise anglaise, London 60 SA Ltd.
Au sein de la Secrétairerie d’Etat, et plus spécifiquement des «affaires générales», section à laquelle appartiennent ceux qui ont géré la transaction financière, plusieurs noms de suspects ayant été en contact plus ou moins important avec le dossier ont émergé ces derniers mois.
Le premier protagoniste est Mgr Alberto Perlasca, membre de la section administrative pendant l’enquête et considéré comme un suspect par la justice du petit Etat. Celui qui avait subi une perquisition de son bureau et de son domicile en février 2020 a rompu le silence en s’adressant au journal italien Il Giornale le 8 juin pour clamer son innocence. Il a aussi nié détenir un compte personnel en Suisse, affirmant que celui, saisi en février, appartient à la Secrétairerie d’Etat. Il déclare aussi n’avoir jamais eu l’autorité nécessaire pour l’administrer: «Je ne pouvais pas bouger un seul centime», a-t-il affirmé, renvoyant la responsabilité à ses supérieurs.
Une négociation opaque
Selon lui, la transaction a été approuvée par le secrétaire d’Etat, le cardinal Pietro Parolin, et menée par deux hommes aujourd’hui suspectés, Enrico Crasso (à l’époque directeur financier de la Secrétairerie d’Etat) et Fabrizio Tirabassi, membre lui aussi du service administratif de la Secrétairerie d’Etat. Il a aussi pointé aussi du doigt la capacité décisionnaire de son ancien supérieur hiérarchique, Mgr Edgar Peña Parra, substitut aux affaires générales de la Secrétairerie d’Etat, qui n’était cependant pas en poste au moment où la décision de l’acquisition a été conclue (il s’agissait à l’époque du cardinal Angelo Becciu).
Mgr Perlasca a assuré que les autres membres du Saint-Siège supervisant l’affaire n’avaient pas souhaité révéler la tentative d’extorsion et préféré maintenir la solution par la «négociation». Lui-même a finalement porté plainte pour fraude à l’automne 2019. Une somme de 10 millions d’euros a entre-temps été versée à Gianluigi Torzi, a-t-il encore expliqué, mais il ne peut rien assurer pour les 5 autres millions, ayant été muté à ce moment-là.
Selon Vatican Insider, ce serait Mauro Carlino, autre membre de l’administration vaticane, lui aussi suspecté, qui aurait négocié la somme réclamée par Gianluigi Torzi à la baisse, la faisant passer de 20 à 15 millions d’euros. Dans un interrogatoire, dont le procès-verbal est parvenu à AdnKronos, c’est lors d’une rencontre entre Mgr Edgar Peña Parra, Fabrizio Tirabassi et Mgr Alberto Perlasca que la décision a été prise de retirer 20 millions sur le fonds «discrétionnaire» du pape François. Enfin, le rôle d’un avocat d’affaire basé à Londres, Luciano Capaldo, directeur de London 60 SA Ltd, qui a conclu le versement de la commission à Gianluigi Torzi, est aussi étudié.
Qui est responsable de la décision de payer la «rançon»? Quelqu’un au Vatican a-t-il bénéficié d’avantages ou fait bénéficier certains acteurs aux dépens du Saint-Siège? L’enquête de la justice vaticane et le procès du courtier italien devront apporter prochainement quelques éclairages sur ces zones d’ombres, comme demandé par le pape François à l’automne dernier. (cath.ch/imedia/cd/rz)