L'immeuble du scandale est situé sur Sloane Avenue, à Londres | © Timitrius/Flickr/CC BY-SA 2.0
Vatican

Immeuble de Londres : le cardinal Angelo Becciu répond aux accusations 

Lors de la 64e audience du procès de l’affaire dite ›de l’immeuble de Londres’, qui s’est tenue au Vatican le 20 juillet 2023, le promoteur de justice, Alessandro Diddi, a poursuivi son réquisitoire, en se concentrant sur le ›deuxième acte’ de l’affaire de l’immeuble du 60, Sloane Avenue. Le juge a permis au cardinal Angelo Becciu de prendre la parole pour se défendre de ce qu’il considère comme de fausses accusations.

Dans le viseur du magistrat : la période remontant à 2018, où la Secrétairerie d’État a fait passer la gestion de la propriété de Raffaele Mincione à Gianluigi Torzi, tous deux sur le banc des accusés. Cette audience a également été l’occasion d’entendre des déclarations du cardinal Angelo Becciu, qui a dit « rejeter avec force » les accusations que le promoteur de justice a formulées à son encontre.

Au début de l’audience, le président du tribunal, le juge Giuseppe Pignatone, a donné le calendrier des audiences prévues de septembre jusqu’à la fin de 2023. La dernière audience programmée de l’année sera le 6 décembre, date à laquelle le juge espère « conclure les débats ». Les audiences entre septembre et novembre seront consacrées aux plaidoiries des parties civiles et de la défense.

Cardinal Becciu : « J’ai donné ma vie pour le Saint-Siège »

Avant que le promoteur ne poursuive son réquisitoire, le juge a permis au cardinal Angelo Becciu de prendre la parole pour se défendre de ce qu’il considère comme de fausses accusations. « J’ai donné ma vie pour le Saint-Siège et j’ai toujours essayé de le défendre », a déclaré le cardinal sarde, alors que le promoteur avait remis en question sa gestion générale des biens de la Secrétairerie d’État, lui reprochant de ne pas avoir eu l’attitude d’un « bon père de famille ».

L’ancien substitut a ensuite détaillé les différentes affectations des quelque 50 millions d’euros que l’Institut pour les œuvres de religion (IOR) – la banque privée du Vatican – donnait annuellement à la Secrétairerie d’État quand il était en poste. Une thématique qu’il avait déjà abordée lors de l’audience du 5 mai 2022. Le promoteur de justice a affirmé dans son réquisitoire que ces fonds avaient été en partie utilisés pour l’investissement dans l’immeuble de Londres, ce que le prélat a nié.

Le prélat sarde a déclaré avoir reçu en 2013 l’autorisation du Secrétaire d’État de l’époque, le cardinal Tarcisio Bertone, d’investir les fonds de la Secrétairerie d’État détenus à la banque UBS. Il a également affirmé qu’il faisait confiance à son subordonné Mgr Alberto Perlasca, chef du bureau administratif, pour l’évaluation des projets d’investissements envisagés en Angola et à Londres.

Le cardinal Becciu a également déclaré que la Secrétairerie d’État avait une administration autonome lorsqu’il était substitut et qu’il n’était pas tenu de fournir des informations au secrétariat pour l’Économie (SPE), niant l’accusation d’avoir caché des informations au cardinal George Pell, préfet de cet organe de 2014 à 2019 – aujourd’hui décédé. Le Sarde a également affirmé que « l’argent de la Secrétairerie d’État constituait le fonds souverain du pape et ne faisait pas partie du budget consolidé du Saint-Siège ». 

L’ancien substitut a aussi souligné que l’Australien aurait eu des dépenses excessives en son temps à la tête du SPE. Selon lui, le préfet aurait affecté 25.000 euros par mois à la rémunération du personnel qu’il avait fait venir d’Australie, son secrétaire personnel recevant une allocation mensuelle de 12.000 euros et un autre fonctionnaire 9.000 euros.

Le transfert de gestion de Raffaele Mincione à Gianluigi Torzi 

Le promoteur de justice a commencé son réquisitoire en exposant les différentes infractions qui ont été commises selon lui contre la secrétairerie d’État en 2018, dans le cadre du transfert de la gestion de l’immeuble du 60, Sloane Avenue, du fonds Athena GOF de l’homme d’affaires Raffaele Mincione au fonds GUTT SA du courtier Gianluigi Torzi. Selon le promoteur de justice, la secrétairerie d’État aurait été préoccupée par le fait que le fonds de Raffaele Mincione perdait de l’argent – ce qu’il nie –, et aurait voulu changer le gestionnaire.

En se référant à des réunions, des relevés de messagerie et des courriels échangés avant fin novembre 2018, quand eut lieu la signature des contrats pour le transfert de gestion, le promoteur de justice a souligné que Fabrizio Tirabassi, un fonctionnaire de la secrétairerie d’État, et Enrico Crasso, un banquier chargé du patrimoine de cet organe, tous deux accusés dans ce procès, faisaient partie d’une « équipe » avec Gianluigi Torzi et d’autres. Cette équipe aurait tenté d’utiliser l’investissement du Saint-Siège dans l’immeuble de Londres pour « obtenir un profit supplémentaire dans leurs intérêts », a estimé le promoteur. 

Parallèlement, Alessandro Diddi a expliqué que Gianluigi Torzi et Raffaele Mincione auraient été également en contact au sujet des 40 millions de livres sterling qui ont été versés à ce dernier pour le transfert. Pour ces faits, les quatre hommes sont accusés de détournement de fonds.

La fraude qu’aurait commise Gianluigi Torzi 

Si Enrico Crasso, Fabrizio Tirabassi et Gianluigi Torzi faisaient partie d’une supposée équipe, ce dernier aurait eu « en main les règles du jeu », selon Alessandro Diddi. En effet, les contrats signés à Londres fin novembre 2018, ont finalement donné au courtier le contrôle total du bâtiment. Ces contrats stipulent qu’il détenait 1.000 actions avec droit de vote du fonds GUTT SA qui gérait l’immeuble, tandis que la Secrétairerie d’État disposait de 30.000 actions mais sans droit de vote, ce qui la rendait impuissante. Le promoteur de justice soutient que Gianluigi Torzi aurait commis le délit de fraude en incitant la Secrétairerie d’État à signer ces contrats. Selon Alessandro Diddi, Enrico Crasso et Fabrizio Tirabassi n’étaient pas au courant des différents types d’actions.

Le substitut actuel, Mgr Edgar Peña Parra, qui venait alors de prendre ses fonctions, a déclaré que ces contrats ont été signés par Mgr Perlasca sans son autorisation et qu’il n’avait pas connaissance de l’opération. En outre, Mgr Perlasca a dit avoir subi des pressions de la part de Fabrizio Tirabassi pour signer ces accords, mais avoir pensé qu’il agissait dans l’intérêt du Saint-Siège.

Le promoteur de justice inculpe aussi un avocat proche de Gianluigi Torzi, Nicola Squillace, accusé de fraude et de détournement de fonds, qui était présent lors de la signature des contrats à Londres à la fin du mois de novembre 2018. Alessandro Diddi affirme que Nicola Squillace aurait agi comme s’il fournissait une assistance juridique aux représentants de la Secrétairerie d’État, alors qu’en réalité il aurait travaillé avec Gianluigi Torzi contre eux. L’avocat a ensuite été payé pour ce service qu’il n’aurait pas rendu, selon le promoteur.

L’extorsion qu’aurait commise Gianluigi Torzi 

Lorsque Mgr Edgar Peña Parra et Fabrizio Tirabassi ont réalisé que la Secrétairerie d’État avait effectivement perdu le contrôle du bâtiment, une longue négociation s’est engagée avec Gianluigi Torzi. De décembre 2018 à mai 2019, le Saint-Siège a tenté d’impliquer divers médiateurs pour essayer de négocier avec le courtier qui demandait des valeurs allant de 8 millions à 24 millions d’euros pour rendre les actions avec droit de vote. Le pape François a même rencontré personnellement Gianluigi Torzi et d’autres médiateurs en décembre 2018 pour tenter de parvenir à un accord. Finalement, la secrétairerie d’État a versé à ce dernier 15 millions d’euros en mai 2019, ce que le promoteur de justice qualifie de « non justifiable » et qui est à la base de l’accusation d’extorsion.

Alessandro Diddi a également dénoncé le fait que Fabrizio Tirabassi et Mgr Mauro Carlino, le secrétaire de Mgr Edgar Peña Parra, n’ont pas signalé l’extorsion à son bureau tout au long de ces mois, ce qui constitue la base du crime d’abus de pouvoir. « Tout le monde savait qu’une extorsion contre la Secrétairerie d’État était en train de se passer en mars 2019 », a-t-il déclaré.

Le rôle des dirigeants de l’AIF 

Le promoteur de justice a également passé une grande partie de l’audience à détailler les abus de pouvoir supposés des dirigeants de l’Autorité d’information financière (AIF), l’organe de vigilance financière du Vatican. Sont concernés le président de l’AIF de l’époque, le Fribourgeois René Brülhart, et le directeur, Tommaso di Ruzza. Alessandro Diddi a expliqué comment, pendant les mois de négociation avec Gianluigi Torzi, il y a eu plusieurs échanges entre la Secrétairerie d’État, des avocats au Royaume-Uni et les dirigeants de l’AIF sur la question de ces paiements au courtier. Le promoteur souligne que les responsables de l’AIF n’ont pas agi avec « indépendance et autonomie » comme l’exigent les statuts de leur organe et qu’ils n’ont pas signalé cette tentative d’extorsion et cette transaction suspecte à son bureau.

« Le 29 mars [2019], l’AIF, en la personne de Tommaso Di Ruzza et de René Brülhart, […] avait tous les éléments en main pour savoir qu’une extorsion avait lieu à ce moment-là », a déclaré le promoteur. « L’AIF est un anneau délicat dans les conventions internationales sur la prévention du blanchiment d’argent. Ils ont décidé de jouer ce jeu afin de contourner leurs obligations internes, mais surtout leurs obligations de coopération internationale », a-t-il jugé.

En outre, le promoteur a souligné que René Brülhart travaillait comme consultant pour la secrétairerie d’État, ce qui, selon lui, constitue un conflit d’intérêts.

Les prochaines audiences

Le promoteur poursuivra son réquisitoire les 24 et 25 juillet et très probablement le 26 aussi. Il s’exprimera sur le rôle de Mgr Mauro Carlino auprès de l’AIF, sur le fonds Centurion d’Enrico Crasso, ainsi que sur les volets du procès concernant Cecilia Marogna et le diocèse d’origine du cardinal Becciu en Sardaigne.  (cath.ch/imedia/ic/mp)

L'immeuble du scandale est situé sur Sloane Avenue, à Londres | © Timitrius/Flickr/CC BY-SA 2.0
21 juillet 2023 | 14:06
par I.MEDIA
Temps de lecture : env. 7  min.
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