Immeuble de Londres: reprise d'un procès hors normes au Vatican
Après plus deux mois de pause, le procès de l’affaire dite «de l’immeuble de Londres» reprend le 28 septembre 2022. Résumé des principaux éléments de ce procès hors-norme, entamé en juillet 2021, notamment du fait de la comparution d’un cardinal, Mgr Angelo Becciu.
On associe systématiquement le procès en cours aux irrégularités et possibles fraudes observées autour de l’acquisition par la Secrétairerie d’État du Saint-Siège d’un immeuble de Sloane Avenue dans la capitale britannique mais la procédure ne s’y limite pas. Si l’origine de la procédure semble bien être cette affaire, le procès met aussi en cause d’autres opérations financières qui concernent l’ancien substitut de la Secrétairerie d’État, le cardinal Angelo Becciu et qui n’ont pas de lien avec l’immeuble londonien.
C’est le cas de sommes versées à une coopérative sarde administrée par le frère du cardinal italien par la Secrétairerie d’État, mais aussi des émoluments importants touchés par Cecilia Marogna, engagée en tant qu’experte en diplomatie informelle sur recommandation du même haut prélat. La procédure actuelle a donc pour fil rouge les irrégularités observées au sein de la Secrétairerie d’État dans la gestion de ses ressources financières entre 2013 et 2020.
Une affaire à deux volets
L’acquisition de l’immeuble de Londres est néanmoins un point important de cette affaire. Elle pourrait être à l’origine de la grande majorité des pertes financières que déplore le promoteur de justice du Vatican, Alessandro Diddi, qui a porté cet épais dossier devant le tribunal civil de la cité papale. L’affaire se découpe en deux parties: l’acquisition et la prise de contrôle par le Saint-Siège de l’immeuble.
L’immeuble, ancienne propriété de Harrods, a été acheté avec une partie du Denier de Saint-Pierre en tant qu’investissement en 2014. La première section, en charge de l’administration de toute la Curie et qui disposait à l’époque d’un vrai pouvoir économique autonome, a investi la somme avec l’accord de son substitut, Mgr Angelo Becciu. Devenu cardinal et préfet du dicastère pour les Causes des saints en 2018, le Sarde a été déchu par le pape en septembre 2020 à la veille de la sortie d’une enquête journalistique mettant en cause son rôle dans l’affaire de l’immeuble de Londres.
Plusieurs employés de la section dirigée par le Sarde entre 2011 et 2018 sont impliqués, notamment les fonctionnaires Fabrizio Tirabassi, comme accusé, et Mgr Alberto Perlasca, en charge des questions économiques, comme témoin. Un intermédiaire travaillant avec le Vatican, Enrico Crasso et un banquier italo-britannique en charge de l’acquisition, Raffaele Mincione, doivent aussi répondre de leurs actes sur les conditions dans lesquelles l’acquisition de l’immeuble de Sloane Avenue.
Une perte de 217 millions d’euros
La seconde partie de l’affaire commence en 2019 et se poursuit en 2020 au moment où le Vatican, considérant que l’investissement pose des problèmes, tente de remettre la main sur le bien dont il a confié la gestion à Raffaele Mincione. L’opération est confiée à l’Italien Gianluigi Torzi qui finit par prendre le contrôle de l’immeuble. Le promoteur considère qu’il aurait alors extorqué une somme indue au Vatican par la ruse, possiblement avec la complicité de Raffaele Mincione, Fabrizio Tirabassi, Enrico Crasso, du cardinal Angelo Becciu mais aussi d’un avocat proche de Gianluigi Torzi, Nicola Squilacce et d’un fonctionnaire de la Curie, Mgr Mauro Carlino. Le rôle de deux membres de la banque privée du Saint-Siège, l’Institut des Œuvres de religion, est aussi examiné, l’ex-président René Brülhart et l’ex-directeur Tommaso Di Ruzza. Le promoteur de justice estime qu’ils n’auraient pas empêché l’opération.
En tout, dix personnes sont sur le banc des accusés: le cardinal Becciu, Enrico Crasso, Raffaele Mincione, Nicola Squilacce, René Brülhart, Tommaso Di Ruzza, Mgr Mauro Carlino, Fabrizio Tirabassi, Gianluigi Torzi et Cecilia Marogna.
L’immeuble a finalement été vendu par le Saint-Siège en juin 2022. En comptabilisant les deux pans du volet londonien et ceux de la coopérative sarde et de Cecilia Marogna, la partie civile estime que la Secrétairerie d’État a perdu en tout 217 millions d’euros.
Où en est le procès?
Lancé le 27 juillet 2021, le procès se déroule dans une salle appartenant aux musées du Vatican, transformée en tribunal pour permettre d’accueillir la quarantaine de participants. Jusqu’au 1er mars, le juge Giuseppe Pignatone a principalement dû régler des problèmes procéduraux, notamment liés à l’accès aux pièces de l’épais dossier du procès. Le juge a finalement rejeté les demandes de nullité de tous les accusés et débuté, à partir du 17 mars, les interrogatoires, qui ont duré jusqu’au 8 juillet.
Presque tous les accusés se sont présentés devant le tribunal. Seuls Cecilia Marogna et Gianluigi Torzi n’ont pas souhaité être interrogés. Cecilia Marogna a cependant déposé une longue déclaration spontanée dénonçant un complot à l’œuvre contre elle et le Saint-Siège qui impliquerait les services secrets russes et des personnalités gravitant autour du Vatican.
Le cardinal Becciu a assuré que les dons effectués par la Secrétairerie d’État à la coopérative sarde gérée par son frère relevaient de la «charité». Concernant Cecilia Marogna, il affirme avoir été «convaincu» par les compétences de la jeune femme et s’est défendu de toute proximité autre que professionnelle avec elle. Sur l’immeuble de Londres, il renvoie la faute sur Mgr Alberto Perlasca, son ancien subordonné en charge des affaires financières et un des principaux témoins de l’affaire, déclarant qu’il lui avait fait confiance sur toutes les décisions concernant les investissements parce qu’il le considérait comme étant un «expert».
Extorsion de 15 millions d’euros
Mgr Mauro Carlino, qui est accusé d’avoir participé à l’extorsion de 15 millions d’euros avec Gianluigi Torzi, affirme n’avoir fait qu’obéir à ses supérieurs, notamment Mgr Perlasca, et a dénoncé le rôle «d’experts financiers» engagés par le Saint-Siège, notamment celui de Luciano Capaldo, un architecte proche de Gianluigi Torzi, et du fonctionnaire Fabrizio Tirabassi.
René Brühlart et Tommaso Di Ruzza, les deux anciens chefs de l’IOR, accusés d’avoir facilité la reprise en main de l’immeuble de Londres par le Saint-Siège, ont tous les deux affirmé n’avoir fait que suivre les directives de Mgr Edgar Peña Parra et du pape François.
Fabrizio Tirabassi, fonctionnaire de la Sécrétairerie d’État, a rejeté la responsabilité des irrégularités commises dans l’affaire de l’immeuble de Londres sur Mgr Perlasca et Gianluigi Torzi.
L’homme d’affaires et conseiller financier du Saint-Siège Enrico Crasso a lui aussi mis en cause l’action de Mgr Perlasca et de Gianluigi Torzi, ainsi que de deux proches de ce dernier, Manuele Intendente et Renato Giovannini et affirmé avoir défendu les intérêts du Saint-Siège.
L’homme d’affaires Raffaele Mincione a défendu son action dans l’acquisition puis la gestion de l’immeuble de Londres. Il a mis en cause le comportement irrationnel du Saint-Siège, affirmant que c’est leur volonté de se désengager trop tôt de son fonds d’investissement qui avait généré les pertes importantes observées. Il a nié toute complicité avec Gianluigi Torzi, le décrivant plutôt comme un rival. Mincione a par ailleurs lancé une procédure contre le Saint-Siège à Londres.
200 témoins à entendre
Enfin, l’avocat Nicola Squillace affirme avoir fait son travail honnêtement et avoir prévenu le Saint-Siège que ce dernier allait donner le contrôle de l’immeuble de Londres à Gianluigi Torzi. Il a mis en cause Fabrizio Tirabassi et Enrico Crasso, affirmant qu’ils étaient au courant de cette information avant que l’accord soit trouvé, ce que les deux hommes avaient nié.
À partir du 27 septembre, et sauf complications, le procès devrait désormais rentrer dans une nouvelle phase avec la présentation des témoins. Cette phase pourrait être très longue, le juge Giuseppe Pignatone ayant expliqué qu’il en attendait au moins 200. (cath.ch/imedia/cd/bh)