Mgr Pierre Mamie a été évêque du diocèse de Lausanne, Genève et Fribourg de 1970 à 1995 | © Diocèse de LGF
Suisse

Il y a 10 ans mourait Mgr Pierre Mamie, évêque diocésain de 1970 à 1995

Evêque du diocèse de Lausanne, Genève et Fribourg de 1970 à 1995, Mgr Pierre Mamie est décédé voici dix ans. Héritier du Concile Vatican II, dont il fut un des témoins directs, il reste une des figures marquantes de l’Eglise catholique en Suisse romande au XXe siècle. Retour sur une personnalité à la fois riche et complexe.

Intelligent, sensible, certains diront sentimental, amis des arts et des artistes, Pierre Mamie aimait le contact et se plaisait à raconter ses rencontres et ses expériences. L’homme, issu d’une famille modeste de La Chaux-de-Fonds, se flattait volontiers de ses relations. La conversation avec lui voyait défiler de nombreuses personnalités religieuses bien sûr, mais aussi politiques, artistiques ou médiatiques.

La grande transition de Vatican II

Ordonné prêtre en 1946 puis évêque en 1968, Pierre Mamie est le spectateur et un des acteurs de la grande transition de l’Eglise autour du Concile Vatican II qu’il considérait comme «la plus grande grâce que Dieu ait faite au monde et à l’Eglise au XXe siècle». Agé de 42 ans en 1962, l’abbé Mamie enseigne alors l’Ancien Testament au séminaire diocésain et à l’Université de Fribourg. Trois ans plus tard, il devient le secrétaire du cardinal suisse Charles Journet et l’accompagne à Rome lors de la dernière session du Concile, de septembre à décembre 1965.

«En m’y rendant, j’ai vécu cet événement de l’intérieur. Me trouver au milieu des Pères du Concile était une expérience humaine et spirituelle extraordinaire. J’ai vu ce que représente la collégialité des évêques du monde entier, dans les débats et en dehors des sessions. J’ai pu aussi sentir les tensions qui ont accompagné certains débats, notamment celles provoquées par Mgr Marcel Lefebvre et de ses amis à propos de la liberté religieuse,» racontait-il, 40 ans plus tard.

Le poète n’est pas un manager

Nommé évêque auxiliaire en 1968, Pierre Mamie reprend la direction du diocèse de Lausanne, Genève et Fribourg en 1970, après le départ de Mgr François Charrière dont les dernières années d’épiscopat ont été marquées par une crispation certaine face à la nouveauté. La situation n’est pas de tout repos. Contesté par une partie du clergé, dont il n’était pas le favori, il doit faire face à de nombreuses crises à droite comme à gauche. La nomination d’un évêque auxiliaire en la personne de Gabriel Bullet, au profil plus pastoral, permettra de clamer les plus critiques. La mouvance intégriste avec l’installation du séminaire de Mgr Lefebvre à Fribourg, puis à Ecône en Valais, lui laissera un souvenir pénible. En face la révolte de quelques-uns des professeurs de théologie de l’Université de Fribourg, dont le Père Pfürtner, n’est pas plus simple à gérer. L’application de la réforme liturgique ne se fait pas sans heurts. Dans ce vaste diocèse, formé de quatre cantons aux histoires et aux traditions ecclésiales bien différentes, tenir une action cohérente relève de la gageure. L’enseignant, le penseur, le spirituel, le poète n’est pas franchement préparé pour devenir un manager.

«Un Père conciliaire avait comparé Vatican II au nettoyage d’un étang»

«Un Père conciliaire avait comparé Vatican II au nettoyage d’un étang. Après l’avoir vidé, nous ôtons tout ce qui n’est pas vital pour la vie des poissons. Et lorsqu’il est à nouveau rempli, son eau reste trouble assez longtemps. Selon ce participant à Vatican II, il faut au moins 50 ans avant que l’eau redevienne claire», expliquait Pierre Mamie en 2002.

Epris d’art et de culture, Pierre Mamie se plaisait beaucoup dans la compagnie des artistes comme l’auteur de romans policiers Frédéric Dard. Ces conversations ont débouché sur un livre, publié en 1984, «D’homme à homme». Ami de Jean Tinguely, et d’autres artistes, il se plait aussi à favoriser le développement de l’art religieux. Pour certains il apparaît comme un peu mondain.

Evêque voyageur engagé

Evêque voyageur, Pierre Mamie a toujours maintenu un regard sur l’Eglise universelle. «Chez nous, nous jugeons beaucoup trop l’Eglise à travers nos propres problèmes en ignorant bien souvent la réalité des autres Eglises africaines, latino-américaines ou asiatiques. Nous avons une vision trop européenne qui peut déformer le regard. En Europe de l’Est, dans des pays où il n’y a pas eu d’instruction religieuse depuis 40 ans, on a un autre regard sur les besoins de l’Eglise et des hommes», expliquait-il. Cette vision soutenait ses prises des positions courageuses en faveur des étrangers, pour le tiers-monde ou contre le commerce des armes, souvent contre l’avis majoritaire.

«Il y a chez certains gens d’Eglise la tentation de se replier sur le spirituel. Face au libéralisme et à la logique du rendement et du profit, je suis préoccupé de voir que des chrétiens ne sont pas assez sensibles aux souffrances du monde. On forme, me semble-t-il, les jeunes étudiants pour continuer à entretenir nos systèmes ! Je regrette que l’on ne tienne pas compte suffisamment de la doctrine sociale de l’Eglise, sur le développement, la paix, le désarmement.»

L’homme a aussi ses lacunes. Après sa mort, des victimes pointeront du doigt son manque d’engagement contre la pédophilie et les abus sexuels. Des victimes sortiront de son bureau avec la seule promesse de ses prières. A défaut d’autres remèdes, les mesures d’éloignement des prêtres coupables tiendront souvent lieu de sanction.

L’oeuvre de sa vie: Journet-Maritain

A sa retraite Pierre Mamie s’attaquera à ce qu’il considérait un peu comme l’œuvre de sa vie, la publication des œuvres de son maître le cardinal Journet. ” Quand Charles Journet est mort, Paul VI m’a demandé explicitement de m’occuper de la publication et des rééditions des textes du cardinal.» Une fondation créée à Villars-sur-Glâne rassemble tout ce qui concerne le cardinal genevois. La correspondance entre le prêtre et le philosophe, soit environ 1’800 lettres sur 25 ans, est un des éléments majeurs de cette œuvre.

«Les intégristes ont rendu la vérité captive»

«Après mai 68, Journet était préoccupé par le risque de dérive du côté progressiste. Maritain l’était beaucoup plus par l’intégrisme. Il a répondu un jour à Journet «les progressistes ce n’est pas grave, c’est comme la mode, ça change toutes les années, mais les intégristes, comme le dit saint Paul «ont rendu la vérité captive.» Ils détiennent le trésor de la révélation mais l’enferment dans leur immobilisme. Aujourd’hui, Journet et Maritain sont capables de répondre au besoin d’Absolu que je vois dans la jeunesse», relevait Pierre Mamie en 2000. (cath.ch/mp)

Mgr Pierre Mamie a été évêque du diocèse de Lausanne, Genève et Fribourg de 1970 à 1995 | © Diocèse de LGF
14 mars 2018 | 17:52
par Maurice Page
Temps de lecture : env. 4  min.
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