«Il est rare que ce soit d'abord une question de sexualité»

Fribourg: Gabriella Loser Friedli s’exprime sur les relations amoureuses avec les prêtres

Fribourg, 2 mai 2014 (Apic) Gabriella Loser Friedli, co-fondatrice de la Zöfra (Association pour les femmes concernées par le célibat des prêtres) raconte le destin de 28 femmes, prêtres ou enfants de prêtres dans son ouvrage qui vient de paraître «Oh, Gott! Kreuzweg Zölibat». Ces histoires parlent de sentiments de culpabilité, de solitude, ou encore d’aspiration à une vie de couple normale.

Interviewée par l’Apic, l’auteur aborde évoque notamment les difficultés de ces couples et la marge de manœuvres des évêques touchés par des demandes de retour à l’état laïc.

Apic: Les prêtres et les religieux optent pour une vie de célibataire. Comment apparaissent les relations d’amour?

Gabriella Loser Friedli: La plus grande part de ces relations apparaissent dans une situation de crise. Souvent, la femme cherche une aide auprès d’un prêtre, par exemple lorsqu’elle vit une séparation, lorsque son mari est alcoolique ou quand elle a perdu un enfant. Il s’agit surtout de situations de crise existentielle marquées par une perte ou par la maladie, dans lesquelles la femme cherche une consolation. Si le prêtre doit lui-même se battre contre la solitude ou des symptômes de burn-out, il manque peu pour qu’apparaisse un sentiment de confiance réciproque. Contrairement à ce que pensent beaucoup de responsables ecclésiaux, il est rare que ce soit d’abord une question de sexualité.

Apic: Qu’est-ce qui est le plus difficile pour la femme dans une telle relation?

G.L.F: D’abord l’isolement. Elles ne peuvent pas parler des éléments essentiels de leur propre vie, ni des difficultés qui y sont liées. Ensuite les nombreuses attentes. La femme attend souvent jusqu’au moment où le prêtre très occupé a du temps. Les liturgies, la pastorale et les affaires administratives sont toujours prioritaires. Ce n’est que lorsqu’il dispose d’un peu de temps qu’il peut se consacrer à la femme. Du fait qu’elle attend toujours sur de tels moments, elle parvient difficilement à mener une vie personnelle.

Enfin, la non existence. Ni le prêtre ni la femme n’existent l’un envers l’autre en tant que partenaires. Ce qui est douloureux face à sa propre identité et à l’estime de soi.

Apic: Et qu’est-ce qui est le plus difficile pour le prêtre?

G.L.F: Egalement l’obligation de se taire. De plus, cela montre au prêtre à quel point les relations sont difficiles à l’intérieur de l’Eglise. Il ne peut pas avoir de confiance à l’égard de son évêque. Et chez les religieux s’ajoute le fait qu’ils ne peuvent pas raconter ce qu’ils vivent à leurs confrères. En outre, ils sont tourmentés par le sentiment d’infidélité et l’impression de duper leurs confrères. Cela conduit à un sentiment de culpabilité.

Apic: Le fait de devoir se cacher ne peut-il pas parfois renforcer le couple?

G.L.F: Oui, c’est un peu comme un pays qui connaît un danger extérieur. Cela oblige à se serrer les coudes. Mais à travers cela, apparaissent souvent des relations malsaines. On se protège mutuellement, on n’a pas d’exigences dans la relation, on ne se dispute pas. Souvent, le temps passé ensemble est très limité. Seuls les couples où la femme habite à la cure connaissent un quotidien un peu normal.

Lorsque la relation apparaît au grand jour et que l’on peut vivre normalement en couple, on remarque alors que l’on a peu de distance l’un envers l’autre, et que l’on est dépendants l’un de l’autre dans une proportion malsaine. Le couple doit encore une fois débuter sa construction et travailler intensivement sur sa relation.

Apic: Comment réussit-il à le faire?

G.L.F: Les couples éprouvent souvent une grosse déception. De nouvelles difficultés apparaissent depuis qu’ils ont révélé leur relation. Le couple doit par exemple apprendre à se disputer. Beaucoup cherchent de l’aide, parfois sous la forme d’une thérapie.

Il arrive naturellement que des couples se séparent. Et les évêques peuvent triompher: «Voyez, ça ne fonctionne pas du tout!». Mais lorsque l’on considère les conditions dans lesquelles ces relations se sont développées, parfois en restant cachés durant des années, on peut dire que relativement peu d’entre eux échouent.

Apic: Quelles sont les conséquences concrètes pour un prêtre qui reste attaché à sa relation?

G.L.F: Ce qui se passe dans le cas d’un prêtre diocésain dépend beaucoup de la réaction de son évêque. Dans le meilleur des cas, l’évêque se monte disponible, manifeste de la compréhension et demande si l’homme aimerait continuer de travailler dans l’Eglise. En cas de réponse positive, l’évêque soutient la démarche de retour à l’état laïc. Et lorsqu’il redevient laïc, l’homme pourrait être réengagé au service de l’Eglise, peut-être même comme laïc responsable de paroisse.

Mais lorsqu’il y a confrontation et que l’évêque ne veut plus rien savoir du prêtre, il ne l’aidera pas. Sans accéder à nouveau à l’état laïc, il n’est pas possible de travailler dans l’Eglise. Il arrive que la demande de retour à l’état laïc déposée par le prêtre à Rome ne soit pas traitée du tout, et même que la réception de la demande ne soit pas confirmée. Mais cela ne se passe pas ainsi lorsque l’évêque soutient la démarche du prêtre.

Apic: Cela dépend donc beaucoup de l’évêque concerné?

G.L.F: L’évêque a effectivement une certaine marge d’appréciation. Dans certains diocèses, les prêtres concernés trouvent de l’aide. Mais il y a aussi des diocèses où on ne peut pratiquement rien faire.

Apic: Comment réagissent les évêques lorsqu’ils sont mis au courant d’une liaison?

G.L.F: Lorsque l’évêque sait quelque chose, il doit agir. Il doit retirer la mission canonique au prêtre. C’est pourquoi les évêques disent souvent qu’ils n’en veulent rien savoir. Il arrive aussi qu’un évêque dise: «Fais un peu attention. Ne le fais pas ouvertement. Aussi longtemps que tu ne veux pas te marier, ça ira. La femme doit-elle vraiment habiter dans ton environnement? Ne pourrait-elle pas déménager dans une ville voisine?»

Apic: Que peut-il se passer concrètement chez un évêque?

G.L.F: Il est mis sous pression par ses confrères évêques. L’évêque décédé Bernard Genoud disait par exemple: «Savez-vous, je ne peux pas agir ainsi. Mes confrères évêques regardent tout ce que je fais. Ils ne doivent pas apprendre que je fais des concessions.» Mgr Kurt Koch était plutôt libéral au départ et a même installé des anciens prêtres comme laïcs responsables de paroisses. Jusqu’à ce qu’il soit, semble-t-il, mis sous pression par des évêques allemands et abandonne cette pratique. Quelques évêques sont très fidèles à Rome. Ils sont même capables de dire à Rome que d’autres sont de mauvais évêques, qu’ils ne se tiennent pas aux règles et mettent ainsi l’Eglise en danger.

Apic: Est-il exact que l’Eglise a parfois versé de l’argent pour acheter le silence des partenaires de prêtres devenus papas?

G.L.F: Je ne connais qu’un seul cas où un évêque a payé pour un enfant. Mais il l’a fait de façon si habile que nous ne pouvons pas le prouver. J’ai eu connaissance d’une femme qui a reçu 50’000 francs d’un supérieur religieux, à la condition de ne jamais révéler qui est le père de son enfant. Une autre femme a reçu 30’000 francs d’un supérieur, aussi pour acheter son silence. Je ne connais pas d’autres cas.

Apic: Arrive-t-il que des prêtres aient des enfants, sans que l’Eglise n’en sache rien?

G.L.F: Il existe des prêtres qui ont des enfants et paient une pension alimentaire, sans que l’Eglise ne le sache. Il y a aussi des cas de reconnaissance de paternité qui échappent totalement à l’Eglise. A Fribourg, par exemple, on se rend pour cela auprès du juge de paix. Le prêtre établit avec la mère de l’enfant un contrat dans lequel il reconnaît être le père, combien il paie pour l’enfant et comment est réglé le droit de visite. Si cela correspond aux exigences civiles du droit de pension, le juge de paix signe le document.

Nous accompagnons et soutenons aussi des femmes dans le cas de plaintes juridiques dans les affaires de paternité. Les prêtres peuvent se marier civilement. Nous connaissons les cas de deux prêtres mariés civilement, qui ont des enfants et ont en même temps un ministère de prêtre. Depuis que la publication des bans n’est plus à l’affichage public, c’est devenu possible.

Apic: Votre livre parle d’hommes célibataires qui entretiennent une relation. Qu’en est-il de religieuses tombant amoureuses?

G.L.F: Il y en a très peu chez nous. 5 religieuses sont membres de notre association ou sont accompagnées par nous dans leur cheminement en vue de quitter leur congrégation. Mais il existe aussi des relations entre célibataires, qui comprennent une part de tendresse mais excluent la sexualité. Le jésuite Niklaus Brantschen et la soeur de l’Oeuvre Sainte-Catherine Pia Gyger vivent une telle forme de partenariat. Souvent, ces relations sont portées par une solide spiritualité. Les deux partenaires sont contents même s’ils peuvent passer peu de temps ensemble. Si les congrégations sont d’accord avec cette forme de vie, personne ne doit quitter les ordres.

Apic: La Zöfra accompagne-t-elle aussi des hommes qui ont une relation avec un prêtre?

G.L.F: Nous recevons parfois des demandes, mais nous aiguillons systématiquement les concernés vers Adamim, l’association des hommes d’Eglise homosexuels.

Apic: La Zöfra prône depuis longtemps le choix libre du célibat pour les prêtres. Quels pas dans ce sens sont-ils entrepris actuellement, également au niveau international?

G.L.F: Tout d’abord, nous avons effectué beaucoup de travail au niveau de la communication. Encore dans les années 1990, les évêques affirmaient que les fidèles n’étaient pas prêts à accepter les prêtres mariés. Depuis, des enquêtes montrent qu’en Europe, 90% des catholiques peuvent tout à fait s’imaginer des prêtres mariés. Ce résultat ne relève bien entendu pas uniquement de notre mérite.

Ensuite, par la commission «Evêques-prêtres», nous avons été en dialogue indirect avec les évêques. Nous avons toujours pu exprimer nos préoccupations.

Au niveau international, notre prochain pas sera l’envoi d’une lettre au pape actuel. A la mi juin, une session aura lieu à Bruxelles, durant laquelle des représentants des pays européens, du Canada et d’Amérique latine feront un projet de cette lettre.

Apic: Qu’attendez-vous de la prochaine discussion avec les évêques, qui se déroulera en juillet?

G.L.F: Tout d’abord, nous souhaitons qu’ils tireront parti de toutes leurs marges d’appréciation. Il pourrait s’agir, en l’occurrence, d’établir un calendrier de réflexion. Parfois, un prêtre a besoin de temps pour éclaircir sa situation, sans que tout ne s’écroule en même temps. Ou alors l’évêque lui procure le temps nécessaire pour effectuer une formation complémentaire en parallèle avec son activité de prêtre, afin qu’il ait ensuite la possibilité de quitter son travail au service de l’Eglise et de changer de domaine professionnel.

Ensuite, nous aimerions qu’il y ait un bureau de coordination, qui pourrait être co-financé par la Conférence des évêques suisses. Il serait dirigé par une personne qui ne dépendrait pas directement des évêques. Enfin, nous souhaitons que suite à notre discussion en juillet, il apparaisse clairement aux évêques qu’une collaboration serait judicieuse.

Apic: Croyez-vous que sous le pontificat du pape François la question du célibat puisse changer?

G.L.F: Si quelqu’un en a le courage, ce sera le pape François. J’ai l’impression qu’il prépare le terrain du changement avec des petits pas. Il veut vraiment que l’Evangile libère les êtres humains. Sous le pape Benoît XVI, je n’ai pas eu une seule fois un tel espoir.

Apic: Quel a été l’élément déclencheur pour écrire un livre sur ce thème?

G.L.F: C’est un processus qui dure depuis un certain temps. Ces dernières années, plusieurs de ces femmes parmi les plus âgées sont tombées malades ou ont vu leur partenaire mourir, je me suis demandé: Que vont devenir les histoires de ces vies si ces femmes décèdent? Certaines ont vécu 40 ans avec un prêtre et, en dehors de la Zöfra ou d’un parent proche, personne ne le sait. J’ai pensé: il serait dommage si ces destins se perdaient tout simplement, sans que personne n’en sache quelque chose.

Encadré 1:

Depuis 40 ans avec un ancien dominicain

Gabriella Loser Friedli, âgée de 62 ans, a un diplôme de dessinatrice en bâtiment et d’employée de bureau. Elle travaille comme secrétaire à temps partiel auprès de l’Université de Fribourg. Elle est mariée depuis 1994 avec le professeur Richard Friedli, ancien religieux dominicain, avec qui elle est liée depuis 1974. Elle est la mère d’un fils âgé de 32 ans.

Encadré 2:

«Oh, Gott! Kreuzweg Zölibat»

L’ouvrage «Oh, Gott! Kreuzweg Zölibat» (»Mon Dieu! Le célibat, un chemin de croix») décrit 28 histoires de vie de femmes, de prêtres avec qui elles vivent une relation et d’enfants concernés. Le livre aborde aussi les tentatives de dialogue avec la hiérarchie catholique entre 1997 et 2013, il donne également des informations sur le célibat obligatoire des prêtres et présente des alternatives.

Encadré 3:

La Zöfra s’engage sur deux fronts

Fondée en septembre 2000, la Zöfra (»Zö» pour «Zölibat» / célibat et «Fra» pour «Frauen» / femmes) s’engage sur deux fronts: sensibiliser l’opinion publique à la problématique du célibat obligatoire des prêtres et trouver, avec la hiérarchie catholique, des solutions pour les couples «illégitimes», qui perdent presque toujours toutes ressources financières, du moment qu’ils affichent publiquement leur relation.

A long terme, la ZöFra aimerait garantir une liberté de choix dans la question du célibat obligatoire des prêtres et intercède dans ce sens auprès des autorités catholiques.

Informations: www.zoefra.ch.

(apic/bb)

2 mai 2014 | 10:12
par webmaster@kath.ch
Temps de lecture : env. 9  min.
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