Il y a 60 ans, un pape voyage pour la première fois en Terre Sainte
Il y a 60 ans, le pape Paul VI a visité les lieux d’origine du christianisme – entre les fronts du conflit du Proche-Orient, aujourd’hui encore virulent. Si ce voyage, du 4 au 6 janvier 1964, allait marquer une étape fondamentale sur le chemin de l’unité de l’Eglise, il ne fut cependant pas une mission de paix réussie.
kath.ch/traduction et adaptation Bernard Hallet
Une sensation, un moment «historique»: les superlatifs se sont bousculés lorsque le pape Paul VI a annoncé un pèlerinage et un voyage de paix en Terre Sainte à la fin de la deuxième session du Concile, fin 1963. Près de 2000 ans après que l’apôtre Pierre eut quitté Jérusalem pour Rome, son 262e successeur voulait retourner dans la patrie de Jésus sur terre, annonça Paul VI dans la salle du Concile du Vatican.
Avec ce retour, il voulait aussi – tout à fait dans l’esprit du Concile – remonter au-delà des divisions de la chrétienté. Ce voyage a donné des impulsions marquantes pour l’œcuménisme, mais aussi pour les relations de l’Eglise catholique avec le judaïsme et l’islam.
«Simplicité, piété, pénitence et charité»
Dans une note personnelle du 21 septembre, le pape traça les principaux traits que devait revêtir ce voyage: «Simplicité, piété, pénitence et charité».
En octobre 1963, Mgr Pasquale Macchi, Mgr Jacques-Paul Martin et l’abbé Paul Casimir Marcinkus furent chargés de se rendre sur place afin d’étudier les modalités du voyage et d’insister sur le caractère uniquement spirituel et non politique du voyage. Israël et la Jordanie était en effet en conflit depuis vingt ans.
Un mois de planification
Il s’agissait d’une première dans des conditions très difficiles – et il ne restait qu’un mois pour la planification. Le voyage s’est en effet déroulé dans l’une des régions les plus chaudes du monde sur le plan politique. Jérusalem était divisée en deux par une frontière presque hermétique. Le Vatican n’entretenait de relations diplomatiques ni avec la Jordanie ni avec Israël. Ses relations avec le judaïsme ne s’étaient pas encore apaisées à la suite du Concile.
La préparation des journées des pionniers de 1964 a été chaotique. Jusqu’au dernier moment, l’improvisation a été de mise. Le programme exact de la visite n’était connu que la veille du départ. Le pape a atterri à Amman, où il a été chaleureusement accueilli par le roi Hussein de Jordanie, qui avait alors annexé la Cisjordanie et Jérusalem-Est.
Un convoi de voitures s’est ensuite rendu à Jérusalem, avec une halte sur le site du baptême de Jésus sur le Jourdain. Là, à l’arrivée à la Porte de Damas, une foule enthousiaste a franchi toutes les barrières et les cordons de police. Le pape n’a pu quitter la voiture qu’avec difficulté. Des agents de sécurité jordaniens lui ont ouvert la voie à pied jusqu’à l’église du Saint-Sépulcre, où il a célébré une première messe.
Il était prévu que le pape porte une croix le long de la Via Crucis et prie à chaque station. Ce qui s’avèrera impossible tant la foule le presse. Paul VI parviendra tout de même à se frayer un chemin jusqu’au au Saint-Sépulcre dans une cohue indescriptible.
Les médias enregistraient alors chaque pas, chaque mot, chaque geste du pape, élu à la tête de l’Eglise universelle six mois plus tôt seulement. 1’400 journalistes et photographes du monde entier ont fait le déplacement pour l’événement.
Le voyage a été une percée œcuménique. Jérusalem était le seul endroit au monde où les chefs des Églises séparées d’Orient et d’Occident pouvaient se rencontrer d’égal à égal – 910 ans après la division de l’Église de 1054. La rencontre au sommet avec le patriarche orthodoxe Athénagoras, qui n’était pas du tout prévue à l’origine, le salut de paix, l’accolade et la prière commune du «Notre Père» sont devenus le point culminant émouvant du premier voyage du pape. Et ils ont amorcé un tournant qui n’a pas seulement touché les églises de l’Est, mais aussi celles de l’Ouest. Cette rencontre a conduit à l’annulation des excommunications du Grand Schisme de 1054.
Discours envoyé aux chefs d’État et de gouvernement
Le pape a profité de la messe de l’Épiphanie à Bethléem, la ville natale du «prince de la paix», pour lancer un appel pressant à la paix – au plus fort de la guerre froide. Puissent les puissants du monde «épargner le chagrin et l’horreur d’une nouvelle guerre mondiale», a-t-il exhorté dans son discours, qui a été simultanément envoyé en 200 télégrammes aux chefs d’États et de gouvernements. «Puissent-ils coopérer encore plus efficacement pour construire la paix dans la vérité, la justice, la liberté et l’amour fraternel».
Pendant ce temps, le président égyptien Gamal Abdel Nasser poursuivait ses protestations contre toute reconnaissance de l’Etat d’Israël, qu’il détestait. C’est l’une des raisons pour lesquelles la visite d’une demi-journée en Israël – Paul VI voulait également visiter les lieux saints de Nazareth, du mont Thabor et de la mer de Galilée – s’est transformée en un exercice de corde raide diplomatique et protocolaire. Israël a spécialement mis en place un poste-frontière provisoire près de Meggido, au nord.
Un pape pèlerin
Le président Salman Shazar a salué poliment l’invité d’État. «En tant que pèlerins de la paix, nous implorons avant tout le bien de la réconciliation de l’homme avec Dieu et celui de la concorde profonde entre les hommes et les peuples», a déclaré le pape. Les médias ont ensuite titré que Paul VI avait été le premier à oser parler de paix des deux côtés de la frontière israélo-arabe. L’Eglise ne nourrit que des «pensées de bienveillance à l’égard de tous les hommes et de tous les peuples», a-t-il encore souligné. Ce voyage en Terre sainte contribua à donner à Paul VI l’image d’un «pape pèlerin».
Outre la Terre Sainte, Paul VI s’est rendu en Suisse, aux Etats-Unis, à l’ONU, où il fut le premier pontife à prononcer un discours (voir ci-dessous), à Fatima, au Portugal, en Inde, au Liban, en Turquie, en Afrique, en Australie, et en Amérique du Sud. (cath.ch/kath.ch/kna/ag/bh)
Paul VI, un discours prophétique
En ce mois d’octobre 1965, Paul VI est attendu à New York. Il avait rompu un an auparavant, par son voyage en Terre Sainte, avec la tradition d’un souverain pontife cloitré à Rome. Ce voyage aura été aussi prophétique qu’emblématique, d’autant que le Vatican n’est membre observateur de l’ONU que depuis un an. Il insistera, avec son «plus jamais la guerre!» sur l’urgence de construire un monde de paix. Un rappel singulier de la mission universelle de l’Organisation des Nations Unies que Paul VI définit, 20 ans après sa création, comme «le chemin obligé de la civilisation moderne et de la paix mondiale».
Ce discours marquera aussi l’entrée de l’Eglise dans le concert des Nations. Reçu à l’occasion par le président Lyndon Johnson, le chef de l’Etat du Vatican profitera de son séjour de deux jours pour faire une allocution dans la cathédrale Saint-Patrick et célébrer une messe géante au Yankee Stadium… Quatre ans après l’élection du premier président américain de confession catholique, John F. Kennedy. MSC