Le pape François et Mgr Edgar Peña Parra | © Vatican Media
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Immeuble de Londres: Mgr Peña Parra affirme avoir vécu une Via Crucis

Lors de la 51e audience du procès de l’immeuble de Londres, le 16 mars 2023, l’actuel substitut de la secrétairerie d’État Mgr Edgar Peña Parra a affirmé avoir tout fait pour «perdre le moins d’argent possible».

Successeur du cardinal Angelo Becciu, Mgr Peña Parra a hérité de l’affaire dite «de l’immeuble de Londres» en 2018. Entendu comme témoin pour la première fois, il a expliqué avoir été trompé par un des accusés, l’avocat Nicola Squillace, et a critiqué le «clientélisme» qui existait au sein de la secrétairerie d’État à son arrivée.

Mgr Peña Parra a été nommé substitut de la secrétairerie d’État le 15 août 2018, en remplacement du cardinal Becciu, qui avait quitté son poste après avoir été créé cardinal par le pape en juin. Le Vénézuélien n’a cependant pris ses fonctions que le 15 octobre, un mois à peine avant la tentative ratée de la secrétairerie d’État de reprendre le contrôle de l’immeuble de Londres au banquier Raffaele Mincione en novembre 2018.

Cette opération s’est déroulée dans la capitale britannique. Mgr Alberto Perlasca – alors en charge des finances de la secrétairerie d’État et désormais témoin clé du procès – y a envoyé deux ›représentants’ du Saint-Siège, le comptable Fabrizio Tirabassi et le consultant financier Enrico Crasso, pour qu’ils épaulent le courtier Gianluigi Torzi et l’avocat Nicola Squillace, engagés pour effectuer la transaction. Ces quatre derniers sont aujourd’hui accusés. L’opération conclue à cette occasion s’est avérée désastreuse pour la secrétairerie d’État, le contrat donnant le contrôle total de l’immeuble à Torzi, qui s’était attribué les 1’000 seules actions avec droit de vote.

Pris au dépourvu et trompé

«Il n’y a jamais eu de passation de pouvoir», a déploré Mgr Peña Parra, expliquant avoir appris l’existence de ces tractations quelques jours après la signature du contrat. Celle-ci a d’ailleurs été effectuée avec l’aval de Mgr Perlasca mais sans que le substitut ait donné son accord.

Mgr Peña Parra affirme avoir alors étudié le contrat puis demandé des conseils sur certains points qui lui semblaient problématiques – notamment les 1’000 actions. Ces demandes ont été envoyées à l’auditeur général du Vatican Alessandro Cassinis-Righini, ainsi qu’à l’avocat milanais Nicola Squillace par l’intermédiaire de Mgr Perlasca. Le substitut a confirmé avoir reçu des mises en garde similaires à ses propres préoccupations de la part de l’auditeur général, en même temps que des réponses de l’avocat, qu’il a jugées rassurantes et convaincantes.

Le Vénézuélien pensait alors que Squillace travaillait pour le compte de la secrétairerie d’État – alors qu’il était un collaborateur de Gianluigi Torzi. Il a donc décidé, avec l’accord du cardinal secrétaire d’État Pietro Parolin, d’aller de l’avant.

Cependant, quelques semaines plus tard, le pape François l’a convoqué pour une réunion en présence de l’avocat Manuele Intendente et de Giuseppe Milanese, les deux hommes lui expliquant alors que la secrétairerie d’État avait en fait «acquis des boites vides». Aux alentours de Noël, il a finalement compris que «tout n’était que tromperie», et a reçu pour consigne de racheter les actions au courtier et de «perdre le moins d’argent possible».

Des négociations très difficiles

Les négociations commencent dès le 23 décembre 2018 lors du conseil d’administration de la Gutt, entreprise de Torzi utilisée pour prendre le contrôle de l’immeuble. Le courtier exclut alors Fabrizio Tirabassi – dont le substitut a salué l’honnêteté – du conseil d’administration.

Sans ce dernier et sans Mgr Perlasca, auquel Torzi ne voulait pas parler, le substitut s’est retrouvé isolé. Il était de plus très occupé avec la préparation des voyages du pape François au Panama pour les Journées mondiales de la jeunesse et aux Émirats arabes unis, tous les deux au début de l’année 2019.

Il s’est donc appuyé sur son secrétaire particulier, Mgr Mauro Carlino, pour continuer les négociations. Il a estimé que ce dernier, accusé aujourd’hui d’avoir participé à l’extorsion avec Gianluigi Torzi, avait «fait son devoir avec compétence et loyauté ».

La version de Peña Parra avalise néanmoins la thèse de l’extorsion : alors qu’il pensait devoir régler «1,5 million, maximum 3 millions» à Torzi pour l’opération, ce dernier lui a demandé 25 millions en mars. Après négociation, le chiffre est abaissé à 15 millions et la secrétairerie d’État accepte finalement de payer en mai.

«Nous avons été forcés», a déclaré Mgr Peña Parra. «Cela a été une Via Crucis, voire même une double Via Crucis: le Seigneur est tombé trois fois, nous six», a-t-il encore assuré.

Pour la première fois, le détail de la somme payée a été donné: une première somme de 10 millions correspond aux 3% prévus dans le contrat signé à Londres en novembre 2018, et 5 millions ont été justifiés comme un dédommagement pour «six mois de travail puis le manque à gagner».

Une hypothèque onéreuse

En plus de ces discussions, Mgr Edgar Peña Parra s’est rendu compte qu’une hypothèque pesait sur l’immeuble de Londres et coûtait 1 million d’euros chaque mois au Saint-Siège, un «crime» selon lui. «Il ne fallait pas être Einstein pour comprendre l’importance de rembourser ce prêt», a ironisé le substitut en expliquant s’être alors mobilisé pour résoudre le problème le plus tôt possible.

Il décide de demander un prêt de 150 millions d’euros à l’Institut pour les œuvres de religion (IOR), la «banque privée» du Vatican. La demande officielle de prêt est envoyée par le cardinal Parolin le 4 mars 2019.

Ses interlocuteurs à l’IOR, qu’il rencontre à plusieurs reprises, se montrent alors favorables à l’opération, explique le Vénézuélien, notamment dans un courrier envoyé mai, mais finissent par la refuser brusquement en juin. Le 2 juillet 2019, le directeur et numéro 2 de l’institution financière, Gian Franco Mammì, suspicieux, décide même de déposer une plainte auprès de l’auditeur du Vatican, qui la transmet à la justice vaticane. C’est le début de l’affaire dite ‘de l’immeuble de Londres’.

Lors des précédentes audiences, les responsables de l’IOR, le président Jean-Baptiste de Franssu et le directeur Gian Franco Mammì, avaient dénoncé des pressions exercées par la secrétairerie d’État et par les responsables du bureau anti-blanchiment d’argent du Vatican, l’Autorité d’information financière (AIF, aujourd’hui ASIF) pour accorder cet prêt. René Brülhart et Tommaso Di Ruzza, respectivement président et directeur de ce bureau à l’époque, sont aujourd’hui sur le banc des accusés.

Jean-Baptiste de Franssu avait aussi affirmé que Mgr Edgar Peña Parra avait décrit les membres de l’IOR comme des «incompétents» lors d’une réunion organisée après le refus, le 25 juillet. Mgr Peña Parra n’a pas nié les faits mais a déclaré n’avoir «aucun problème avec l’IOR», expliquant que cela lui avait fait «mal de jeter un milion d’euros par mois» en attendant le prêt de la banque.

Le substitut a confirmé que l’hypothèque a été rachetée par l’Administration du Patrimoine du Siège apostolique (APSA), la «banque centrale» du Vatican, au bout d’un an d’attente – générant donc 12 millions de pertes pour le Saint-Siège.

Clientélisme dans la secrétairerie d’État

Mgr Peña Parra a enfin expliqué avoir peu à peu mis de l’ordre dans le fonctionnement économique de la secrétairerie d’État, qu’il estimait affecté par le «clientélisme» et le «favoritisme». Il a mentionné par exemple qu’il n’y avait qu’un seul fournisseur pour acheter les chapelets que le pape offre à ses invités, et que ce système se répétait dans d’autres cas.

Le substitut a ensuite confié avoir économisé de l’argent en changeant certains fournisseurs. Le 1er juin 2020, le pape François avait mis en place un nouveau règlement encadrant plus strictement les marchés publics pour combattre le clientélisme existant au sein de la Cité du Vatican. (cath.ch/imedia/cd/ic/mp)

Le pape François et Mgr Edgar Peña Parra | © Vatican Media
17 mars 2023 | 09:59
par I.MEDIA
Temps de lecture : env. 5  min.
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