Inde: Le dalaï-lama abandonne sa fonction de chef du gouvernement tibétain en exil
Il renonce à son pouvoir politique pour contrer Pékin
Dharamsala, 11 mars 2011 (Apic) Tenzin Gyatso, le quatorzième dalaï lama, a annoncé qu’il allait abandonner son rôle politique au profit d’un représentant élu, le 10 mars 2011, à Dharamsala en Inde, rapporte Eglise d’Asie (EDA), l’agence de presse des missions étrangères de Paris.
«Depuis le début des années 1960, je répète que les Tibétains ont besoin d’un chef élu librement par eux et auquel je pourrais déléguer le pouvoir. C’est le moment aujourd’hui de mettre tout cela en application», a déclaré le dalaï-lama dans son discours annuel, à l’occasion de l’anniversaire du soulèvement manqué du Tibet contre la Chine en 1959 (*). «Ce désir de déléguer mon autorité n’a rien à voir avec la volonté d’échapper à mes responsabilités, ce n’est pas parce que je me sens découragé», a-t-il ajouté, ne négligeant pas comme tous les ans, de demander à Pékin de suspendre sa politique d’oppression à l’encontre du peuple tibétain.
Le chef spirituel des Tibétains a précisé qu’il proposerait des amendements à la constitution du gouvernement en exil lors de la session parlementaire du 14 mars prochain. La décision du dalaï-lama intervient à la veille de l’élection du nouveau Premier ministre du gouvernement tibétain en exil. Les trois candidats en lice sont, pour la première fois, tous des laïcs. Selon l’actuel Premier ministre, Samdhong Rinpoche, l’accord du parlement n’est cependant pas acquis et la transition s’annonce «longue et difficile».
Mettre fin à une institution séculaire
Cette annonce n’est pas vraiment une surprise, le chef spirituel des Tibétains ayant déclaré, il y a tout juste un an, qu’il ne voyait «aucun problème» à mettre fin à l’institution qu’il représente et qui existe depuis le XIVe siècle, si les Tibétains préféraient cette solution à un successeur qui serait choisi par le gouvernement chinois.
Agé aujourd’hui de 76 ans, le dalaï-lama ne fait pas mystère de ses craintes concernant le fait que Pékin pourrait imposer aux Tibétains un successeur après sa mort, comme cela a été le cas pour le panchen lama. En 1995, le gouvernement chinois avait refusé le candidat que le chef spirituel tibétain avait désigné comme étant le nouveau panchen lama, dont le rôle est décisif pour la reconnaissance des réincarnations du dalaï-lama (**). Le jeune Gendhun, âgé de 6 ans, avait alors disparu mystérieusement pour être remplacé par un candidat choisi par le parti communiste. Ce dernier, Gyaincain Norbu, est présenté aujourd’hui par Pékin comme le panchen lama officiel, bien qu’il n’ait jamais été accepté par la communauté tibétaine.
Il fait de fréquentes apparitions en public, appelant les Tibétains à soutenir le Parti communiste chinois. S’exprimant il y a quelques jours au sujet du jour anniversaire de la révolte tibétaine du 10 mars, Gyaincain Norbu a encore célébré «la libération pacifique du Tibet» et souligné qu’il «n’y avait aucun problème dans la région, que le peuple tibétain jouissait de la pleine liberté religieuse et que le Tibet était en plein développement économique grâce à la Chine».
Un piège pour tromper la communauté internationale
Peu après la déclaration du dalaï-lama à Dharamsala, la porte-parole du ministre chinois des Affaires étrangères, Jiang Yu, a fait connaître la réaction de Pékin: «Le dalaï-lama se sert de la religion comme d’une couverture, c’est un homme politique en exil qui mène des activités séparatistes depuis longtemps», a déclaré cette dernière. «Nous pensons qu’il s’agit d’un piège destiné à tromper la communauté internationale», a-t-elle ajouté.
Le 7 mars dernier, lors de la 4e session de la 11e Assemblée populaire nationale (APN, Parlement chinois) qui s’était déroulée à Pékin, la question du dalaï-lama avait été longuement évoquée auprès des participants. Le gouverneur du Tibet, Padma Choling, avait tenu à réaffirmer, une fois encore, que les futures réincarnations des chefs spirituels bouddhistes et en particulier du dalaï-lama devaient impérativement être approuvées et validées par le gouvernement chinois. Le dalaï-lama doit se réincarner en Chine, conformément à la tradition bouddhiste tibétaine, a-t-il martelé, et il ne peut en aucun cas choisir son successeur à l’avance.
Choisir la date et le lieu de sa renaissance
Des injonctions qui font clairement référence à la dernière parade du chef spirituel des Tibétains à la mainmise de Pékin sur l’institution des dalaï lama. A plusieurs reprises ces derniers temps, le dalaï-lama a évoqué la possibilité, peu fréquente mais prévue par la tradition bouddhique tibétaine, qu’un lama «hautement réalisé» puisse choisir la date et le lieu de sa renaissance, ce qui signifie qu’il pourrait reconnaître sa future réincarnation de son vivant.
Cette alternative pourrait bien être la plus apte à contrer les projets de Pékin, et ce d’autant plus que le chef spirituel tibétain a tenu à préciser que les modalités des réincarnations pouvaient s’adapter aux circonstances et à l’histoire du Tibet. Il serait donc logique, avait-il expliqué, qu’il se réincarne en dehors du Tibet, puisqu’il mourra en exil et que sa nouvelle renaissance, dans un pays libre, marquera un changement dans la lignée des tulku, les maîtres spirituels réincarnés. En étant peut-être même une fille, avait-il ajouté.
(*) Le soulèvement de Lhassa contre les troupes chinoises occupant le Tibet depuis 1950 débuta le 10 mars 1959 à l’initiative des fidèles du dalaï lama, et fut définitivement réprimé, dans un bain de sang, le 28 mars, le dalaï-lama devant fuir en exil en Inde.
(**) Le choix d’un nouveau dalaï-lama répond à des règles précises: la nouvelle réincarnation du chef spirituel doit être recherchée après la mort de celui-ci, par le panchen-lama ainsi que par quelques responsables religieux habilités. L’actuel dalaï-lama, Tenzin Gyatso, avait été désigné à l’âge de 4 ans, après avoir notamment «reconnu» des objets ayant appartenu au précédent dalaï-lama, un élément indispensable dans le processus d’identification des tulku du bouddhisme tantrique. (apic/eda/amc)